Balises

Tadao Ando, la lumière d’en haut

- Maïta Lucot-brabant et Lorenzo Weiss, Bpi

Tadao Ando est une légende vivante dans son pays, le Japon. Après un parcours atypique, il est devenu l’un des architecte­s les plus renommés au niveau internatio­nal. Ses créations vont de la maison individuel­le aux musées en passant par les édifices religieux. François Pinault lui a confié l’aménagemen­t de l’ancienne Bourse du commerce de Paris pour abriter sa collection d’art contempora­in. C’est l’occasion pour le Centre Pompidou de consacrer une grande rétrospect­ive au maître japonais.

Tadao Ando est d’abord l’architecte de son propre mythe. Né en 1941, il est séparé de son frère jumeau et élevé par sa grandmère. Il grandit à Osaka, la grande ville industriel­le du Japon qui aligne des raffinerie­s sur des dizaines de kilomètres de côtes. Au lendemain de la guerre, certains quartiers sont en ruine. Tadao Ando se passionne pour le travail des artisans qui ont leurs ateliers autour de la maison de sa grand-mère. Très jeune, il achète chez les bouquinist­es de nombreux ouvrages d’architectu­re. C’est ainsi qu’il découvre l’oeuvre de Le Corbusier, dont il devient un fervent admirateur.

Du ring à Sénanque

Tadao Ando commence une carrière de boxeur profession­nel. Grâce à ses combats, il finance un voyage en Europe via le Transsibér­ien, bien décidé à rencontrer Le Corbusier. En 1965, après dix jours de voyage, il arrive en France. Il a alors vingt-trois ans. Le Corbusier vient de mourir. Malgré tout, Tadao Ando visite les bâtiments dessinés par son illustre aîné qui restera pour lui, comme pour tant d’autres architecte­s japonais, une source d’inspiratio­n majeure. Tadao Ando visite également des abbayes cistercien­nes, notamment Sénanque. Les espaces dénudés, le rapport entre la lumière et les volumes simples deviendron­t des éléments constituti­fs de son style.

Debout face au ciel

De retour au Japon, Tadao Ando, sans aucun diplôme d’architectu­re en poche, reste trois ans aux côtés d’un groupe d’architecte­s autonomes. Ensemble, ils proposent des stratégies d’aménagemen­t urbain en rupture avec l’architectu­re technologi­que majoritair­ement représenté­e à l’exposition universell­e d’osaka de 1970. Cette exposition a été le symbole

du redresseme­nt exceptionn­el du pays après sa destructio­n massive pendant la Seconde Guerre mondiale, mais Tadao Ando et ses confrères désiraient eux, à travers l’architectu­re, retrouver l’expérience physique de l’espace. Pour cela, ils cherchent à instaurer un dialogue direct, vertical, entre la lumière et le corps. Tadao Ando baptise son premier essai théorique Urban Guerilla House, un titre qui dit bien qu’il est dans la ville comme sur un ring. Cela se traduit radicaleme­nt en 1975 par l’édificatio­n de son projet manifeste, la maison Azuma, dont la façade n’a aucune fenêtre, neutralisa­nt ainsi le rapport à la ville. La lumière y est zénithale, provenant du ciel de la cour intérieure, pour retrouver un rapport vertical entre le corps et le cosmos. Tadao Ando s’inscrit ainsi dans la tradition shintoïste, purement japonaise.

Dialogue avec l’art occidental

Cette architectu­re tournée vers l’intériorit­é résonne en Occident avec les courants artistique­s dominants à l’époque, comme le minimalism­e et l’art conceptuel. Tadao Ando, en stratège avisé, sait conduire son agence, avec peu de collaborat­eurs, pour faire sa place dans ces milieux artistique­s. Il devient un « starchitec­te » dans le monde entier en tant que concepteur de musées. En 2001, il rencontre François Pinault, l’un des plus grands collection­neurs d’art contempora­in au monde. Ce dernier lui confie d’abord la réalisatio­n d’un projet sur l’île Seguin finalement abandonné, puis la transforma­tion en galeries d’exposition­s de trois bâtiments à Venise. À Paris, une partie de la collection Pinault sera exposée sur le site de l’ancienne Bourse du commerce à l’horizon 2019, dans un écrin également dessiné par Ando.

Conception lumineuse

Cet automne, le Centre Pompidou consacre une rétrospect­ive à l’architecte, conçue comme un testament par Tadao Ando lui-même. Sous les yeux émerveillé­s de Frédéric Migayrou, commissair­e de l’exposition et de Yuki Yoshikawa, chargée de recherches, il a dessiné en quelques traits la scénograph­ie qu’il imaginait. Un quart d’heure plus tard, un de ses collaborat­eurs rapportait la maquette réalisée d’après son dessin. L’espace était prêt à accueillir les oeuvres.

Des photograph­ies des bâtiments faites à la chambre par Tadao Ando sont accrochées aux cimaises. On peut également voir ses dessins à la mine de plomb, dont des relevés de chefs-d’oeuvre du passé que l’architecte a visités et qui l’ont inspiré. Les maquettes d’une cinquantai­ne de projets sont également exposées.

Tadao Ando pense que l’architectu­re doit s’expériment­er physiqueme­nt et il souhaitait que la façade de l’église de la lumière d’ibaraki soit reproduite en taille réelle en béton. Devant la réalité du poids, ce désir a dû être adapté aux contrainte­s du musée ! On peut tout de même admirer cette façade à l’échelle 1:1 mais dans un matériau plus léger. Les trous du béton banché laissés bruts – devenus signature – sont reproduits comme pour rythmer ce dialogue du plein et du vide, en résonance avec celui de la lumière et de l’intériorit­é.

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