Ludifiez, Ludifiez, Il En Restera Toujours Quelque Chose!
face à vous une marelle et, par extension, l’une des facettes les plus emblématiques – et les plus primitives aussi – de ce que l’on baptisera ici « ville ludique ». La définition est aussi limpide qu’elle le laisse penser : on appelle « ville ludique » décor l’espace public urbain. Et la palette est évidemment particulièrement large : s’amuser à ne marcher que sur les bandes blanches, en traversant un passage piéton, n’est-ce
La ville, marelle à ciel ouvert
« Le jeu est une action qui se déroule dans certaines limites, de lieu, de temps et de volonté, dans un ordre apparent, suivant des règles librement consenties, et hors de la sphère de l’utilité et de la nécessité matérielles ». Tous les éléments constitutifs d’un jeu, tels que définis par Johan Huizinga dans Homo ludens (1938), sont en effet rassemblés dans les deux exemples, volontairement triviaux, cités en introduction. Le passage piéton, tout comme la portion de trottoir qui accueille la marelle, définissent ainsi une sorte de « réalité alternative », régie par un ensemble de règles, et le bitume devient littéralement terrain de jeu. On voit ainsi l’apparente simplicité de cette ville récréative. De fait, la ville a toujours été ludique… Du moins eût-elle toujours pu l’être. Car comme le souligne la citation ci-dessus, le jeu n’existe qu’en dehors de toute dimension « fonctionnelle ». Dès lors, quelle place pour lui dans des villes toujours plus pragmatiques et rationnelles ?
L’urbanisme, serious business De ses grands sabots législatifs, l’urbanisme contemporain est ainsi venu effacer la marelle improvisée avec comme volonté, plus ou moins explicite, de circonscrire le jeu à des espaces bien définis. Dans des villes marquées par le zoning des mobilités, les portions de trottoirs disponibles se raréfient, longtemps au profit de l’automobile, et aujourd’hui à celui du vélo, de la marche, ou de mobiliers parfois interactifs et même – quel heureux paradoxe ! – « ludiques ». Ainsi donc, la ville ne serait pas intrinsèquement « jouable » ( playable, diraient nos cousins anglo-saxons) ; elle ne l’est qu’en potentialité.
Jouer, en toute rigidité
La « jouabilité » de l’espace public dépend ainsi de nombreux facteurs, qui peuvent la brider ou, a contrario, faciliter son expression. La tendance actuelle, sur le plan urbanistique, s’avère un compromis douteux entre ces deux pôles a priori antinomiques. C’est ce que le sociologue Marc Breviglieri a baptisé « ville garantie » et que la chercheuse Sonia Curnier définit ainsi : « une tendance de planification qui consiste à déterminer une utilisation normale et prévisible de l’espace urbain en annihilant tout flou d’usage et toute possibilité d’expérimentation. » Une formule qui s’applique parfaitement au processus de « ludification » en cours dans nos villes, soit la volonté affichée de remplir l’espace urbain d’objets explicitement dédiés à l’amusement des citadins. Sonia Curnier distingue quatre grands types d’installations, dont l’essor est sans conteste l’une des tendances majeures de nos villes depuis une dizaine d’années maintenant : mobiliers interactifs (souvent bardés de technologies), jeux aquatiques, sculptures engageantes (ou l’art au service du jeu urbain), et topographies artificielles. Chacune d’entre elles a d’indéniables vertus ludiques mais de fait, toutes les installations n’offrent pas le même degré de liberté au citadin. Dans une partie des cas, si ce n’est la majorité, il s’agit précisément d’une jouabilité orientée, prédéfinie voire programmée, avec comme objectif d’en limiter les détournements d’usage.
La « ludification » de la ville comme tautologie
La situation est telle que se pose la question de la pertinence de telles installations. Rendre la ville ludique est un voeu louable ; mais pourquoi vouloir organiser cette « ludification » au sein de villes qui n’attendent qu’un coup du sort pour exprimer toute leur « jouabilité » ? Qu’on repense à cette marelle, qui n’a besoin que de bitume vierge pour pouvoir s’épanouir, et qu’on la mette en parallèle de ces installations qui consomment – voire phagocytent – ce même bitume… La « ludification » de l’urbain est-elle compatible avec ce paradoxe ? Comme le rappelle parfaitement Sonia Curnier dans un entrechat sémantique : « Du reste, le divertissement au sens premier du terme ne désigne-t-il pas précisément l’action de détourner un élément de sa fonction première ? »
Dans cette perspective, nous plaidons en faveur d’une « ludification » presque libertaire de l’espace public. Fi de la maîtrise du jeu urbain : celui-ci a ses propres règles, qui s’imposent aux citadins qui souhaitent marcher d’une bande blanche à l’autre. Plutôt que de leur forcer la main avec des « terrains de jeu » circonscrits, offrons-leur plutôt une diversité urbaine propice à leur imaginaire… ils sauront quoi en faire.
, géographe et fondateur de [pop-up] urbain, cabinet de conseil en prospective urbaine
À lire :
«Programmer le jeu dans l’espace public ? »
Métropolitiques.eu, novembre 2014
www.metropolitiques.eu/programmer-le-jeu-dans-l-espace.html
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Pédagogie platonicienne
Cette empathie permet un décentrement réel du point de vue par l’expérience du jeu, et opère un renversement salutaire dans la cognition. Le jeu enseigne sans le dire, on apprend en jouant. Florent Maurin évoque la maïeutique, en référence au procédé employé par Platon dans ses célèbres dialogues. Ce changement dans le processus d’assimilation des informations passe ici par l’identification à un autre que soi. Cela stimule la capacité d’adaptation à des situations que l’on n’aurait pas l’occasion de vivre dans sa propre vie, et permet sans doute d’acquérir une plus grande compréhension dans l’appréciation des actes d’autrui.
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