Boukan - le courrier ultramarin
ÉDITO de Pierre-Olivier Jay Rédacteur en chef
Petite, quand on me disait que j’étais ultra-marine, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Aujourd’hui, je trouve encore que c’est un mot colonial, on est “l’outre-mer” de quoi ? C’est la France qui est notre “outre-mer ”. Ce mot efface l’histoire, la culture et la géographie de ces territoires. C’est vraiment une formule administrative, mais qui ne reflète aucune réalité. » Ces paroles de Françoise Vergès, dont vous trouverez un édito et un entretien dans les pages du dossier “Femmes” de ce second numéro, soulève une question centrale pour notre journal à sa création. Peut-on désigner ces territoires, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, la Guyane, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie par un mot aussi générique que “Outremer” et ce alors qu’il reflète des réalités aussi différentes. Et comment s’affranchir du poids historique et des représentations surannées, voire dépréciatives, qu’il a véhiculées tout au long de son histoire ? Face aux images figées qu’évoque l’Outremer pour la France, et même à l’indifférence médiatique qu’il génère souvent, il pourrait être judicieux de trouver un terme alternatif. Utiliser un nouveau mot serait comme un nouveau départ, ou un nouveau paradigme. L’Union européenne a choisi de parler de “région ultrapériphérique”, et tente de se débarrasser ainsi des réminiscences de la période coloniale. Mais avec ce langage pour le moins technocratique, qui maquille nos territoires en tristes banlieues, nous ferait presque déjà regretter le charme désuet du bleu outremer.. Alors quoi ?
Faut-il abandonner l’idée de nommer cet ensemble de territoires, qui ont une histoire commune avec la France, qui partage une langue commune (parmi d’autres), un socle administratif, un système éducatif, ou un système de santé ? Peut-être. À Boukan, le courrier ultramarin, , nous ne prétendons pas identifier une culture et une identité transversale. En revanche, nous sommes convaincus de la nécessité de présenter sa diversité, sa spécificité, face au péril de l’uniformisation. Parfois, au gré des sujets et des articles, les expériences de ces territoires ultramarins se croisent, se superposent, se renforcent ; il devient opportun alors de les faire entrer en résonnance. C’est ainsi que, dans ce numéro, des portraits de femmes venus des quatre coins du globe se répondent. .. et, comme par décantation, révèlent une combativité singulière – ultramarine ?- face aux enjeux et aux injustices de leur société. Bonne lecture !
En couverture : Peintures de Titouan Lamazou À gauche : Ayla, 2017, Hiva Oa, Îles Marquises
Huile sur papier 76 x 56 cm
À droite : Raïssa, 2018, Ua Pou, Îles Marquises Huile sur papier 76 x 56 cm