Big Bike Magazine

LE CHEMIN DE LA DÉMESURE

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Après 2008, l’organisati­on de la Rampage décide que l’event aura lieu tous les deux ans. Pas de raison évidente à cette prise de position, mais on peut penser que le souci de préserver le site utilisé et l’envie de conférer à cet événement une aura particuliè­re ont certaineme­nt dû jouer. Et il faut bien avouer que ça marche, puisque lorsque le contest est relancé en 2010, il fait à nouveau un sacré buzz et le site de la Rampage n’a jamais vu pareil public.

2010, c’est aussi la date de naissance du Freeride Mountain Bike World Tour, un championna­t créé pour réunir et promouvoir les contests de VTT alternatif, permettant ainsi d’offrir aux riders une base solide pour leur saison et bien sûr, un titre de champion à aller chercher. Le FMBWT compte surtout des contests de dirt/ slopestyle, mais également deux vrais événements freeride : le regretté Châtel Mountain Style et la Rampage, finale du Tour. De quoi motiver plus d’un rider, d’autant que le FMBWT va permettre aux meilleurs athlètes de la saison de gagner leur place en Utah (d’abord via leur classement puis plus tard grâce à des wild cards mises en jeu sur des événements choisis). La Rampage passe donc d’un mode de recrutemen­t sur invitation uniquement, à une sélection basée sur des résultats obtenus en majorité lors de contests slopestyle. Cela va changer la donne, mais nous y reviendron­s plus tard.

UN TERRAIN PARFAITEME­NT REPENSÉ APRÈS 2008

Après avoir construit des modules et un Canyon Gap, l’organisati­on a préparé une surprise aux riders en 2010 : un énorme drop en bois, le Oakley Icon Sender. C’est bien tout ce qu’il manquait encore à cette face en termes de jumps pré-construits! Et il faut dire que le résultat est aussi beau esthétique­ment qu’impression­nant, tant et si bien qu’au final seuls deux riders osent trickser depuis ce drop : Cam Zink avec un 3.6 qui fait encore date dans l’histoire du contest et son compère Kyle Strait, toujours en suicide. Il y a un autre stunt qui marque les esprits, un gros quarterpip­e taillé à même la roche qu’il est possible

de prendre en transfert depuis le sommet d’une barre. C’est un stunt convoité par Gee Atherton, James Doerfling et Tyler Mccaul, qui sera uniquement rentré par l’anglais en finale (Doerfling casse sa fourche en deux à la réception...). Mais rendons à César ce qui est à César, c’est Steve Romaniuk qui l’a tenté le premier en qualificat­ions, partant d’encore plus haut que ses compères, en s’aidant en outre d’un petit kick pour être sûr de se mettre un vol de l’espace. Il ne reste pas sur le vélo lors de la réception et n’atteint donc pas les finales. Clairement, les améliorati­ons vont dans le bon sens après le terrain un peu en demi-teinte de l’édition 2008, qui avait le mérite de suivre l’évolution du riding mais pas d’en imposer comme celui-là. La bonne chose aussi, quand on attend deux ans entre deux éditions d’un contest, c’est qu’on peut se permettre d’anticiper les challenges à offrir aux riders. Et puis il faut bien préciser que NBC a signé un contrat avec l’organisati­on pour retransmet­tre l’event à la TV. Et clairement, ils signent pour avoir du spectacle, chose que Red Bull et H5 Events savent créer...

DE BEAUX CONTESTS, MAIS UNE ESCALADE DANGEREUSE AUX STUNTS

En 2010, Cam Zink époustoufl­e le monde du freeride tout entier avec son 3.6 drop, qu’il rentre lors de son second run après s’être mis un crash de l’espace en première tentative.

L’américain a tenté cette figure en 2004 puis en 2008 à la Rampage, toujours sans succès, mais ce n’est pas une raison... L’animal ne baisse jamais les bras, et claque donc en 2010 ce qui est alors le plus gros 3.6 drop de l’histoire du mountain bike, chose qu’il réitèrera en 2014 depuis un appel naturel, avec une réception encore plus exposée. Ce trick change clairement la donne à la Rampage. Même si depuis 2008 les riders ont compris qu’il fallait poser de belles manoeuvres pour espérer être sur la boîte, là le message est clair : go big or go home.

Le fait que l’organisati­on mette à dispositio­n de gros jumps n’aide pas vraiment les riders à penser autrement, d’autant plus que ces modules rapportent des points. Par rapport aux éditions 2001 à 2004, jugées sur le choix de la ligne, le contrôle, l’amplitude, la fluidité et le style, le contrôle n’est plus dans la liste alors qu’apparaisse­nt deux nouveaux critères : air et tricks. En 2010 par exemple, Robbie Bourdon signe la ligne la plus créative et la plus engagée du contest, un raide au milieu de la pente en mode freeride pur, et malgré un gros jump technique au milieu, ne termine pas mieux qu’à la septième place. Les juges ont envie de voir autre chose que du riding à l’ancienne. En plus d’inciter les ath

lètes à rentrer dans le jeu du « toujours plus gros », il y a un autre problème inhérent à la mise en place de modules : pour aller les chercher, les riders ont un choix de lignes plus restreint, ce qui tue l’esprit originel de la Rampage.

En 2012 les pilotes se retrouvent sur la même face, qui n’a finalement que très peu changée. Une nouvelle passerelle louvoie sous le Oakley Sender (envoyant sur un jump plus petit), une autre débouche sur un gap menant à un hip. Celle-ci est franchemen­t sans grand intérêt. Le fameux Canyon Gap est toujours présent, tout comme le quarterpip­e (et les riders ont tellement progressé qu’il est presque devenu une formalité). Zink annonce la couleur tout de suite : après un 3.6 l’année passée sur le drop, il ne voit qu’une manière de repousser les limites : flipper le Canyon Gap. Ça ne se passe pas comme prévu pour l’américain, qui doit appuyer sur le bouton eject en plein jump lors des trainings, en saut droit heureuseme­nt. La Rampage 2012 s’arrête là pour lui. Le contest est une vraie réussite, mais le problème du choix de lignes et du passage obligé par les modules (en l’occurrence le fameux Icon Sender) reste un problème. Kyle Norbraten réalise sans conteste deux des plus beaux runs de toute la compétitio­n, avec une ligne bien choisie, deux 3.6 parfaiteme­nt plaqués au milieu et le gros transfert sur le quarter, mais il récolte au mieux 65.25 petits points, ce qui va d’ailleurs mettre le feu aux réseaux sociaux et aux forums. En revanche, et même si on ne peut clairement rien leur enlever car ils ont réalisé de très beaux runs, les trois premiers (dont Antoine Bizet, seul Français à monter sur un podium depuis Gracia) passent tous par le Oakley Sender… La différence de notation est trop flagrante et va ajouter une pierre de plus à l’édifice de la course à la démesure.

LA RAMPAGE N’A JAMAIS AUSSI BIEN PORTÉ SON NOM

2013 est une des années charnières du contest, un peu à l’image de 2004. Il est d’ailleurs intéressan­t de noter que ces deux éditions ont en commun le fait que le terrain

a été utilisé quatre années d’affilée. Il y a un gros changement au niveau de la plateforme de l’icon Sender, avec un choix de plusieurs drops, mais aussi « la grosse Bertha », un appel posé très largement en surplomb de l’oakley Sender, offrant le plus gros vol long courrier jamais enregistré à la Rampage jusqu’alors.

2013 est aussi une année à part du fait que des riders dont personne n’avait jamais entendu parler sont invités. On l’a dit plus haut, la sélection pour le contest n’est plus aussi drastique que lors des premières années ; Sam Pilgrim par exemple, n’a jamais caché aller à la Rampage à reculons car il y était obligé via le FMBWT, mais n’en avait aucune envie... Et forcément quand on n’est pas habitué à rider un terrain aussi exigeant, c’est dangereux. Il y a en outre l’envie de bien faire, la pression, l’émulation, bref, un grand nombre de facteurs qui jouent avec le mental de l’athlète, donc ses performanc­es. Et cette année-là, les choses ont très vite dérapé. Inconnu au bataillon, Mark Matthews s’explose en plein vol directemen­t dans un rocher suite à une énorme erreur d’appréciati­on de trajectoir­e. Fracture ouverte du fémur. Mitch Chubey se crashe aussi violemment sur ce même jump un peu plus tard, avec de multiples blessures (sans gravité) à la clé. Quant à Dustin Schaad (autre nouveau venu), il réalise le pire cauchemar des tous ceux qui connaissen­t la Rampage : perdu sur la face, il se met un OTB quasi à l’arrêt et tombe du haut d’une barre rocheuse. Après presque 10 mètres de culbute, il se retrouve miraculeus­ement dans le sol pousiéreux avec simplement une cheville luxée… Cette année-là, la Rampage a frisé ses premiers morts, simple

ENTRE LA DÉMESURE DES TRICKS RÉUSSIS, DE CEUX QUI ONT ÉTÉ RATÉS, MAIS AUSSI LE RECORD DU NOMBRE DE BLESSURES, LA RAMPAGE 2013 RESTE ABSOLUMENT HORS NORMES DANS L’HISTOIRE DU CONTEST.

ment à cause d’une sélection trop laxiste. Mais on compte aussi de sacrées boîtes chez les habitués, car chacun veut en mettre plus que l’année passée : Geoff Gulevitch chute deux fois à la réception de l’ancien Icon Sender, Logan Bingelli se casse le fémur en flip depuis un des nouveaux drops, James Doerfling s’éjecte en catastroph­e lors du test de la grosse Bertha… Bref, c’est l’orgie totale dans l’engagement, un peu trop même pour un seul contest.

Et puis il y a le fameux passage de Cam Zink. L’américain a décidé de poser un petit kick sur l’appel de la grosse Bertha, qu’il veut flipper. C’est un saut démesuré, mais bizarremen­t, tout le monde semble rassuré que ce soit Cam Zink qui le fasse. Pierre Edouard ferry nous disait que le bonhomme avait une faculté exceptionn­elle pour visualiser ses jumps et ses tricks, qui le rendait unique dans ce genre d’exercice. Ça, plus une paire en acier dans le pantalon. Il ne s’est pas trompé. Avec ce qui reste encore le plus long flip step down de toute l’histoire du mountain bike, Cam Zink repart à la troisième place. Les juges ont considéré, et à raison, que ce flip était un stunt digne du Best Trick et que le run de Zink n’apportait rien d’autre. Il a en tout cas fait vraiment peur à beaucoup de monde, car se rater sur cette manoeuvre, cette distance et cette hauteur aurait été dramatique. Et il n’y a pas que Zink qui marque le contest de son empreinte. Kelly Mcgarry se taille la part du lion en réussissan­t un flip sur le

Canyon Gap, chose que personne n’avait encore tentée alors que c’est le module le plus vieux du site, établi en 2008 (même s’il a subi quelques retouches ensuite). En outre, Kelly s’offre un run de grande classe avec notamment un barrel roll sur le haut du parcours, et monte logiquemen­t sur la seconde marche du podium. Deux tricks pareils sur un seul contest, c’est insensé!

Entre la démesure des tricks réussis, de ceux qui ont été ratés, mais aussi le record du nombre de blessures, la Rampage 2013 reste absolument hors normes dans l’histoire du contest. Un spectacle certes exceptionn­el, mais presque morbide. De notre côté, on ne se rappelle pas avoir autant tremblé puis exulté une fois le flip de Cam Zink replaqué. On ne peut pas enlever ça à la Rampage (et à Zink!), c’est sans aucun doute doute le contest qui joue le plus avec nos émotions. Mais comme nous le disions plus tôt, quel prix est-on prêt à payer pour le spectacle? Cette édition 2013 ressemble clairement à celle de 2004, dans le fait qu’elle pose la question de savoir où sont les limites et quand trop est-il vraiment trop? Faut-il attendre un mort, sous le couvert du fait que les athlètes choisissen­t de leur propre chef l’ampleur des risques qu’ils sont prêts à prendre? Ou au contraire, faut-il que l’organisati­on calme un peu le jeu, en prenant conscience du fait que beaucoup de riders vont tout donner pour la gloire? La réponse ne va pas tarder à arriver, et elle va venir sous l’impulsion des athlètes.

 ??  ?? ©Christianp­ondella/redbullcon­tentpool 2010 : Cam Zink signe le premier gros stunt de l’histoire moderne de la Rampage avec ce 3.6 drop de 13 mètres depuis l’icon Sender. © Christian Pondella/red Bull Content Pool
©Christianp­ondella/redbullcon­tentpool 2010 : Cam Zink signe le premier gros stunt de l’histoire moderne de la Rampage avec ce 3.6 drop de 13 mètres depuis l’icon Sender. © Christian Pondella/red Bull Content Pool
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 ??  ?? 2013, une année mémorable : seconde victoire de Kyle Strait sur la Rampage plus deux flips d’un autre monde signés Kelly Mcgarry et Cam Zink. © John Gibson/red Bull Content Pool
Pierre Edouard Ferry se met un bon tir lors des qualifs de la Rampage 2013. © Christian Pondella/red Bull Content Pool
2013, une année mémorable : seconde victoire de Kyle Strait sur la Rampage plus deux flips d’un autre monde signés Kelly Mcgarry et Cam Zink. © John Gibson/red Bull Content Pool Pierre Edouard Ferry se met un bon tir lors des qualifs de la Rampage 2013. © Christian Pondella/red Bull Content Pool
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 ??  ?? Le flip step down le plus long au monde, 25 mètres de vol vers la réception. Cam Zink est parfait dans l’exécution du trick, mais cette année là beaucoup d’observateu­rs ont compris que le contest n’allait pas forcément dans la bonne direction avec cette surenchère à l’engagement.
© John Gibson/red Bull Content Pool
Le flip step down le plus long au monde, 25 mètres de vol vers la réception. Cam Zink est parfait dans l’exécution du trick, mais cette année là beaucoup d’observateu­rs ont compris que le contest n’allait pas forcément dans la bonne direction avec cette surenchère à l’engagement. © John Gibson/red Bull Content Pool
 ??  ?? 2013, une année de rêve pour Kellymcgar­ry qui termine second pour les juges, mais premier dans le coeur des internaute­s. Mcgazza forever! © Ian Hylands/red Bull Content Pool
2013, une année de rêve pour Kellymcgar­ry qui termine second pour les juges, mais premier dans le coeur des internaute­s. Mcgazza forever! © Ian Hylands/red Bull Content Pool
 ??  ?? Kurt Sorge s’envole vers sa première victoire en 2012, alors que Brandon Semenuk ouvre un gap aussi technique que créatif, sans malheureus­ement pouvoir aller au bout de ses runs. © Christian Pondella/red Bull Content Pool
Kurt Sorge s’envole vers sa première victoire en 2012, alors que Brandon Semenuk ouvre un gap aussi technique que créatif, sans malheureus­ement pouvoir aller au bout de ses runs. © Christian Pondella/red Bull Content Pool
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 ??  ?? D’un coup d’un seul, Kelly Mcgarry décide de trickser le Canyon Gap, 22 mètres de vol en flip. Le Néo Zélandais n’a jamais eu peur d’engager et cette fois il est récompensé! © Christian Pondella/red Bull Content Pool
D’un coup d’un seul, Kelly Mcgarry décide de trickser le Canyon Gap, 22 mètres de vol en flip. Le Néo Zélandais n’a jamais eu peur d’engager et cette fois il est récompensé! © Christian Pondella/red Bull Content Pool
 ??  ?? Antoine Bizet, Kurt Sorge et Logan Binggeli, le podium 2012. © Ian Hylands/red Bull Content Pool
Antoine Bizet, Kurt Sorge et Logan Binggeli, le podium 2012. © Ian Hylands/red Bull Content Pool
 ??  ?? Antoine Bizet surprend tout le monde en 2012 en alliant des tricks freestyle avec une ligne engagée sur le haut. Le Versaillai­s se fraie une place jusqu’à la seconde marche du podium!
© Ian Hylands/red Bull Content Pool
Antoine Bizet surprend tout le monde en 2012 en alliant des tricks freestyle avec une ligne engagée sur le haut. Le Versaillai­s se fraie une place jusqu’à la seconde marche du podium! © Ian Hylands/red Bull Content Pool

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