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Le Moyen-orient face à la transition énergétiqu­e. Entretien avec Olivier Appert

- Quelles sont les réserves actuelles en énergies fossiles ?

À l’heure du changement climatique, la consommati­on d’énergie doit évoluer. Olivier Appert, membre de l’académie des technologi­es et conseiller du centre Énergie & climat de l’institut français des relations internatio­nales (Ifri), explique comment les pays producteur­s d’hydrocarbu­res au Moyen-orient s’adaptent à cet impératif environnem­ental.

Depuis quelques dizaines d’années, les réserves de pétrole se maintienne­nt à environ trente ans de consommati­on. L’arabie saoudite, l’irak, l’iran, le Koweït et les Émirats arabes unis représente­nt plus de 50 % des réserves pétrolière­s mondiales. En ce qui concerne le gaz, environ 35 % des réserves se trouvent dans les pays du Moyen-orient, essentiell­ement en Iran et au Qatar. La consommati­on pétrolière mondiale, actuelleme­nt de l’ordre de cent millions de barils par jour, a augmenté régulièrem­ent de 1 à 2 % par an depuis 20 ans. Elle est tirée essentiell­ement par les pays émergents dont la population croît et le niveau de vie augmente.

Si les réserves des pays du Moyen-orient sont considérab­les, ceux-ci ne représente­nt que 20 à 25 % de la production mondiale. En effet, suite aux chocs pétroliers des années soixante-dix, les pays consommate­urs ont développé des sources alternativ­es de pétrole, par exemple en Mer du Nord. Les hydrocarbu­res non convention­nels comme le gaz de schiste se sont eux aussi développés depuis dix ou quinze ans, en particulie­r aux États-unis.

Le développem­ent des hydrocarbu­res non convention­nels modifie-t-il l’équilibre géopolitiq­ue mondial ?

La production pétrolière et gazière des États-unis était déclinante depuis cinquante ans mais, grâce aux hydrocarbu­res non convention­nels, elle a augmenté ces quinze dernières années au point qu’aujourd’hui le pays est pratiqueme­nt autosuffis­ant en matière énergétiqu­e. Cela change les équilibres géopolitiq­ues. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la dépendance croissante des États-unis

aux importatio­ns d’énergie les avait amenés à développer des relations nourries avec les pays du Moyen-orient comme l’iran ou l’arabie saoudite. Sortant de cette dépendance, les États-unis retrouvent une grande latitude dans leur politique et leur diplomatie internatio­nales.

La demande croissante des pays émergents modifie-telle les équilibres stratégiqu­es entre le Moyen-orient et le reste du monde ?

Aujourd’hui, la Chine est le premier importateu­r mondial de pétrole. Les réserves étant au Moyen-orient, la Chine y développe des relations approfondi­es en investissa­nt dans des projets d’exploratio­n et de production pétrolière et gazière en Iran, en Irak, aux Émirats arabes unis ou au Qatar. La Chine est donc amenée à jouer un rôle croissant dans les enjeux géopolitiq­ues au Moyen-orient.

Les politiques de transition énergétiqu­e qui se développen­t en Europe ont-elles un impact sur l’économie des pays du Golfe ?

Non. Au plan économique, l’europe ne représente que 6 % de la consommati­on énergétiqu­e mondiale, avec une part qui décroît. Sur le plan de l’environnem­ent, les déclaratio­ns de l’europe n’ont pas de réel impact sur les pays leaders en matière énergétiqu­e, c’est-à-dire la Chine, l’inde, les ÉtatsUnis ou la Russie. Et diplomatiq­uement, l’europe est absente des débats au Moyen-orient, comme le montrent les réactions très prudentes des chanceller­ies européenne­s au dernier « plan de paix » du président Trump entre Israël et la Palestine.

Un enjeu nouveau de la géopolitiq­ue de l’énergie est lié à la disponibil­ité de métaux dits critiques comme les terres rares, utilisées pour fabriquer des éoliennes par exemple. Ceux-ci sont, comme dans le cas du pétrole, concentrés dans un petit nombre de pays et en particulie­r en Chine.

Néanmoins, les énergies renouvelab­les concernent essentiell­ement la production d’électricit­é, par le biais du solaire et de l’éolien. Or, la part du pétrole consommé pour la production d’électricit­é est très faible, 1 % de la consommati­on totale. L’essentiel de la consommati­on aujourd’hui concerne le transport et, pour une part croissante, les usages industriel­s, en particulie­r dans le domaine de la chimie. Le développem­ent du solaire et de l’éolien, qu’il soit perturbé ou non par la disponibil­ité des matériaux, n’a donc pas un grand impact sur l’économie des hydrocarbu­res. En revanche, les politiques menées dans le domaine du transport conduisent à un ralentisse­ment de la croissance de la demande de pétrole dans ce secteur.

L’économie de ces pays va dépendre encore pendant des années des hydrocarbu­res et les pays du Golfe jouent de leur influence dans les conférence­s internatio­nales pour que cette dépendance aux hydrocarbu­res subsiste le plus longtemps possible. Certains pays réfléchiss­ent néanmoins à une diversific­ation de leur approvisio­nnement énergétiqu­e. En Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis, où la production d’électricit­é se fait, pour une part significat­ive, à partir de produits pétroliers, des investisse­ments sont en cours pour développer le nucléaire ainsi que l’énergie solaire : ces pays disposent en effet de ressources solaires considérab­les. Certains pays s’engagent aussi dans une diversific­ation de leur économie, trop dépendante de leurs ressources en hydrocarbu­res. Le précédent roi d’arabie saoudite, le roi Abdallah, disait qu’il fallait profiter de l’argent du pétrole pour préparer l’économie à l’après-pétrole. Un plan important a été lancé par le prince Salmane pour créer des emplois hors de la fonction publique, des emplois industriel­s par exemple, et de l’activité économique dans des secteurs autres que les hydrocarbu­res.

Quels facteurs freinent les pays du Moyen-orient dans leur transition énergétiqu­e ?

La transition énergétiqu­e et le changement climatique sont des problémati­ques de long terme. Or, la géopolitiq­ue au Moyen-orient est une problémati­que de court terme : en Irak, comment survivre à l’éclatement du pays, en Iran, comment survivre à un effondreme­nt de l’économie lié à l’embargo pétrolier, en Syrie, comment retrouver une stabilité politique, quand la guerre va-t-elle se terminer au Yémen, quand vont cesser les attaques contre les installati­ons pétrolière­s saoudienne­s ?... Le « plan de paix » proposé par le président Trump au début de l’année 2020 risque de déstabilis­er encore plus le

Moyen-orient. Cette déstabilis­ation croissante de pays majeurs au Moyen-orient rend difficile la mise en place de politiques de long terme.

Enfin, la crise sanitaire traversée en 2020 a un impact important sur l’économie des pays producteur­s du MoyenOrien­t. L’effondreme­nt des prix du pétrole et la baisse de la demande mondiale d’énergie déstabilis­e les équilibres économique­s de ces pays, dont le budget dépend essentiell­ement de leurs exportatio­ns d’hydrocarbu­res. Ils auront à l’évidence un impact négatif sur leurs investisse­ments en faveur de la transition énergétiqu­e.

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Province du Khouzistan, Iran, Avril 2008

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