Balises

Fragments et cailloux, par Catherine Meurisse

Certains objets nous accompagne­nt depuis l’enfance. Dans un texte inédit, Catherine Meurisse décrit le pouvoir d’évocation que revêt encore aujourd’hui, pour elle, un coquillage pris dans un morceau de pierre.

- Catherine Meurisse

Fossile : ‟Débris ou empreinte de plante ou d’animal, ensevelis dans les couches rocheuses antérieure­s à la période géologique actuelle, et qui s’y sont conservés” (dictionnai­re Larousse). ‟Trésor exhumé du sol ou des murs de la maison d’enfance” (dictionnai­re personnel). Ce coquillage pétrifié, qui a conservé sa forme primitive parfaite, m’accompagne depuis trente ans. Ce n’est que tardivemen­t que j’ai révélé son existence, son origine et son pouvoir d’évocation. Lui, comme ses homologues de calcaire et de poussière, a en effet trouvé une place dans mon album Les Grands Espaces (Dargaud, 2018), récit d’une enfance en milieu rural passée, avec ma soeur, à farfouille­r les herbes et la terre pendant que nos parents retapaient la vieille grange qui allait devenir notre maison. Au grenier, nous avions aménagé un petit musée : mollusques fossilisés, bouse séchée, clous rouillés ou fers à cheval antiques étaient nos trésors. Le coquillage est rond et bombé, la pierre qui l’épouse est découpée nettement ; sur ses côtés on distingue encore des traces de meuleuse. Mon père avait scié la pierre d’origine, trop lourde pour ses filles de sept et dix ans. Ainsi retaillé, le fossile devenait un parfait objet d’exposition, beau et maniable. Il avait rejoint les ammonites, pelotes de chouettes effraie et autres nids de fauvette tout secs sur les étagères vermoulues du musée. Si nous avions pris soin de rédiger des cartels, nous aurions évidemment écrit : “Ici, l’artiste questionne l’aspect vernaculai­re de son rapport au monde…”. Mais la simplicité – et l’heure du goûter – nous aveuglaien­t alors.

Le petit musée a fermé ses portes depuis longtemps. Le fossile me sert désormais de presse-papier ou de serre-livres. Il presse les papiers sur lesquels je dessine ou il serre les livres qui m’inspirent. Il serre par exemple Cahier de verdure, de Philippe Jaccottet (Gallimard, 1990), où l’on peut lire : “Je pense quelquefoi­s que si j’écris encore, c’est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d’une joie dont on serait tenté de croire qu’elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous.” Ce coquillage fossilisé est une empreinte de mon enfance et le symbole de mon attachemen­t à la campagne, à la terre et à la pierre, à l’art et aux musées. Fragment de roche, il m’invite à récolter d’autres fragments, “plus ou moins lumineux et probants”. De ces fragments et cailloux rassemblés naissent les bandes dessinées.

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