À L’ORIGINE, DES MOTS
Qui s’intéresse au fait religieux rencontre très vite une
première difficulté en cherchant à définir des termes qui sont pourtant fréquemment utilisés. À commencer par le mot
« religion » lui-même, source de nombreux débats… Qu’estce qu’une religion ? Parle-t-on de religion ou de religions ? Et comment en donner une définition dans les langues où le mot n’existe pas ? La foi a-t-elle le même sens pour un bouddhiste ou un chrétien ? Quelles relations existe-t-il entre loi et religion ?
Pour se retrouver dans ce foisonnement lexical, le linguiste Bernard Cerquiglini, en s'appuyant sur l'étymologie, retrace ici l'évolution sémantique des mots « foi », « rite » et « loi ».
Foi
Le latin fides signifiait aussi bien « parole donnée » que « confiance ». Le mot français foi qui en résulte a hérité de cette ambivalence. Il possède tout d'abord un emploi objectif, désormais minoritaire. La foi est une promesse, un engagement ; c'est un acte. Le Moyen Âge nommait ainsi le geste d'allégeance par lequel on devient vassal, en jurant sa foi. Un tel engagement est une garantie ( foi de gentilhomme !), d'où les locutions sous la foi du serment ou faire foi (comme le tampon de la poste) entrées dans le domaine juridique. Mis en cause, on fait valoir sa bonne foi. Hors de ces usages techniques, la langue courante dispose encore d'une formule d'assertion : « ma foi, il se débrouille bien ! » Foi possède d'autre part une valeur subjective, celle de confiance et d'adhésion ; la foi est un sentiment. Celui qui l'éprouve a foi : dans le progrès, en son étoile, en une personne digne de foi, au témoignage de laquelle il prête foi. C'est le consentement plein et entier à une vérité : foi démocratique, patriotique, religieuse. Ce dernier emploi est aujourd'hui majoritaire. Construit absolument, le mot foi désigne la croyance aux dogmes de la religion : avoir, perdre la foi, laquelle peut être fervente, du charbonnier, ou celle d'un homme de peu de foi. Une telle restriction, désormais commune, à l'usage religieux, et même chrétien, s'explique aisément. La foi n'est-elle pas, avec l'espérance et la charité, une des trois vertus théologales ?
Rite L'histoire du mot rite est celle d'une sécularisation. Le latin ritus, sur lequel rite fut calqué, au XIVE siècle, désignait les pratiques liées à une cérémonie religieuse. C'est le sens premier de notre terme : « prescriptions réglant la célébration d'un culte ». Ces prescriptions forment un cérémonial qui distingue, par exemple, les rites alexandrin, arménien, byzantin, grec, maronite, syrien. Par analogie, le terme s'emploie pour des institutions pourvues d'un rituel particulier, ensemble de règles cérémonielles. C'est le cas des sociétés secrètes : rite maçonnique, écossais, égyptien, etc. Il y a dans le rite du secret et du protocole, du social et de l'apprentissage. On comprend que l'ethnologie se soit saisie du terme, afin d'en désigner, plus généralement, les pratiques sociales réglées, symboliques ou sacrées. On parlera de rites nuptiaux, d'initiation ou, avec Van Gennep1, des rites de passage, qui élèvent le statut d'une personne au sein d'un groupe. De telles pratiques réglées peuvent perdre tout lien au sacré. Rite devient alors un simple synonyme de coutume (le rite britannique du thé de 17 heures), voire d'habitude personnelle, éventuellement maniaque : pensons au rite proustien de l'endormissement. Vous avez dit « sécularisation » ?
Loi
Le mot loi désigne une règle générale impérative, car s'imposant à tous, explicite, car vérifiable. Le premier caractère est bien connu : « nul n'est censé ignorer la loi ». On comprend son emploi dérivé, au sens de régularité établie par la science ou constatée par l'expérience : loi de gravitation, loi de l'offre et de la demande, loi du genre. Mais insistons sur le second caractère, qui est étymologique. Le latin lex, legis, fondement du droit romain, était lié au verbe legere, « lire » ; il désignait, par opposition à la coutume ( consuetudo), une règle écrite et promulguée, un contrat rédigé, un texte. Le mot français loi, qui en résulte, a conservé ce trait. Une loi est indiscutable, car elle est donnée à lire : recueil de lois, projet de loi, avoir force de loi. La loi, au singulier, désigne l'ensemble des textes législatifs en vigueur, la législation. On comprend par suite l'emploi du terme dans le domaine religieux, et notamment pour les religions du Livre. Il désigne alors la volonté divine, telle qu'elle fut révélée : loi de Moïse, tables de la loi, docteurs de la loi. Loi, dès lors, en vient à désigner la religion en général, voire le principe religieux et moral, tel qu'il est dicté à l'homme par sa conscience, sa raison, la nature. Un homme sans foi ni loi n'a ni religion ni éthique ; il est capable de tout. Notamment, d'ignorer la loi !
Arnold Van Gennep (1873-1957) est un ethnologue français, auteur de Rites de passage.