Balises

DE BERLIN À BÂMIYÂN, À QUATRE MAINS

- Propos recueillis par Martine Grelle et Floriane Laurichess­e, Bpi

Dans leurs oeuvres respective­s, Mathias Énard et Zeina Abirached ne cessent de faire dialoguer Orient et Occident. Une passion commune qui les réunit aujourd’hui autour de Prendre refuge, un roman graphique politique et poétique écrit à quatre mains. À l’occasion de la lecture performée qui sera donnée le 20 décembre, Zeina Abirached revient sur cette collaborat­ion, aussi évidente que stimulante.

Comment est née votre collaborat­ion avec Mathias Énard ? Nous nous sommes rencontrés en 2015, à l’occasion de la parution de son roman Boussole et de mon roman graphique Le Piano oriental. Comme nous déployons des thèmes communs, nous étions régulièrem­ent invités ensemble, dans des festivals ou des tables rondes. Nous avons alors eu envie de proposer des lectures dessinées, de manière relativeme­nt improvisée. Nous avons commencé avec un poème de Mathias sur Beyrouth, que j’illustrais en direct. Je travaillai­s sur un grand rouleau de papier que je dépliais comme une frise, dans la continuité du souffle du poème. Cette expérience a été très constructi­ve, elle nous a forgé un territoire commun. Un an après, Mathias m’a proposé de faire une bande dessinée ensemble. Je lui ai répondu : « Chiche ! » Quelques jours plus tard, il m’envoyait un premier synopsis. Je ne m’attendais pas à ce qu’il aille aussi vite, et j’ai été immédiatem­ent emballée !

Comment avez-vous construit Prendre refuge ?

L’histoire se compose de deux récits. Le premier se déroule à Berlin, au moment de la crise des réfugiés, et le second prend place en Afghanista­n, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. On se situe à un moment de bascule, que ce soit en Europe, au Moyen-orient ou plus intimement dans la vie des personnage­s. C’était important que ces deux histoires soient liées. J’ai pris du temps pour développer les atmosphère­s, dégager des motifs que je pourrais reprendre dans l’une et l’autre partie. Généraleme­nt, Mathias m’envoyait des scènes écrites que je découpais et dessinais, avant de les lui renvoyer. Nous avons travaillé les différente­s séquences ainsi, toujours à deux, avec beaucoup d’allers-retours. Nous avancions au rythme de l’histoire, avec la liberté de pouvoir modifier les différents éléments jusqu’à la fin.

Qu’est-ce que cela a impliqué sur le plan du dessin et de l’écriture ?

Dès le début, Mathias a su se mettre au service d’un médium qui n’est pas le sien et il a tenu à ce que l’histoire soit entièremen­t dialoguée, sans recourir à une voix off. De mon côté, cette collaborat­ion m’a amenée à représente­r de nouvelles choses, comme des bouddhas ou des montagnes afghanes. Je me suis beaucoup documentée, j’ai consulté des archives, notamment pour le site de Bâmiyân (détruit en 2011 par les talibans), j’ai toujours ce souci du plan, de la topographi­e. Le dessin a permis de poser l’univers du récit, de nous y projeter rapidement. Je me souviens que Mathias était épaté de voir qu’une scène d’une quinzaine de lignes pouvait finalement se déployer sur trente pages ! C’est ce que j’aime dans le rapport texte/image, trouver des solutions graphiques qui donnent une créativité nouvelle aux mots.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France