BATTLE ROYALE
QUEL VÉLO POUR L’ENDURO CHEZ CANYON ?
Chez Canyon, le Strive et le Spectral sont deux vélos qui jouent sur le même tableau. On s’est ingénié à les pousser dans leurs retranchements pour un combat épique, afin de savoir lequel des deux serait notre arme de prédilection en enduro.
Dans la gamme Canyon le Spectral et le Strive sont tellement proches sur le papier que l’on a souhaité les tester ensemble histoire de cerner la logique de cette segmentation. En effet, le premier développe 160/150 mm de débattement Av/ar, alors que le second affiche 170/150. Se baser sur la suspension, comme on le fait souvent pour catégoriser les vélos, n’est pas dans ce cas un critère suffisant pour choisir sa monture de prédilection pour une pratique enduro.
STRIVE ET SPECTRAL : QUELLES DIFFÉRENCES ?
Chez Canyon, le Strive est à la fois présent dans les vélos de Trail et dans ceux d’enduro, tandis que le Spectral est proposé comme un Trail uniquement. Pourtant, quand on regarde les deux vélos plus en détails en termes d’équipement par exemple, le moins que l’on puisse dire est que l’écart est mince. Pour ce test, les deux bikes nous ont été livrés dans leur version très haut de gamme. Ils utilisent un châssis full carbon avec une cinématique de type Horstlink, c’est-à-dire avec la roue arrière fixée sur les haubans et non sur les bases. C’est une cinématique à point de pivot virtuel, où le point de pivot est placé à l’intersection des droites formées par les axes des bases et ceux de la biellette.
Le point intéressant ici, c’est que cette cinématique n’est pas utilisée de la même manière sur les deux vélos. Tout d’abord, l’amortisseur est placé différemment : à la verticale devant le tube de selle sur le Strive et quasi à l’horizontale sur le tube diagonal sur le Spectral. D’un point de vue du centre de gravité, avantage au Strive donc, mais il faut reconnaître que les amortisseurs oléopneumatiques sont très légers et que l’impact ne doit pas être très significatif. La principale différence est surtout que sur le Spectral l’amortisseur est comprimé directement par les haubans (guidés par une petite biellette) et non par la biellette supérieure comme sur le Strive. D’autre part, la position des points de pivot virtuels est très différente. Initialement, plus haut et plus en avant sur le Spectral, ce qui implique forcément des comportements différents sur le terrain, nous y reviendrons.
L’amortisseur du Spectral est fixé sur un flip chip qui permet d’ajuster un peu sa géométrie, 0.5° d’influence sur les angles. On a roulé constamment sur la position offrant les angles les plus ouverts, l’angle de selle est bien droit, ça ne pénalise pas la montée. L’intérêt de ce réglage est finalement assez limité. Sur le Strive, c’est une toute autre philosophie puisqu’on trouve le système Shape Shifter. Un petit piston commandé depuis le guidon vient déplacer le pied d’amortisseur sur la biellette. Cela remonte le boîtier de pédalier, ferme les angles de selle et de chasse (+1.5°) et diminue le ratio de suspension (la rendant plus ferme). Sur le papier l’idée est top, dans les faits ce n’est pas si évident. Côté cadre, on remarque un sloping plus prononcé sur le Spectral, intéressant car cela facilite les mouvements du pilote sur le bike dans les passages très techniques. C’est donc vraiment un atout en descente… Le cadre du Strive est annoncé à 700 g de plus que celui du Spectral, logique compte tenu de la vocation un peu plus engagée de son programme. Au niveau des détails de conception, on note le guidage des gaines dans un tube situé à l’intérieur du cadre facilitant, ce qui facilite leur routage. D’autre part, on trouve des boîtiers de pédalier filetés, plus simples à changer pour les usagers. Voilà deux points importants pour Canyon, parce que leurs clients ne passent pas par un shop, mais aussi tout simplement pour faciliter les manipulations en termes d’entretien. Les bases sont protégées par de gros pads en caoutchouc qui limitent aussi considérablement les bruits de chaîne, parfait sur un châssis carbone !
Un mot enfin sur les géométries, le point où les différences sont sans doute les plus notables : 1.5° d’écart sur les angles de chasse et près de 2.5° sur les angles de selle, c’est énorme. D’autant plus que c’est le Spectral qui hérite de l’angle de direction le plus couché et de l’angle de selle
le plus droit… Le bike dispose aussi d’un reach et d’un empattement plus importants (respectivement +26 mm et +22mm), il semble clairement davantage dans l’air du temps. On note également un boîtier de pédalier un peu plus bas sur le Spectral (4 mm) et des bases sensiblement identiques. La géométrie et la cinématique, avec leurs impacts sur le comportement dynamique du vélo en action, seront donc davantage des critères de choix pour le futur acquéreur que le débattement ou l’équipement.
ÉQUIPEMENT
Les deux vélos testés ici ont été livrés dans leur version ultra haut de gamme, avec un montage full XTR. On retrouve donc sur les deux modèles les freins et la transmission haut de gamme Shimano. Le Strive fait juste une petite entorse au full XTR pour la cassette, du XT. Les deux vélos sont équipés de disques de 200 mm devant et 180 mm derrière, un excellent choix pour la puissance et l’endurance. On trouve aussi des plaquettes ventilées : certains pestent sur le petit cliquetis qu’elles peuvent émettre en roulant, mais le gain en endurance est net par rapport aux non-ventilées. Le léger désagrément auditif n’est rien par rapport aux avantages en termes de pilotage.
Les deux vélos sont aussi équipés de suspensions Fox Factory. Une 36 en 170 mm de débattement devant sur le Strive et en 160 mm sur le Spectral. Cette fourche est réglable en compression/détente haute et basse vitesse. A l’arrière on trouve un DPX2 réglable en compression et détente. Celui du Spectral dispose d’un levier trois positions pour durcir la suspension à la montée, le Strive s’en passe avec le système Shape Shifter.
Les deux bikes sont équipés de belles roues en carbone DT Swiss, des EXC 1200 sur le Strive et des XMC 1200 sur le Spectral, qui affichent 200 grammes de moins sur la balance. Seul le cercle change, on retrouve en effet les mêmes excellents moyeux sur les deux paires de roues. A l’arrière, elles sont chaussées de Maxxis Minion DHR II en 2.4’’ sur les deux bikes, tandis qu’à l’avant on trouve du Assegai en 2,5’’ sur le Strive et du Minon DHF dans la même dimension sur le Spectral. Le tout en carcasse EXO et gomme 3C.
On trouve également profusion de pièces en carbone, comme les cintres et les pédaliers, des très beaux Race Face Next, SL sur le Spectral et R sur le Strive, ce dernier étant plus robuste sur le papier. Les tiges de selles télescopiques sont des One-up en 180 mm de course. Le montage de ces deux vélos ne porte à aucun reproche, et cerise sur le gâteau, les tarifs sont très bien placés. Avantage au Strive avec 300 € de moins cependant. En termes de poids, c’est en toute logique Spectral qui s’en tire le mieux, avec 13.6 kg contre 14.3 pour le Strive. Quoi qu’il en soit, les deux sont hyper bien placés sur la balance.
LE TERRAIN EN GUISE DE JUGE DE PAIX
Au niveau des positions, les deux bikes sont assez différents et c’est logique compte tenu des côtes de chacun d’eux. On retrouve le même poste de pilotage avec le même ensemble potence au shape agréable, mais les sensations ne sont pas du tout les mêmes aux commandes.
La position offerte par le Strive 29’’ est excellente en descente mais moins en montée. Avec le Shape Shifter en mode descente, le poids est porté sur l’arrière et c’est nickel, notamment lorsqu’il faut prendre un virage le cul sur le selle. Le top tube est assez long aussi, on est parfaitement installé pour souder. En actionnant le Shape Shifter
pour la montée, on sent le top tube se redresser mais le poids du corps reste encore un peu trop porté sur l’arrière, plus que sur ce que le majeure partie de la production actuelle offre. Du coup, le confort dans les montées (très) raides en pâtit forcément. Il ne faut pas hésiter à avancer la selle sur le chariot pour rattraper un peu le coup… Sur le Spectral, c’est une autre ambiance : le tube de selle est beaucoup plus droit, portant plus de poids sur les bras, mais la position est parfaite pour pédaler dans les montées abominables. Du fait de cet angle de selle plus droit, le vélo donne l’impression d’être plus compact que le Strive en position assise. Il faut dire que le tube de selle du Strive renvoie bien vers l’arrière (en angle réel), donc avec une bonne sortie de tige de selle en prime, le pilote se retrouve bien allongé.
Pour tester ces deux vélos nous les avons confrontés aux mêmes parcours évidemment. Nos spots classiques avec les pistes de test de la catégorie Enduro du Spécial Test, les trails exigeants des Seiglières mais aussi de belles randonnées en montagne afin de juger de la polyvalence de ces vélos.
Si en termes de position notre préférence va plus spontanément au Spectral, grâce notamment à une meilleure position de pédalage, c’est finalement le Strive qui est le plus évident à prendre en main quand la pente s’inverse. Sa suspension moins ferme lui permet de mieux coller au terrain et avec sa géométrie est moins radicale, c’est finalement celui qui se laisse le plus facilement amadouer dans la phase de découverte. Le Spectral est plus ferme, il semble immédiatement moins confortable et demande plus d’agressivité en termes de pilotage, dans les courbes notamment. C’est le prix à payer d’une géométrie agressive. Une fois passé le cap de la prise en main et des réglages, on peut rentrer dans le vif du sujet et s’attaquer à des trails plus corsés. 20% de SAG sur les deux fourches, 30% sur les amortisseurs. Compression haute vitesse fermée de deux crans, basses de 6 crans, idem sur les détentes. Sur les amortisseurs, deux clics de moins en compression sur le Spectral du fait d’une suspension qui durcit plus tôt. Sur des pistes cassantes jonchées de racines qui sortent dans les zones de freinage, et des virages sans le moindre appui, le Strive est hyper efficace, notamment en termes de conservation de vitesse. Le bike ne s’ancre pas dans le relief et roule avec une fluidité hyper appréciable. Les suspensions très sensibles en début de course filtrent bien le
relief et offrent du confort dans les portions détruites. Le bike débat généreusement et épargne le pilote physiquement. Le Spectral est tout aussi rapide, peut-être même encore plus d’ailleurs, mais il s’avère plus physique à piloter. Il dégage une plus grande sensation de rigidité et la suspension arrière durcit plus vite sur sa course. Cela demande au pilote de faire l’effort d’accompagner davantage le vélo avec les cuisses. C’est un peu plus usant sur les longues descentes mais cela rend le bike un peu plus nerveux et plus joueur. Là où on va se reposer sur la suspension du Strive, on va jouer un peu plus avec le terrain avec le Spectral. Ce comportement se fait notamment sentir sur les sauts, où il réagit mieux aux petites impulsions, mais aussi sur bunny-up ou lorsqu’il faut pomper dans les compressions pour conserver de la vitesse. En définitive, les deux vélos sont aussi efficaces l’un que l’autre mais le Strive fait dans la sobriété alors que le Spectral est plutôt dans la démonstration. Ils ont juste un caractère différent.
A haute vitesse, malgré un angle de chasse plus couché sur le Spectral, on ne peut pas dire que le Strive soit en retrait. Les deux vélos permettent de rouler à des vitesses soutenues sereinement. Au freinage par contre, si les deux modèles offrent de très bonnes sensations en termes d’adhérence et de stabilité, c’est au niveau du confort que le Strive se démarque. Le Spectral donne plus l’impression de frapper le terrain, et pas uniquement de l’arrière.
A l’avant, ce ne sont pas les 10 mm de débattement en moins qui peuvent générer autant de différence, on ne doute pas que le châssis plus compact du Spectral doit aussi avoir sa part de responsabilité dans ces sensations. Si l’angle de chasse plus ouvert du Spectral n’apporte pas un gain flagrant de stabilité, il apporte par contre un plus indéniable quand il faut inscrire le bike dans des grandes courbes rapides. On sent que la manoeuvre est beaucoup plus naturelle et facile. Il faut forcer un peu plus le Strive lors de l’entrée en courbe. Dans les virages à plat les deux vélos se comportent bien, ils offrent de bonnes sensations de grip, on sent bien le terrain, c’est précis. Mais dans les deux cas, on est dans la limite haute de rigidité : certes, ils sont exploitables mais restent sensibles aux conditions du sol. Ces bikes ne sont pas des barres à mine, mais quand le terrain devient scabreux il ne faut pas faiblir au guidon. Dans les dévers truffés de racines il ne faut pas trop espérer profiter de tolérance : on gaine et on lâche les freins, mais on sent que les vélos ont tendance à gigoter là où on sent à peine les racines avec certains modèles. Une sortie sur les trails des Seiglières, dans des conditions bien grasses, nous l’a confirmé. Les Canyon se sont montrés plutôt exigeants, avec notamment des réactions assez sèches au freinage dans les racines, où l’on a eu la sensation de subir et de faire un peu flipper. En roulant dans les mêmes conditions avec un Scott Gambler en alu par exemple, nous étions nettement plus à l’aise. Ici tout est en carbone, même les roues, et peut-être que le simple fait de repasser en jantes alu dans ces conditions corrigerait cet excès d’exigence.
Quand les virages offrent des appuis ou des ornières pour caler les roues, là encore les comportements divergent. Le Spectral conserve plus de vitesse dans l’appui, il consomme moins de débattement quand on pousse et ressort comme une balle du virage. Le Strive se tasse un peu plus et s’avère moins impressionnant. En revanche il est nettement plus docile dans les ornières et suit la ligne sans malmener le pilote, même s’il y a un petit décalage de timing. Le Spectral demande plus d’application quant à lui, et de l’engagement physique pour bien rester en ligne dans l’ornière. Une petite approximation dans la traj’ et le bike se redresse en frottant le bord de l’ornière. Il demande clairement plus d’agressivité en matière de pilotage.
Dans les enchaînements rapides de petits virages, encore une fois les deux Canyon se comportent bien mais le Strive se montre à nouveau un peu plus facile. Il fait preuve d’excellents changements de cap et de meilleures aptitudes pour virer très court. Là encore, le Spectral est vif et dynamique lors des changements de direction, mais il demande plus d’engagement, il faut plus lui taper dedans. Les comportements sont différents donc, mais les deux vélos sont aussi ludiques finalement, pour un peu que l’on ne manque pas d’agressivité.
Un mot enfin sur le comportement en saut pour conclure avec les phases de jeu en descente. Au niveau de l’impulsion, dans les petits appels négociés sans vitesse excessive, avantage au Spectral qui se comprime moins et ressort mieux de l’appel. Les deux bikes font jeu égal en l’air avec une assiette facile à gérer. En réception en revanche, on préfère la douceur du Strive, qui consomme tout le débattement sans donner la sensation de talonner fort, là où le Spectral offre finalement moins de soutien en fin de course. A sa décharge, on le roulait avec un réglage de compression un peu plus ouvert pour compenser l’écart de confort. Canyon a donc sorti deux bikes performants en descente, mais au caractère différent : un Strive sobre et efficace, globalement facile à piloter (bien qu’un chouïa rigide en terrain très délicat) et un Spectral plus fun, plus agressif, plus dynamique, globalement plus amusant à piloter, mais qui demande un plus gros bagage technique pour en profiter à 100 %.
Reste le comportement en montée pour départager nos deux poulains, et là il n’y a pas match : le Spectral est nettement plus efficace. Le Strive est maniable dans les épingles, il vire court, c’est un enduro qui sait rester assez agréable en bosse mais le Shape Shifter est un peu gadget. Certes il fait tout d’un coup : redressement des angles, durcissement de la suspension… mais bon, le seul avantage est le redressement de l’angle de selle. Fermer l’angle de chasse n’apporte rien en montée, peut-être même au contraire dans les montées difficiles et peu roulantes. Donc si le bike avait de série un angle de selle bien droit et une commande au guidon pour durcir l’amortisseur, l’effet serait le même sans encombrer davantage le poste de pilotage, ni rajouter un système qui apporte encore de la complexité, donc plus de chances d’avoir des ennuis de fonctionnement. A l’usage en effet, on s’est rendu compte que le Shape Shifter ne marche pas toujours de façon optimale : il a parfois fallu l’aider à prendre toute sa course par exemple. Il faut bien le garder lubrifié, mais dans une longue sortie dans des conditions moyennes il finit par coincer un peu. De son côté le Spectral avec un angle de selle directement bien droit, une suspension avec du soutien et un châssis dynamique, offre un excellent rendement sans artifice. Le petit levier de blocage de l’amortisseur est facilement accessible pour les montées roulantes,
EN DÉFINITIVE, LES DEUX VÉLOS SONT AUSSI EFFICACES L’UN QUE L’AUTRE MAIS LE STRIVE FAIT DANS LA SOBRIÉTÉ ALORS QUE LE SPECTRAL EST PLUTÔT DANS LA DÉMONSTRATION.