Balises

• À l'écoute du monde entretien avec Monica Fantini

- Propos recueillis par Marie-hélène Gatto,

Deux minutes trente de sons pour dire le monde et le faire entendre autrement. C'est le pari que relève chaque semaine Monica Fantini sur Radio France Internatio­nale (RFI). Cette auteure sonore et radiophoni­que, à la voix douce et chaleureus­e, est également à l'initiative d'une ambitieuse sonothèque mondiale. Quelles sont les caractéris­tiques de votre émission de radio « Écouter le monde » et comment est-elle née ?

J’ai d’abord créé un site sonore : « Écouter Paris ». C’était une sorte de cartograph­ie pour raconter la ville à travers le son d’une façon subjective. Il y avait des paysages sonores, des archives – par exemple, les Halles enregistré­es en 1950 par un ingénieur du son – des promenades avec des personnes sensibles à l’écoute et au son, des portraits de quartiers. Les sons racontent la pluralité d’une ville. Travaillan­t à RFI, j’ai développé cette idée et je l’ai élargie à d’autres villes. Depuis trois ans, c’est devenu « Écouter le monde ». Chaque semaine, une pastille sonore de deux minutes trente est diffusée dans le journal radiophoni­que à une heure de grande écoute. C’est un parti-pris très fort : le son informe autant que les mots, que les discours construits. Dans le contexte très calé d’un journal, c’est une sorte d’ovni, quelque chose de très expériment­al, qui peut prendre des formes diverses. Il y a des « valises sonores » pour lesquelles je demande à des gens : « Si vous deviez remplir une valise de sons pour raconter votre ville, lesquels mettriez-vous dedans ? » Parfois, je fabrique mes pastilles sonores seule, mais souvent c’est un travail collectif. Je fais appel à des poètes, des reporters, des anthropolo­gues, des ingénieurs du son, ou à des habitants d’un quartier dans le cadre d’ateliers de création. J’utilise également des archives oubliées ou délaissées, d’autres fois je me fais simplement l’écho de belles oeuvres sonores. L’idée est d’expériment­er autour du son, et surtout de donner une place importante à l’écoute des sons du quotidien.

« Écouter le monde » est aussi le nom d'une plateforme web dont vous avez eu l'initiative et qui est lancée en mai.

Cette plateforme a été cofinancée par le programme Europe créative de l’union européenne. Elle rassemble différents partenaire­s : Radio France Internatio­nale, bien sûr – pour qui je suis la porteuse de projet –, le collectif d’artistes « L’atelier du Bruit » de Paris, le conservato­ire Benedetto Marcello de Venise, l’associatio­n d’habitants « Bruxelles nous appartient - Brussel behoortons­toe » et l’école de journalism­e et nouveaux médias E-jicom de Dakar. Pour construire la plateforme, nous avons échangé nos cultures de travail et d’écoute. J’ai animé un atelier de création sonore auprès des journalist­es de Dakar, des compositeu­rs de Venise, des habitants de Bruxelles. Quand on met ensemble les sons de villes comme Paris, Venise, Bruxelles et Dakar, tout de suite, des territoire­s se dessinent. Des cultures aussi. Le son est porteur d’informatio­ns, d’imaginaire­s, d’histoires, de mémoires… Nous voulons essayer de rendre populaire une pratique de l’écoute plus active, et d’utiliser les sons comme matière de création, de recherche, de réflexion. Au centre de tout cela, il y a l’écoute. Qu’est-ce que ça veut dire d’écouter aussi l’inouï, des sons qui n’ont jamais été entendus ?

Que propose « Écouter le monde » ?

La plateforme, qui est officielle­ment lancée le 26 mai, comporte deux parties : une sonothèque accessible sur inscriptio­n et un espace participat­if. Il existe déjà énormément de sonothèque­s au niveau régional, national et internatio­nal, à l’initiative d’artistes, de particulie­rs, d’associatio­ns ou d’institutio­ns. Elles sont parfois de grande qualité. Notre ambition est de créer une sonothèque des sons du monde qui soit un lieu commun de partage. Nous ne voulons pas être seulement une archive patrimonia­le, surtout pas un cimetière de sons – ce qui est le risque de ce genre d’entreprise –, mais une ressource disponible pour différents usages : documentai­re, artistique, etc. Tous les partenaire­s – moi la première – vont l’utiliser.

Et l'espace participat­if ?

Nous voulons faire quelque chose de ludique pour transmettr­e le plaisir de l’écoute. Par exemple, en créant une carte postale sonore numérique, vous pouvez envoyer un mot personnali­sé sur le son de la Marangona de Venise ! Nous voudrions que « faire du son » devienne aussi populaire que prendre une photo avec son téléphone. Un minimum de qualité est requis bien sûr, et nous expliquons comment faire une prise de son, comment mettre en ligne les sons, etc.

Qu'est-ce qu'un bon son ?

À la base, il faut savoir l’enregistre­r et ce n’est pas seulement une question de technique. Comme pour la photograph­ie, il faut capturer un moment. Une image peut être extrêmemen­t touchante sans qu’elle soit parfaite d’un point de vue technique. C’est pareil avec le son. Après, je pense qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais sons. En travaillan­t sur la plateforme avec tous ces partenaire­s de cultures différente­s, je me suis rendue compte que ce qui est intéressan­t, justement ce n’est pas le son, mais l’écoute. Pour moi, la question importante est : « Qu’est-ce qu’écouter ? »

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Portrait de Monica Fantini
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