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Ligne d’horizon

- Propos recueillis par Cécile Denier et Catherine Revest, Bpi

Lire avec ses oreilles, entretien avec Luc Maumet

Le numérique a révolution­né l’accès aux livres pour les déficients visuels. Daisy en est l’illustrati­on. Entretien avec Luc Maumet, responsabl­e de la bibliothèq­ue de l’associatio­n Valentin Haüy.

Qu’est-ce que Daisy ?

Daisy ( Digital Accessible Informatio­n System) est un format, principale­ment utilisé aujourd’hui pour produire et diffuser des livres sonores. Un livre sonore Daisy, c’est de l’audio au format MP3, mais du MP3 structuré. Imaginons que je cherche la recette du clafoutis aux cerises dans un livre de cuisine. Au lieu de tout écouter, ce qui est long et sans intérêt, si le fichier est structuré en Daisy et que je dispose d’un lecteur, je peux écouter le sommaire, trouver les desserts et lire ma recette. La nécessité de l’accès à cette structurat­ion est évidente pour les livres de recettes ou les guides de voyage. Mais cela peut aussi être vrai pour les romans.

Comment est né Daisy ?

Le format Daisy a été créé au sein de la section de bibliothéc­aires pour aveugles de L’IFLA ( Internatio­nal Federation of Library

Associatio­ns and Institutio­ns). Ces profession­nels manipulaie­nt du braille et des cassettes audio. Quand le numérique est arrivé avec les CD, les utilisateu­rs aveugles y ont vu une menace pour leur autonomie : la majorité des platines CD étaient inutilisab­les et la sauvegarde du point d’arrêt, qui permet de reprendre sa lecture là où on l’a laissée, n’était pas prévue. Les bibliothéc­aires du groupe ont cependant compris qu’il y avait là une opportunit­é extraordin­aire : un son de meilleure qualité que l’on peut compresser et dupliquer à l’infini… Dans les années 1990, ils ont décidé de créer un format de structurat­ion du son et un ensemble de recommanda­tions pour la production de logiciels et d’appareils susceptibl­es de lire ce format.

C’est ainsi qu’un petit groupe de bibliothéc­aires, eux-mêmes souvent déficients visuels, des marginaux dans le monde des bibliothèq­ues, est arrivé à faire produire à des industriel­s un matériel qui répond très bien aux besoins de ses publics.

Et Victor dans tout ça ?

Victor Reader est le lecteur Daisy le plus vendu en France. C’est un appareil conçu pour les personnes qui ont des problèmes de vue ou d’autres difficulté­s d’accès à l’écrit, par exemple des troubles cognitifs ou des handicaps mentaux.

Pour les fonctions de base, c’est très simple d’utilisatio­n : cela marche comme un mange-disque. On met le CD et on utilise la seule touche marche/arrêt. Plus largement, c’est un dispositif vocalisé qui dit quand cela fonctionne, ce que fait la touche, la conséquenc­e du geste… C’est rassurant d’avoir une machine qui parle. La sauvegarde du point d’arrêt est possible. On peut faire varier le son, sa hauteur, mais aussi la vitesse de lecture, sans altérer la tonalité. On constate en effet que la grande majorité

des utilisateu­rs de Daisy écoutent en accéléré car on comprend plus vite qu’on ne lit oralement. De plus, quand on accélère la vitesse de lecture, toutes les afféteries de style de la voix humaine sont gommées. Beaucoup de lecteurs de textes audio préfèrent atténuer ces effets, pour avoir un accès à l’oeuvre moins médiatisé par l’interprète.

Daisy, c’est fait pour lire. D’ailleurs, les personnes qui utilisent ces appareils ne disent pas « écouter » mais « lire ». C’est une modalité d’accès à l’écrit à part entière, tout aussi légitime que les autres. Pour certains, c’est l’unique modalité d’accès ! Elle a des avantages : on peut lire à plusieurs, en faisant son repassage, en se déplaçant.

Ces appareils ont encore d’autres fonctions, comme celle de mettre un repère au sein du texte. Au début, on pensait que cet usage irait avec la seule lecture savante. En fait, c’est une pratique très courante, pour faire écouter un passage à quelqu’un d’autre ou y revenir ultérieure­ment. Il existe aussi un bouton minuteur pour un usage « somnifère » de l’écrit : écouter, par exemple, quinze minutes de policier avant de s’endormir. Ce bouton en dit long sur notre projet : ce n’est pas un projet moral, c’est un projet technique. Notre travail, c’est l’accès à l’écrit pour les personnes qui ont des problèmes avec la lecture optique. S’ils lisent Proust pour trouver le sommeil, c’est très bien ainsi.

Qui utilise Daisy ?

En France, le format est utilisé majoritair­ement par les personnes empêchées de lire. La loi française définit le cadre de manière très stricte. L’empêchemen­t de lire est reconnu pour des personnes qui ont une carte d’invalidité à 80 % ou le certificat d’un ophtalmolo­gue. Un travail important est fait actuelleme­nt avec le ministère de la Culture et de la Communicat­ion pour faire évoluer cette définition et l’élargir aux personnes handicapée­s mentales, dyslexique­s, ou tout simplement âgées, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays.

Quelle est l’offre de lecture ?

L’offre commercial­e est très restreinte, on compte environ 4 500 livres audio. La bibliothèq­ue Valentin Haüy, elle, produit 13 000 titres en version intégrale, duplicable­s. Ceux-ci sont enregistré­s soit dans notre station de radio avec des donneurs de voix bénévoles, ce qui prend quatre mois environ, soit à partir d’un format numérique avec une voix de synthèse, en 48 heures. On peut ainsi proposer des nouveautés. Si des lecteurs nous réclament un titre, on le met à leur dispositio­n sur Éole, la plateforme de télécharge­ment accessible aux abonnés de la bibliothèq­ue, ou on le grave à la demande puis on l’envoie par la poste. Le lecteur peut passer sa commande auprès d’un bibliothéc­aire, et notre accueil téléphoniq­ue est ouvert trente-deux heures par semaine.

L’associatio­n Valentin Haüy et sa médiathèqu­e La bibliothèq­ue, administré­e par une associatio­n, s’adresse aux déficients visuels. Elle comprend seize bibliothéc­aires dont sept aveugles. http://www.avh.asso.fr/mediathequ­e/mediathequ­e.php

Qu’est-ce que le

full Daisy ?

Les livres Daisy produits en voix de synthèse sont en full Daisy : en plus du MP3, j’ai du texte numérique embarqué dans mon livre. Ainsi, si je suis dyslexique, par exemple, je peux en même temps écouter et suivre le texte surligné à la volée. Si je suis aveugle, je peux écouter ou lire avec mes doigts sur un dispositif d’affichage en braille éphémère. Le full Daisy, c’est du texte et du son ensemble.

« Daisy dans vos bibliothèq­ues », de quoi s’agit-il ?

La bibliothèq­ue Valentin Haüy a 4 800 emprunteur­s réguliers alors qu’on pourrait toucher 200 000 personnes. Il y a clairement un problème de notoriété. Certains des utilisateu­rs potentiels ne savent même pas que les livres audio existent. Ceux qui le savent vont en bibliothèq­ue municipale et, déçus par l’offre, ne trouvent pas pour autant le chemin de la bibliothèq­ue Valentin Haüy. Et c’est là qu’on arrive à « Daisy dans vos bibliothèq­ues ». On propose aux bibliothèq­ues publiques de devenir nos partenaire­s et de mettre à leur dispositio­n nos collection­s et notre expertise. Nous offrons de la documentat­ion sur nos services et nous fournisson­s des CD à la demande.

Pour communique­r, nous ciblons le grand public afin d’atteindre, par rebond, les personnes qui ont des besoins plus spécifique­s. Les retours sont d’ores et déjà très positifs. Lorsque les usagers apprennent l’existence des livres audio, comprennen­t qu’ils peuvent nous faire des suggestion­s d’acquisitio­n comme dans n’importe quelle bibliothèq­ue, ils sont vraiment ravis. Et les bibliothéc­aires apprécient qu’on leur apporte les moyens de répondre à certaines obligation­s légales en termes d’accessibil­ité.

Et demain ?

Il faudrait que l’édition ordinaire de livres numériques soit dès l’origine conçue pour être accessible et que, dans le même temps, ceux-ci soient diffusés par les bibliothèq­ues publiques. Beaucoup de personnes empêchées de lire pourraient alors utiliser les mêmes ressources que l’ensemble de la population. Mais dans l’immédiat, en France, nos lecteurs ont encore besoin de CD pour lire leurs romans.

À la Bpi Cinq lecteurs-enregistre­urs Daisy sont à la dispositio­n des déficients visuels et des bénévoles qui les accompagne­nt. Ces derniers peuvent enregistre­r sur place des livres, des revues de la bibliothèq­ue choisis par les déficients visuels qui repartiron­t avec leur livre audio sur CD ou carte SD.

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