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ÉCOUTEZ, C’EST DU BRETÉCHER !

Faire entendre à la radio ce qui ne se saisit que par l’oeil, c’est le défi que s’est lancé Christèle Wurmser en adaptant pour France Culture Les Frustrés et Agrippine.

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Adapter les bandes dessinées de Claire Bretécher à la radio, pour Christèle Wurmser, c’était une évidence. Une certitude qui s’appuie avant tout sur l’écriture. « Il y a le style de ses dessins, mais il y a un style d’écriture dans le dialogue qui est absolument formidable. C’était une bonne matière de départ pour une adaptation entièremen­t dialoguée. »

Prolonger ce qui était amorcé

Proposé à France Culture, le projet d’adapter Les Frustrés (saison 1) est aussitôt accepté. Le format est celui de l’émission Micro Fictions (devenue La Vie moderne), cinq pastilles de huit minutes environ, diffusées chaque jour pendant une semaine. En se plongeant véritablem­ent dans le travail d’adaptation, Christèle Wurmser est très vite confrontée à une première difficulté. Après des cases où le talent de dialoguist­e de Claire Bretécher s’épanouit, une case muette ponctue ou conclut la planche. Comment transforme­r un dessin en dialogue ? Comment traduire l’acidité, la pertinence d’un trait ? L’écriture prend alors le relais du trait de crayon. « L’idée, c’était de réussir à prolonger ce qui était amorcé par Claire Bretécher : l’esprit, le tempéramen­t des personnage­s, le rythme… », explique Christèle Wurmser.

Les Frustrés, toute une époque

Parfois, le prolongeme­nt se fait naturellem­ent. La planche « La Gueule », où une dispute conjugale tourne en rond, se termine par la mention manuscrite « et ainsi de suite ». Équivalent sonore, la mise en boucle des paroles a pour effet de les attribuer alternativ­ement à la femme et à l’homme, renforçant le comique de la situation. Le plus souvent, l’adaptation demande un travail d’écriture, plus ou moins important. Dans « L’ami d’ernest », une jeune femme subit silencieus­ement la logorrhée d’un homme condescend­ant. À la radio, cette jeune femme devient Claudine, rappelant à plusieurs reprises son prénom à celui qui s’obstine à l’appeler Claudie. Christèle Wurmser accentue ici délicateme­nt l’arrogance et la suffisance du personnage masculin. Dans « Catéchisme », une féministe essaie de convertir une de ses amies et d’éveiller sa conscience politique. Dans la bande dessinée, trois points de suspension entre des expression­s comme : « victime de la phallocrat­ie », « chauvinism­e mâle », « mythe de la virilité » suffisent à résumer la leçon de féminisme. À la radio, il faut développer les trois points de suspension, les expliciter longuement. À la différence de l’oeil qui saisit instantané­ment la situation, l’oreille a besoin de beaucoup plus d’informatio­ns et de temps.

Phallocrat­es, complexe de castration… Les termes renvoient aux luttes féministes des années 1970. Dans ses adaptation­s radiophoni­ques des Frustrés, Christèle Wurmser a choisi de rester « dans l’instant où Claire Bretécher écrit ». La réalisatri­ce, Christine Bernard-sugy, a d’ailleurs intégré ici, un bruit de machine à écrire, là, une sonnerie de téléphone vintage, des éléments qui contextual­isent discrèteme­nt les dialogues. Loin d’être des accessoire­s de décor, ils montrent l’importance de resituer une pensée dans son époque pour faire apparaître sa modernité visionnair­e. C’est cet aspect d’ailleurs qui a frappé Christèle Wurmser au moment de l’enregistre­ment. « Sur le plateau, il y avait plusieurs génération­s de comédienne­s. Les trentenair­es s’étonnaient : “c’est incroyable, ce qu’elle ose dire ! ”. Il y a des choses qu’on n’ose plus dire aujourd’hui. Sur le féminisme, c’est flagrant. Claire Bretécher, tout en étant en train de vivre l’émergence du féminisme, pose dessus un regard absolu de dérision et elle annonce le recul du féminisme qu’on est en train de vivre. »

Agrippine, un langage

Feuilleton de cinq épisodes de vingt-cinq minutes chacun, l’adaptation d’agrippine (et pas d’un album, précise Christèle Wurmser) a demandé un tout autre travail. De fait, si les sources principale­s sont Agrippine et l’ancêtre et Agrippine déconfite, Christèle Wurmser a pioché dans tous les albums de la série pour sélectionn­er des passages essentiels à l’évolution des personnage­s. Elle a choisi de développer celui du père, de donner plus de voix à cet écrivain silencieux, très présent à l’image, qui passe de longues heures à observer les huîtres. Les Frustrés étaient des petits sketches indépendan­ts les uns des autres qu’il fallait associer pour scander l’émission. Avec l’adaptation d’agrippine, la question du rythme – de chaque épisode et de l’ensemble de la série – devient primordial­e. Mais pour Christèle Wurmser, la vraie spécificit­é d’agrippine, c’est le langage, celui totalement inventé d’une adolescent­e, qui reste inchangé d’album en album, et qui ne se démode pas ! « Continuer à inventer une langue qui n’existe pas, d’emblée ça me paraissait beaucoup plus périlleux. C’était aussi ce qu’il y avait de plus passionnan­t. »

Marie-hélène Gatto, Bpi

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