Ground control to major tom
Souvent définie comme l'art du temps par excellence, la musique serait-elle devenue, au 20e siècle, un art de l'espace ? Quelle influence exerce l'espace cosmique sur les musiciens ? Une sélection de titres pour le découvrir.
La musique était un art du temps. Elle est (re)devenue pratique et plastique sonore. L’espace est sa dimension – et parfois son thème. Trois éléments marquent cette évolution :
• une attention est portée à des sons plus ou moins affranchis des repères mélodiques, harmoniques et rythmiques ;
• les interactions avec les arts visuels ont pris le pas sur les relations entre musique et littérature, typiques des 18e et 19e siècles ;
• des techniques d’enregistrement, de reproduction et de mixage ont permis aux musiciens et aux auditeurs de détacher la musique et les sons de leur origine spatio-temporelle, et de les « jouer » dans des espaces simultanément de plus en plus confinés (jusqu’aux écouteurs) et de plus en plus vastes, grâce à l’amplification. Parallèlement à cette conquête du son, l’inspiration d’un grand nombre de musiciens témoigne d’une fascination de plus en plus grande pour le cosmique. Au risque du sublime comme de la pompe, parfois avec humour, l’espace y devient, plus qu’une donnée physique, une source d’inspiration.
The Heliocentric Worlds of Sun Ra, de Sun Ra
Fontana Records, 1965
À la Bpi, Niveau 3, 780.636 SUN. R et sur tympan.bpi.fr Herman Poole Blount, né en 1914, choisit le pseudonyme de Sun Ra en référence au dieu égyptien du soleil. Prétendant être un extraterrestre de Saturne en mission pour prêcher la paix, le compositeur et pianiste développe un personnage mythique et un jazz avant-gardiste.
En 1965, l’album The Heliocentric Worlds of Sun Ra est composé de morceaux faisant référence au cosmos, aux nébuleuses, au Soleil ou encore à d’autres mondes. Inspiré du free jazz, il s’agit d’un mélange de compositions et d’improvisations, à la fois percussives et dans un flow continu.
Interstellar Space, de John Coltrane
Impulse, 1974
À la Bpi, Niveau 3, 780.634 COLT et sur tympan.bpi.fr Interstellar Space est une session en duo entre le saxophoniste John Coltrane et le batteur Rashied Ali, enregistrée en février 1967 et produite à titre posthume en 1974, après la mort de Coltrane en juillet 1967. Chacun des quatre morceaux prend le nom d’une planète : Mars, Venus, Jupiter, Saturn. Cet album, voyage cosmique et spirituel, constitue une pierre angulaire du free jazz. Le batteur ne suit pas de rythme précis et John Coltrane ne respecte aucune ligne mélodique.
Atmosphères, Aventures, Lux Aeterna et Requiem for Soprano, Mezzo-soprano, 2 Mixed Choirs and Orchestra, de György Ligeti
Sur l’album 2001: a Space Odyssey, bande originale du film de Stanley Kubrick, Turner Entertainment/rhino Records, 1996 À la Bpi, Niveau 3, 783.7 DEU et sur tympan.bpi.fr
Les voix de Ligeti hantent toutes les séquences du film de Stanley Kubrick 2001, l'odyssée de l'espace (1968), illustrant la solitude de l’humain perdu en lui-même et face à l’infini. Tout autant que les roulements de timbales et les cuivres grandioses d’also Sprach Zarathustra de Richard Strauss, ces voix marquent des générations de spectateurs et restent durablement associées aux célèbres plans que traverse le monolithe noir.
Space Oddity, de David Bowie
Philips Records, 1969
À la Bpi, Niveau 3, 780.65 BOWI et sur tympan.bpi.fr L’année où l’homme pose le pied sur la Lune, David Bowie capte l’air du temps et met en scène l’errance d’un astronaute, Major Tom, livré à lui-même dans l’espace après la rupture des communications avec la tour de contrôle. Le titre, littéralement « Bizarrerie spatiale », un ironique écho à 2001, l'odyssée de l'espace, est utilisé par la BBC pour l’alunissage d’apollo 11, faisant de ce titre le premier grand succès de Bowie.
La même année, le premier album de Janis Joplin, I Got Dem Ol'kozmic Blues Again Mama ! devient disque d’or aux États-unis. En 1971, le titre Cosmic Dancer, du groupe T. Rex, contribue à faire de leur album Electric Warrior une
pierre angulaire du glam rock. En 1973, le concept-album The Dark Side of the Moon propulse Pink Floyd vers le succès planétaire : même si leur paroles n’évoquent pas directement l’espace, les titres psychédéliques de l’époque ont la tête dans les étoiles.
Michaels Reise um die Erde, de Karlheinz Stockhausen Musikfabrik, 2018
À la Bpi, Niveau 3, 78 STOC et sur tympan.bpi.fr
Licht (« lumière ») est un cycle de sept opéras d’une durée de vingt-neuf heures, chaque opéra représentant un jour de la semaine – soit classiquement, un jour pour chaque astre du système solaire antique. Donnerstag (jeudi, jour de Jupiter) met en scène « le voyage de Michel autour de la Terre » ( Michaels Reise um die Erde, 1978), sous la forme d’une sorte de dialogue entre la trompette (Michel) et les autres instruments de l’orchestre.
Pléiades, de Iannis Xenakis
Harmonia Mundi, 1986
À la Bpi, Niveau 3, 78 XENA et sur tympan.bpi.fr
Plus grande oeuvre pour percussions seules écrite par le compositeur Iannis Xenakis, également architecte et mathématicien, Pléiades (1978-79) s’inspire de la disposition arbitraire de la constellation du même nom pour produire une musique où l’ordre ne s’impose pas à la matière, n’est jamais donné, mais se construit au fur et à mesure des interactions entre les composants.
Le Noir de l’étoile, de Gérard Grisey
Super Audio CD, 2004
À la Bpi, Niveau 3, 78 GRIS et sur tympan.bpi.fr
En 1990, Gérard Grisey écrit une pièce pour six percussionnistes et transmission de signaux astronomiques ou pulsar, émis par « l’explosion d’une supernova ayant jadis désintégré des étoiles massives » selon Jean-pierre Luminet, l’astrophysicien qui a assisté l’artiste pour créer Le Noir de l'étoile. En découle un dialogue entre les musiciens et une étoile morte il y a longtemps très, très loin de nous, mais dont le signal nous parvient encore.
#1, d'animal Collective
Sur l’album Strawberry Jam, Domino Records, 2007 Gimmicks au synthétiseur, battements sourds de tambours, murmures, choeurs et voix vocodées parcourent ce titre qui rappelle autant les expérimentations psychédéliques que le minimalisme de Philip Glass. Dans un entretien aux Inrockuptibles en 2012, Animal Collective explique : « Le fait que les signaux FM aient suffisamment de puissance pour quitter l’atmosphère et voyager dans l’espace nous a menés vers une sorte d’imaginaire extraterrestre. »
Claude-marin Herbert et Marion Carrot, Bpi
Article initialement paru sur balises.bpi.fr, le 30 avril 2013