VÉLOS & PILOTES
LES DUOS QUI ONT MARQUÉ LA DH
A l’instar des pistes et des pilotes (voir notre sujet dans ce dossier), il y a des vélos et des riders faits pour être ensemble. Ces machines et leurs pilotes forment un duo indissociable pour des raisons diverses et variées, qui surpassent souvent l’unique concept de victoire. C’est pour cela que ces histoires méritent d’être racontées, avec des points de vue différents, sur le vélo en lui même, son cavalier, et leur épopée commune. INTENSE M1 Shaun Palmer 1996
Le M1 est le premier DH enfanté par Jeff Steber, et cette version est rentrée dans les annales avec sa déco unique, peinte à la main par le boss d’une autre marque californienne : Troy Lee. C’est le bike avec lequel Shaun Palmer a couru les championnats du monde à Cairns, Australie, en 1996. Jusque-là, rien de bien nouveau. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a tellement révolutionné l’industrie du MTB, que beaucoup de pilotes ont couru avec des M1 re-stickés. Parmi eux, Gee Atherton à l’époque de Muddy Fox, lorsqu’il remporte sa première coupe du monde à Schladming, ou encore Greg Minnaar, alors chez Haro et même John Tomac. Le M1 est en avance sur son temps en 1996 : il offre un débattement variable, de 152 à 177 mm, mais aussi un angle de chasse et une hauteur de boîtier ajustables : 66 / 68° d’angle et 349 / 374 mm de haut. Peu de composants sont construits spécifiquement pour la DH à ce moment-là, les mécanos se servent généralement dans les pièces de XC et de route. Pourtant ce M1 bénéficie déjà d’une fourche Boxxer (le programme Boxxer venait tout juste de démarrer). On note également les freins hydrauliques Magura, qui ne pincent pas un disque mais bel et bien les jantes. En 1996, seul Hope conçoit des freins à disque hydrauliques, la grande majorité des pilotes roule encore avec des V-brakes… Intense a vraiment poussé le côté mécanique et s’est démarqué des autres constructeurs, ce qui lui a valu de se faire une belle réputation, qui perdure encore d’ailleurs. À l’instar de Shaun Palmer, ce vélo a eu une influence incontestable sur la DH, sans pourtant connaître le succès escompté. Passé chez Specialized dès l’année après, Palmer ne gagnera finalement jamais au guidon du M1.
V-PROCESS NV00 Nico Vouilloz 2000
L’année 2000 marque l’avènement du V-process, un bike conçu par Nico Vouilloz en collaboration avec Olivier Bossard, et fabriqué en Europe. C’est le moment où Sunn dépose le bilan, et le pilote français trouve cette solution pour continuer à rouler au plus haut niveau. S’il perd au général de la coupe du monde cette année-là face au tout jeune Greg Minnaar, et qu’il ne remporte pas les championnats du monde (la seule fois en huit participations), il se rattrape les deux années suivantes, à Vail et à Kaprun, sur deux nouvelles versions de son vélo : NV01 et NV02. Le NV00, sorti en 2000 donc, préfigure étrangement le Commençal Suprême DH V4, avec, déjà, une suspension faisant appel à un point de pivot haut et une poulie pour déporter la chaîne. Il est bien entendu équipé de suspensions BOS. Il faut dire que l’histoire de Max Commençal, Olivier Bossard et Nico remonte à loin, aux débuts de Sunn. C’est en termes de géométrie que le bike de Vouilloz marque des points, surtout au niveau du sizing : ses rivaux Minnaar et Peat, bien plus grands, doivent se plier en deux pour rouler sur un bike sensiblement de la même taille que le V-process. L’aventure dure jusqu’en 2002, année lors de laquelle le Niçois annonce la fin de sa carrière. La commercialisation des V-process ne se fait. Cependant, ce n’est pas la fin de l’histoire : en effet, Lapierre embauche Vouilloz l’année suivante et lui demande de développer un bike de DH. C’est le début de la gamme Lapierre V-process…
IRON HORSE SUNDAY Sam Hill 2007
Après son passage chez Intense, c’est du côté de chez Iron Horse, dans le team Mad Catz, que Sam Hill se dirige à l’aube de la saison 2003. Sacré champion du monde Elite en 2006, c’est en 2007 qu’il scelle sa domination avec le Sunday, en remportant le général de la coupe du monde de DH, plus les Worlds. À l’instar de ce qui se passe aujourd’hui en coupe du monde avec Commençal, tous les pilotes veulent un Iron Horse. Celui de Sam Hill bénéficie toutefois d’une géométrie bien spéciale, qui n’a rien à voir avec celle du vélo stock. L’australien pilote en chargeant l’avant comme personne, il profite de bases ultra courtes qui lui permettent d’être réactif et agile en virages. Alors que tous ses concurrents sérieux ont des bikes dont les bases passent allègrement les 445 mm, lui roule en 438 mm. Par rapport aux années précédentes, le guidon s’élargit, à 720 mm. Hill ne dépassera pas les 760 mm au cours de sa carrière DH. La hauteur de boîtier est dans les valeurs de ce que l’on trouve aujourd’hui, à 340 mm. Pour l’époque, l’angle de chasse est super ouvert, à 62.5°, alors que l’iron Horse sorti d’usine a un angle de direction très fermé. Pour rester sur le sujet, Fabien Barel a bien roulé le Mondraker Summum à 62°, mais on n’en connaît pas beaucoup d’autres qui ont roulé de pareils choppers. Le Sunday de Hill se démarque aussi par son poids très light pour l’époque, 16.8 kg lorsqu’il remporte le général de la coupe du monde en 2007. Encore une similitude avec le Mondraker de Fabien Barel. Dans une interview récente, l’australien confie que « Le Sunday n’avait rien d’exceptionnel. C’était par contre un vélo fiable, aux réactions saines et prévisibles ». Sam Hill a construit sa carrière sur ce bike, avec quatre victoires d’affilée en coupe du monde (2007/2008), deux titres mondiaux (2006/2007) et deux défaites qui resteront gravées dans la mémoire collective comme autant de victoires : Champery (2007) et Val Di Sole (2008). All Hail The King.
SANTA CRUZ V10 Steve Peat 2009
La V10 est à la lutte avec le Trek Session et le Commençal Suprême pour le titre du vélo le plus couronné de l’histoire en DH. Si nos calculs sont bons, Santa Cruz est sur la troisième marche du podium. Il existe une petite dizaine d’itérations de la plateforme V10, aujourd’hui disponible en versions MX (roues différenciées), 27.5’’ ou full 29’’. En 2009, c’est le feu pour le V10 : il remporte les trois premières coupes du monde (une pour Minnaar et deux pour Peat), retrouve le goût de la victoire sous les mains du Sud Africain à Bromont et termine avec l’or mondial, enfin, pour Steve Peat. À Canberra, lors de ces Worlds, la très grande majorité des pilotes choisit de monter des vélos super light et typés enduro : on se souvient notamment du Summum de Fabien Barel, en simple T et avec un système de blocage d’amortisseur. Steve Peat prend le contre-pied : « À part la peinture et deux ou trois pièces plus légères, mon vélo est le même que celui que je roule en Coupe du Monde annonce l’anglais dès la fin des trainings. J’ai l’impression de ne pas rider assez vite avec un bike plus petit alors je préfère rester dans une configuration que je connais ». L’histoire lui donne raison, à 35 ans et après tant de médailles d’argent. On note en passant que le V10 est le premier vélo à adopter des roues de 29’’ en coupe du monde, à Lourdes en 2017, et qu’il reste l’une des plateformes qui subit le plus de tests et de remaniements dans le paddock.
TREK SESSION Aaron Gwin 2012
Voilà le combo qui a fait trembler le paddock de la coupe du monde de DH pendant deux saisons, 2011 et 2012. Sur un vélo hyper light (16.3 kg), à la géométrie très aboutie (et quasiment stock), Aaron Gwin réussit des merveilles. Tout juste arrivé de chez Yeti, où il a emmené le 303 DH à des sommets auxquels personne ne croyait (après seulement un an et demi d’expérience en coupe du monde pour le pilote américain), Gwinner remporte cinq victoires en sept manches en 2011, un record absolu. Il remet le couvert en 2012, avec quatre victoires d’affilée, et remporte pour la seconde fois consécutive le classement général de la coupe du monde. Allons-y pour les chiffres côté bike, des valeurs qui restent tout à fait dans dans la moyenne des vélos de l’époque : un angle de chasse bien ouvert (62.5°), des bases à 445 mm, un boîtier à 350 mm de haut et un empattement de 1225 mm. Venant du motocross, et roulant comme une bête enragée, Gwin opte pour un guidon en 820 mm. On note aussi des suspensions béton, qui vont avec les capacités physiques de l’américain. De ces deux années de domination sans pareille, on retient surtout la victoire de Val Di Sole, où l’américain pose quasi 8 secondes d’avance à Greg Minnaar. Le Sud Africain avoue plus tard être incapable de prendre autant de risques que Gwin sur un run pareil. On en termine en lui décernant la palme du vélo le plus titré en coupe du monde, aux mains de Tracey Moseley, Aaron Gwin et surtout Rachel Atherton, qui peut se targuer de 20 victoires à bord du Session. Le bike est désormais champion du monde aux mains de Reece Wilson, et il arbore une petite poulie pour aller avec son nouveau point de pivot haut.
COMMENÇAL SUPRÊME DH V4 Commençal Muc-off 2021
Le V4 marque les esprits en étant le second bike à passer en roues de 29’’ en 2017 (après Santa Cruz à Lourdes), mais aussi en remettant au goût du jour la suspension avec un point de pivot haut perché et une roulette déportée pour faire passer la chaîne. Présenté en 2016, le bike fait des merveilles en 2017 aux mains de Myriam Nicole : la Montpelliéraine remporte deux victoires d’affilée (Vallnord puis Lenzerheide) et s’adjuge le général de la coupe du monde par la même occasion. La saison d’après, c’est Amaury Pierron qui explose sur la scène internationale : trois victoires consécutives sur des pistes totalement différentes : Fort William, Leogang et Val Di Sole, plus le classement général. Le vélo fait des émules et en 2019, on voit des DH V4 fleurir partout en coupe du monde, un phénomène déjà observé à l’époque avec Sam Hill et son Sunday. Le succès est là mais les ingés de chez Commençal continuent à bosser dur : après une entrée en matière ratée à Maribor en 2019, Amaury hérite d’un bras arrière et d’une cinématique repensés pour monter à nouveau sur la plus haute marche du podium à Fort William. Il gagne aux Gets au terme d’un run considéré aujourd’hui comme l’un des plus engagés de toute l’histoire de la DH, mais échoue d’un cheveu au classement général. Peu importe, c’est Myriam Nicole qui relève le gant et remporte son premier titre mondial suite à une saison blanche et à une grosse blessure à la cheville. Après les succès répétitifs des Atherton sur le DH V3, le V4 ouvre une nouvelle ère. Il passe en 29/27.5 pour 2020, avec une géométrie et une suspension typées race : bases longues (456 mm), angle de chasse ouvert (62.5°), reach long (480 mm en L) et un SAG à régler autour des 20%. Le V4 rajoute une pierre à son Panthéon cette année, avec un nouveau prototype qui utilise un Virtual High Pivot couplé à un 6 bar linkage et à une suspension Horstlink (qui n’a jamais eu cours chez Commençal). Avec deux pilotes sur le podium à Leogang cette année, et la première victoire en coupe du monde de Thibaut Dapréla aux Gets, on se dit que cette nouvelle plateforme a de beaux jours devant elle.