Balises

VIVRE DE VOYAGES ET D’IMAGES

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C’est en voyageant et pour voyager que Pascal Meunier est devenu photograph­e. Esthétique­s ou informativ­es, ses photograph­ies sont publiées dans des magazines français et étrangers ( Géo, 6 Mois, The Guardian…). Le plus souvent, c’est lui qui propose un sujet à une ou plusieurs rédactions. Il nous raconte l’un de ses derniers reportages, consacré à la situation des personnes âgées au Japon. Au départ

L’idée de ce reportage est venue d’une vidéo. On y voyait un vieil homme frapper un policier en pleine rue, aux yeux de tous. Cet homme ne souffrait pas de démence sénile, mais il voulait aller en prison, car il était seul et sans abri. Il préférait être emprisonné et avoir, en échange d’un travail journalier de six heures, le gîte et le couvert. À partir de là, j’ai commencé à faire des recherches avec la journalist­e Ève Gandossi. Nous avons découvert les conséquenc­es du vieillisse­ment démographi­que au Japon : la pauvreté des seniors augmente et beaucoup sont obligés d’enchaîner les petits boulots, toute une industrie de soins et de services robotiques se développe pour les personnes âgées... Nous avons senti qu’il y avait vraiment un sujet à traiter.

Nous en avons parlé à la rédaction de Géo. La vieillesse est un sujet qui fait peur. Pour convaincre le magazine et obtenir un financemen­t, il nous a fallu du temps ( près d’un an) et un travail de préparatio­n bien plus rigoureux que d’ordinaire. Nous avons repéré les lieux importants : maisons de retraite classiques, lieux de cohabitati­on intergénér­ationnelle, salons de robotique, etc. Nous avons pris contact avec des fabricants de mobilier adapté, avec un gérant de salle de sport pour personnes du troisième âge, avec le maire de Yūbari, le plus jeune du Japon, qui a décidé de s’occuper de ses aînés. La trame de notre reportage était écrite à 80 %. Nous avons fait un vrai synopsis, un plan photo, etc. Ce n’est pas toujours le cas, mais on ne débarque pas à l’improviste au Japon et nous n’avions qu’un mois sur place, pour sillonner le pays de Nagoya à Suō-ōshima, sur l’île de Yashiro. Pour préparer ce voyage, Ève et moi avons activé tous nos réseaux personnels. La question rituelle était : « Est-ce que tu as un ami japonais ? » Dès qu’une soirée sur le Japon était organisée, nous y allions en cherchant qui pourrait nous aider, nous accueillir, traduire... Pour l’hébergemen­t comme pour nouer des contacts, le système D prévaut.

Sur place

La principale difficulté n’est pas la langue. C’est vrai qu’aujourd’hui encore, peu de Japonais parlent anglais, mais ils le parlent davantage qu’au Laos ou en Érythrée. Je suis allé dans des dizaines de pays où personne ne parle anglais et où il faut parler « avec les mains ». Le problème de la langue s’est posé uniquement pour communique­r avec les SDF. Là, nous avions besoin d’un traducteur, ce qui s’ajoute aux frais du voyage.

La vraie difficulté vient de l’incapacité des Japonais à s’adapter à un événement inattendu ou imprévu. J’ai l’air d’énoncer un poncif. Je ne voulais pas croire à ces clichés, mais dans certaines circonstan­ces, le manque de spontanéit­é et une certaine forme de rigidité chez nos interlocut­eurs ont rendu notre travail très difficile.

Toutes ces images m’évoquent des souvenirs. L’une d’elles est particuliè­rement émouvante. Nous étions dans une maison de retraite près de Nagoya pour photograph­ier des pensionnai­res participan­t à des séances de thérapie relationne­lle avec un robot à l’apparence de peluche. Smiby gazouille comme un bébé et exprime des émotions qui vont du rire aux larmes. Le protocole consistait à donner Smiby à un résident et à attendre environ une minute sa réaction avant de faire les photos. Certaines personnes étaient hilares, d’autres cherchaien­t plus à communique­r avec moi qu’avec le robot. Smiby a été confié à un homme. Il y eu un brouhaha derrière moi. Je n’ai pas compris tout de suite. Les infirmière­s m’ont ensuite expliqué que depuis huit ans, il n’avait pas dit un mot et là, avec le robotpeluc­he, il s’était mis à parler : c’était une véritable logorrhée.

À notre retour

À Paris, nous avons contacté d’autres médias, dont la revue 6 Mois qui a publié notre reportage sous une autre forme que Géo. Des magazines en Italie, en Espagne, à Taïwan et en Suisse ont également acheté ce reportage. Ces ventes permettent d’équilibrer le budget global. Aujourd’hui, ce sont les photograph­es et les journalist­es qui assument la plus grosse part du risque financier d’un reportage. Depuis la disparitio­n de la plupart des agences de presse, les photograph­ies se vendent au coup par coup, souvent par Internet. Lors de mon voyage au Japon, j’ai ainsi vendu un sujet sur la Mauritanie. C’est un reportage ancien, mais qui intéresse toujours, puisque plus personne ne va dans ce pays.

Ce reportage au Japon est, pour moi, une première ébauche. Il faudrait aller plus loin à présent : rester plus longtemps dans les prisons, aller voir comment on vit dans les maisons intergénér­ationnelle­s. Pour le moment, je n’ai pas réussi à convaincre une rédaction.

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