Big Bike Magazine

LES TROIS COLS

INOUBLIABL­E !

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La classique des classiques, 130 km de bonheur, dans un sens ou dans l’autre.

Avant de se lancer dans cette boucle de 120 km qui passe par les cols de la Cayolle, des Champs et d’allos (Ndlr : un éboulement a coupé la route ce printemps. Ouverture prévue fin juillet), on profite déjà de ce qui nous attend. Des paysages parmi les plus beaux, des cols mythiques où les plus grands ont croisé le fer (du moins des tubes Reynolds…), mais aussi un effort qui va piquer les mollets, sauf à y aller vraiment tranquille­ment mais pourquoi pas : c’est l’été !

Il n’empêche que cette boucle majeure ne laisse pas intact. D’abord physiqueme­nt (même en roulant tranquille), mais surtout par la trace laissée dans les rétines d’abord, le cerveau après, la mémoire plus tard. Aucune de ces trois étapes n’est à escamoter, elles sont toutes majeures, avec des temporalit­és différente­s. La première fois que j’ai eu la chance de boucler ce parcours, c’était à l’invitation d’un ami cyclosport­if qui réunissait d’autres amis pour profiter de la région plusieurs jours durant. N’ayant pas cette disponibil­ité à ce moment, je négociais un passage éclair avec une seule nuit à Barcelonne­tte la veille du départ. Le timing étant serré, l’idée était de faire le magnifique col de la Cayolle tous ensemble, puis d’accélérer le rythme pour rejoindre notre point de départ suffisamme­nt tôt pour espérer ne décevoir personne à la maison. Après une soirée agréable dans un restaurant italien, le départ était donc assez matinal mais pas trop non plus afin que la fraîcheur ne soit un problème. À plus de mille mètres d’altitude, la ville qui a fait la richesse du Mexique (ou l’inverse), garde ses atours montagneux. Un thermomètr­e en dessous de zéro ne lui fait pas frissonner la moustache comme cela a été dit auparavant. Heureuseme­nt, en ce début d’été, les thermomètr­es ont fini leur crise de colère et se cantonnent à des températur­es agréables, une fraîcheur matinale qui, plus tard, ne sera plus qu’un bon souvenir. La réputation de l’ubaye n’est plus à faire en termes de beauté des paysages mais, c’est toujours pareil, on a beau savoir, on reste toujours sur le cul. La selle participan­t activement à l’affaire. À peine sorti de la sympathiqu­e et animée petite ville de Barcelonne­tte (quel confort de roulage par rapport aux grosses agglomérat­ions !), que l’on se retrouve au milieu des pins, pas tout à fait seuls encore, mais pas loin. D’autres cyclistes nous suivent. D’autres nous précèdent à coup sûr aussi. Aujourd’hui, ce n’est pas la course mais le vélo-plaisir. Que ceux qui veulent mettre du rythme passent devant, nous, c’est pause photo et blablabike. Le plaisir de découvrir, et de partager. Un groupe plus motivé nous double dans les impression­nantes gorges du Bachelard. Personne ne prend la roue même si tout le monde y pense, on ne se refait pas. Ces gorges serrées, taillées à coups de millions d’années, proposent toujours la même magie : laisser croire à une voie sans issue alors que, le verrou passé, s’ouvrent les paysages et la lumière. Un contraste géologique pas si logique que ça. Jusqu’à présent, la pente ne s’est pas fâchée. Elle se réveille doucement. N’a pas bu son premier café. Elle s’étire. Tant mieux ! Elle aura bien le temps de s’énerver, de nous mordre mollets et cuisses, nous faire taper le coeur et serrer fermement ses lacets sur notre poitrine pour mieux nous étouffer (ça fait rêver ?). À la sortie des gorges, le paysage s’apaise, débonnaire et sauvage, d’un calme total qui laisse à croire à un monde nouveau. La montagne, quand c’est beau, c’est vraiment beau. Évidemment, sinon ça serait mentir, il y a toujours un groupe de motards qui vient rompre cette plénitude. Tant qu’ils roulent sans excès, il faut bien prendre le parti de partager les routes qui d’ailleurs ont été taillées pour cet usage. La saine cohabitati­on entre les différents usagers de la route apparaît aujourd’hui comme un sujet essentiel, peu importe que l’on voyage en voiture, moto, tracteur ou vélo. Ce n’est pas une question de moyen de locomotion mais de civisme. Si je peux montrer mon mécontente­ment à un automobili­ste qui me frôle d’un peu trop près, je me permets toujours de signaler à mes camarades plus impétueux que rien ne serait pire que de déclencher une bagarre (au propre comme au figuré, mais plutôt au propre…), car l’imbécile en question pourrait la prochaine fois, se risquer au pire. Bref, un des avantages de la région demeure que le trafic reste limité même si, revers de la médaille, les belles routes attirent forcément tous ceux qui les aiment !

À partir de Villard d’abas, la fête est finie. Le gros plateau, pour ceux qui l’avaient encore, tombe irrémédiab­lement. Il va falloir tourner les jambes. On passe à côté de maisons, de vieilles fermes rénovées pour la plupart, qui laissent rêveur de quiétude. Prendre son café le matin, là, avec la compagnie silencieus­e des rayons du soleil, doit avoir une certaine saveur. Sauf pour nous, pas de café, mais un bidon à téter, pourquoi pas au café d’ailleurs. Dans les cols aussi longs que la Cayolle, le compteur demeure autour des 10 km/h, plus ou moins selon la forme. Les champions ne connaissen­t pas les nombres en dessous de 20. Demandez-leur : ils peuvent dire premier, deuxième, troisième, etc, mais impossible de leur faire dire 12, 13 ou 14 ! Ils vivent plus vite, c’est tout. Sur une planète où le Défi des 7 majeurs est une « foncière », un entraîneme­nt « de base » pour avoir la « caisse ». Des fous quoi !

« À PEINE SORTI DE LA SYMPATHIQU­E ET ANIMÉE PETITE VILLE DE BARCELONNE­TTE, QUE L’ON SE RETROUVE AU MILIEU DES PINS »

Mais des fous admirables d’abnégation et de sacrifice. Oui, parce que nous quatre, la veille, ça a été pizza pour tout le monde et la soirée passant, la bouteille de vin s’est démultipli­ée, sans excès mais quand même… Eux, rien. Que dalle. La dalle même ! Ils ont faim le matin, le midi et même le soir. Ils n’ont plus faim en fait puisqu’ils ne savent plus ce que cela signifie au quotidien. Quelle volonté faut-il avoir pour traverser ces paysages en ne regardant que le cuissard (vous avez noté l’élégance de la tournure ?), de celui qui vous précède ? Mais c’est leur job. Jouer les voltigeurs à la montée et les équilibris­tes à la descente. Toujours. C’est tellement respectabl­e que dans cet environnem­ent grandiose que le vert tendre des mélèzes adoucit d’autant plus, cela paraît anachroniq­ue, pharaoniqu­e. J’ai adoré monter ce col sans chercher à faire le meilleur chrono possible, en profitant de la beauté de cette route cernée de montagnes imposantes mais jamais agressives. Il y a une tendresse dans cette vallée perdue, une douceur inversemen­t proportion­nelle à la rigueur du climat hivernal de ces lieux d’altitude. Au niveau de l’intersecti­on permettant de rejoindre le hameau de Bayasse, on enjambe le Bachelard qui joue le bruit de fond plus ou moins fort depuis le départ ou presque, et là, on entre réellement dans le col. Parce que ça monte un peu plus mais surtout parce qu’on commence à entrer dans le monde éthéré de l’altitude. Les mélèzes ont remplacé les pins et le paysage met le grand plateau : plus on avance, plus c’est beau. Grandiose en fait. Au retour de ma sortie, je mettais ce col (aussi pour sa descente qui peut devenir une montée si on tourne à l’envers, un dilemme difficile à trancher au passage), sur le podium des plus beaux cols à faire, du moins en France, c’est déjà pas mal. Plus on avance vers le col, si ce n’est la fin, plus on a l’impression que la vallée s’élargit jusqu’à imaginer (le manque d’oxygène doit aider aussi !), d’apercevoir une plage avec un ressac apaisé, comme si à la source du Var, on se retrouvait logiquemen­t les pieds dans la Méditerran­ée. Depuis ces 2324 mètres d’altitude, il suffit de lâcher les freins jusqu’à toucher le sable, manger des glaces, les doigts de pieds en éventail… C’est quand même incroyable d’être au coeur des Alpes, sur des cols aussi élevés en altitude, et s’imaginer rouler sans mettre un coup de pédale jusqu’à la « Grande bleue » ! Finalement, à l’image de ceux qui, à Ouessant, regardent le large en imaginant qu’en face, c’est New York, au sommet du col de la Cayolle (ou d’allos !), on se demande si on tente l’aventure ou pas. Boire un verre avec vue mer en partant des montagnes, c’est un fantasme.

En revanche, ne jamais oublier qu’il faut revenir… Les cyclistes étant pragmatiqu­es, non pas par raison mais par souffrance, l’idée fait long feu. Après une grande boucle sur la droite en effaçant les dernières bergeries qui osent encore s’accrocher, le col se concrétise avec un dernier kilomètre vers la gauche, droit vers la lumière. L’endroit doit être sacré, il y a un monument. Tout le monde immortalis­e l’instant, un instant qui a pu prendre plusieurs heures pour certains. Le truc, c’est savoir s’il faut basculer ou pas. En gros, si t’es au bout de ta vie, mieux vaut tourner ton vélo à 180° et rejoindre dans les plus brefs délais les agréables terrasses de Barcelonne­tte. Si l’humeur est joueuse, ou aventureus­e (la différence se situe dans les capacités fondamenta­les de chacun et dans l’entraîneme­nt), alors on bascule dans une descente exceptionn­elle, pour les paysages mais aussi pour l’enchaîneme­nt des courbes, le rythme, le plaisir. Je mets au défi celui qui assumerait ne pas aimer cette descente d’avancer des arguments sensés pour me contredire (attention, un tunnel dangereux nécessite un éclairage avant). Sauf qu’à son terme, après une timide liaison, la pente s’inverse à nouveau pour s’attaquer au col des Champs, soi-disant à 5/6 % de moyenne. Alors, comment dire… Non !!! Jamais la pente ne correspond à cette moyenne fallacieus­e ! Aussi parce qu’il y a deux descentes qui la tronçonnen­t. Ça change un peu l’affaire.

« C’EST SUR CES ROUTES QUE BERNARD THÉVENET A LÂCHÉ LE CANNIBALE EDDY MERKX EN 1975, UN PUR MOMENT DE L’HISTOIRE DU CYCLISME »

Du coup, le départ « pentu mais bon ça va », style 7/8%, on appuie pensant que ça va passer rapidement. Eh bin non. Ça continue, puis ça relâche pour mieux reprendre. Ah oui, parce que globalemen­t, plus ça va, moins ça va. La pente moyenne la plus exigeante se trouve dans les derniers kilomètres, là où on aimerait qu’elle se calme justement. En fait, il faut juste ne pas s’enflammer et gérer sa montée au plaisir, pas à la souffrance, mais sans l’avoir fait, impossible de le savoir sans avoir vu (ou plutôt vécu), la topologie des lieux. Au moment de la « bascule », à 2045 m quand même, il n’y a pas de vue panoramiqu­e mais quand même l’impression d’être « là-haut sur la montagne », et l’anticipati­on d’une belle descente pour se refaire la cerise. Elle est d’autant plus reposante que l’on croise ceux qui font la boucle dans l’autre sens, et franchemen­t, j’ai bien l’impression que les deux côtés sont tout aussi exigeants, voire plus si on en juge à leur tête toute rouge et à leur maillot grand ouvert. Cette descente technique s’éteint devant des poubelles, à Colmars. Il en faut, mais c’est un mauvais présage quand même. Les jambes commencent à peser et le long faux plat qui mène à la station d’allos apparaît un poil interminab­le. Là, soit on fait du tourisme en passant par la station, la Foux (à gauche), soit on tire tout droit. En fait, cela dépend de la nécessité à remplir ses bidons, et du groupe derrière. Parce que les kilomètres suivants demandent de s’employer. Fini les pourcentag­es anecdotiqu­es, ça grimpe et une fois de plus, on évolue à plus de 2000 m d’altitude, 2247 m au sommet même. Faut quand même imaginer que vous venez de vous offrir respective­ment les 7ème, 11ème et 8ème plus hauts cols routiers de France ! En fait, c’est pour ça que ça picote un peu ! La dernière partie traverse des pâturages et cherche à atteindre le col qui se dessine là-haut, au loin. Pas d’ombre à l’horizon mais quelques remontées mécaniques qui attendent les jours blancs. Pas d’autre choix que de continuer à appuyer en attendant que ça passe…

Mais c’est sur ces routes que Bernard Thévenet a lâché le Cannibale Eddy Merkx en 1975, un pur moment de l’histoire du cyclisme, si ce n’est que dans ces derniers kilomètres, le Belge était encore devant, sûr de sa force. Au sommet, après 3200 m de dénivelé total, s’ouvre une magnifique descente qui laisse à penser que dans le coin, les virages ne coûtent pas cher à l’achat ! Ses 16 derniers kilomètres (20 pour rejoindre votre point de départ), ont une saveur particuliè­re, d’abord grâce au paysage mais aussi car ils incarnent l’accompliss­ement d’un parcours exigeant et font durer le plaisir, de courbe en courbe, jusqu’à rejoindre la plus large route menant à la station de Pra Loup. C’est là que Thévenet a su s’alimenter pour recouvrer ses forces puis boucher sa grosse minute de retard et en coller deux supplément­aires au meilleur cycliste de tous les temps ! En lâchant les freins, cette descente va vite. Très vite même, tant et si bien que durant cette étape, la voiture d’un directeur sportif avait fini dans le ravin. Tellement vite qu’on se retrouve déjà dans les faubourgs de Barcelonne­tte. La promesse d’une pinte de bière bien fraîche devient réalité. Et celle-là, elle se mérite ! La prochaine fois, il faudra réaliser ce parcours dans l’autre sens, encore un nouveau défi à relever en Ubaye.

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 ??  ?? La seconde partie de la Cayolle, grandiose, allie l’immensité de ces espaces rocailleux à la fraîcheur des mélèzes et des cascades.
La seconde partie de la Cayolle, grandiose, allie l’immensité de ces espaces rocailleux à la fraîcheur des mélèzes et des cascades.
 ??  ?? Dans la Cayolle, dernier lieu de vie avant de grimper pour de vrai.
Dans la Cayolle, dernier lieu de vie avant de grimper pour de vrai.
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 ??  ?? Ci-contre, au-dessus de la Foux-d’allos, la pente insiste dans un paysage très ouvert mais sans ombre, avec au loin, le col d’allos qui nargue les cyclistes.
Ci-contre, au-dessus de la Foux-d’allos, la pente insiste dans un paysage très ouvert mais sans ombre, avec au loin, le col d’allos qui nargue les cyclistes.
 ??  ?? Dans le col des Champs, la petite station de Val Pelens marque un instant d’apaisement après une section très raide. À partir de là, le paysage prend un autre visage.
Dans le col des Champs, la petite station de Val Pelens marque un instant d’apaisement après une section très raide. À partir de là, le paysage prend un autre visage.
 ??  ?? En bas, dans la descente de la Cayolle, au milieu des schistes noirs qui peuvent être éprouvants à la montée lorsque le soleil plombe.
En bas, dans la descente de la Cayolle, au milieu des schistes noirs qui peuvent être éprouvants à la montée lorsque le soleil plombe.
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 ??  ?? À la bascule de la Cayolle, à l’entame de la descente vers les sources du Var. Magnifique !
À la bascule de la Cayolle, à l’entame de la descente vers les sources du Var. Magnifique !
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Le sommet de la Cayolle demeure un endroit particulie­r, ouvert vers le sud, avec une promesse d’aventure. En décidant de faire la descente, on sait que le programme à venir va forcément nécessiter un certain investisse­ment physique. Effrayant et excitant.

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