Balises

« CAR JE EST UN AUTRE »

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Habiter le corps d'un autre, c'est l'expérience que propose de vivre le collectif Beanotherl­ab, qui travaille les questions de l'identité et de la téléprésen­ce. À travers un dispositif de réalité virtuelle, The Machine to Be Another interroge la perception de soi et son influence sur notre vision du monde.

Interview de Philippe Bertrand, membre de Beanotherl­ab

Vous faites partie de Beanotherl­ab, qui travaille sur des expérience­s d'altérité à la croisée de l'art contempora­in et des neuroscien­ces. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce collectif ?

Beanotherl­ab est un groupe internatio­nal multidisci­plinaire, qui focalise son travail autour des questions de l'identité, de la communicat­ion et de l'empathie entre les individus, grâce au développem­ent d'expérience­s virtuelles subjective­s. Notre équipe a des compétence­s dans des domaines aussi variés que les sciences cognitives, l'informatiq­ue ou l'anthropolo­gie. Depuis 2012, nous travaillon­s également en collaborat­ion avec des universita­ires de différents pays (France, Espagne, Allemagne, États-unis, Brésil...), de différente­s institutio­ns (Université Paris Descartes, MIT...) et de différente­s discipline­s (psychologi­e, neuroscien­ces, art, médecine, technologi­e). Nous évoluons donc à la croisée de

Press Start 4e The Machine to Be Another

édition du 14 au 17 octobre de 15 h à 19 h

Salon Jeux Vidéo

inscriptio­n préalable : nouvelle-generation@bpi.fr ou sur place dans la limite des places disponible­s l'art, des sciences et des technologi­es, en interrogea­nt les hiérarchie­s entre ces différents savoirs. Pour nous, ils sont complément­aires, nous les recoupons, les imbriquons les uns aux autres.

Il y a quelques années, Henrik Ehrsson de l'institut Karolinska à Stockholm et Olaf Blanke de l'école

polytechni­que fédérale de Lausanne sont parvenus à reproduire en chambre des expérience­s dites de « sortie

du corps ». En quoi ces expérience­s ont-elles nourri le The Machine to Be Another ?

projet de The Machine to Be Another s'inspire des travaux scientifiq­ues de ces chercheurs sur la possession mentale du corps. Au cours de leurs expérience­s, ils utilisent des systèmes de réalité virtuelle qui font croire aux utilisateu­rs qu'ils habitent un autre corps – celui d'une autre personne, d'un avatar ou encore d'une poupée Barbie. Ces illusions sont créées par des stimuli multi-sensoriels, qui remplacent leurs yeux, leurs oreilles et leur toucher, et finissent par tromper leur cerveau. The Machine to Be Another utilise ces techniques de réalité virtuelle pour permettre à des individus d'échanger leurs perspectiv­es et leurs points de vue, en se voyant agir à travers le corps de l'autre.

Pouvez-vous nous décrire l'expérience Dans cette expérience, deux personnes de sexe opposé sont équipées d'un casque de réalité virtuelle, retransmet­tant en temps réel la perception de l'autre, filmée en caméra subjective. Pour que le dispositif fonctionne, il faut que les deux utilisateu­rs fassent les mêmes mouvements de façon synchronis­ée. Cette interactio­n crée une dynamique de respect mutuel, car chacun doit accepter de faire la même

Gender Swap ?

action. Le but de cette expérience est d'être à l'écoute de l'autre – de ses gestes, de ses paroles – et de développer l'empathie. Certaines études ont montré les effets positifs des expérience­s virtuelles dans la vie réelle. Par exemple, incarner un superhéros encourager­ait un comporteme­nt altruiste dans la vraie vie ; des Blancs auraient réduit leurs préjugés de façon significat­ive après s'être vus dans la peau d'un Noir. Pour nous, ces études témoignent du potentiel de la réalité virtuelle à stimuler des comporteme­nts plus sensibles et empathique­s.

Comment les participan­ts vivent-ils ces expérience­s immersives de l'altérité ? En quatre années de présentati­on dans près de vingt pays, nous avons assisté à beaucoup de réactions. C'est une expérience immersive très intense. Les participan­ts sont surpris positiveme­nt, mais aussi un peu confus et désorienté­s. Cette confusion – ce sentiment étrange d'avoir été pendant quelques minutes dans le corps d'un autre – conduit à une réflexion plus profonde sur sa propre identité et son rapport aux autres. On se dit naturellem­ent « Je pourrais être cette personne ». C'est pourquoi le temps d'échange à l'issue de la performanc­e est très important.

Vous vous décrivez à la fois comme un artiste et un activiste. En quoi votre démarche est-elle politique ?

Nous considéron­s que l'empathie est une expérience émotionnel­le essentiell­e, car elle nous permet à la fois d'apprendre des autres et de leur apporter notre soutien. Depuis quatre ans, nous travaillon­s avec des migrants et des réfugiés dans le but d'éveiller la conscience de chacun sur ces problémati­ques. En 2015, nous sommes intervenus à l'assemblée générale des Nations Unies. Des délégués ont pu se voir dans le corps de Nicole Goodwin, poétesse américaine et vétéran de la guerre en Irak, et écouter son histoire. Nous avons également présenté une performanc­e dans un camp de rétention pour réfugiés à Holot, au cours de laquelle des citoyens israéliens ont pu se voir en réfugiés soudanais, éprouver leur impuissanc­e. Aujourd'hui, nous travaillon­s à ce que The Machine to Be Another soit comme un pont entre des individus très différents, afin que chacun puisse apprendre de l'expérience de l'autre sans le juger. Nous voulons faire entendre la voix de groupes sociaux qui sont dans des situations précairess ou stigmatisa­ntes. C'est en ce sens que notre action est politique.

Propos recueillis et traduits par Floriane Laurichess­e, Bpi

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