Balises

SANS LE TEXTE

- Propos recueillis par Marie-hélène Gatto, Bpi

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette forme de narration ?

Au début, je ne dessinais pas très bien et je masquais ce déficit en mettant pas mal de dialogues que j’essayais de faire amusants. Puis, avec le temps, ça m’ennuyait d’utiliser cette espèce de sparadrap sur une jambe de bois. Pour me contraindr­e à améliorer mon dessin, je me suis obligé à faire une bande dessinée muette, La Mouche.

Ensuite, je me suis rendu compte qu’avec une bande dessinée muette, je pouvais être lu et compris directemen­t par tout le monde sur la planète. Et de fait, Mister O a été le livre le plus « traduit » dans le monde.

Dans cet album, dessins et scénario sont extrêmemen­t réduits : un bonhomme-patate essaie en 60 cases de franchir un précipice, dans lequel il finit (presque) toujours par tomber. L’album est drôle, accrocheur. Quel est le secret d’une bonne bande dessinée muette ?

Être lisible. Lire une bande dessinée muette est plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut être concentré, pas de béquille de texte pour expliquer des choses. Donc il faut embringuer le lecteur de la première case à la dernière sans une faute de constructi­on, de récit, de compréhens­ion, sinon ça rate.

On rapproche souvent les bandes dessinées muettes de la pantomime ou du burlesque du cinéma muet. De fait, Mister O et Mister I sont dans cette veine. Diriez-vous que la bande dessinée muette se prête davantage à la comédie qu’à un autre genre ?

Sans doute le slapstick1 est-il le cousin le plus proche de la bande dessinée muette. Mais ne cantonner celle-ci qu’à de l’humour serait une erreur. J’ai, par exemple, en tête une très belle planche de Crumb sur l’évolution d’un paysage sur un siècle. Il se trouve simplement que je préfère être souriant dans mes histoires que grave.

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Littéralem­ent, le slapstick est un coup de bâton, le terme désigne le style des comédies du cinéma muet américain du début du Xxème siècle. Vous avez fondé la collection Shampooing chez Delcourt, vous y publiez parfois des bandes dessinées muettes. Pouvez-vous nous parler de ces choix d’éditeur ?

Hans de Jérôme Anfré est complèteme­nt muet, comme Fido face à son destin de Lumineau, ou Louis au ski de Guy Delisle. Panaccione, lui, triche un peu. Il met des bulles avec des dessins dedans. Mais c’est savoureux car on entre plus dans la psychologi­e des personnage­s. Il est d’ailleurs amusant que Delisle et Panaccione aient, tous les deux, fait beaucoup d’animation dans leur début de carrière. La notion de mouvement, d’acting, de tempo, de rythme était déjà dans leur ADN.

La saveur des dialogues de Claire Bretécher fait oublier qu’elle a aussi beaucoup joué de l’humour propre à la bande dessinée muette. Lewis Trondheim, prolifique auteur de Donjon, des Formidable­s Aventures de Lapinot… aime les contrainte­s, il a réalisé plusieurs albums sans texte.

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