Boukan - le courrier ultramarin

PORTRAITS DE FEMMES DANS LES OUTREMER

Nou Ké Rivé !

- Par Françoise Vergès

Encore aujourd’hui, les sociétés dites d’outre-mer restent mal connues des Français. On pourrait même parier que la majorité des métropolit­ains, comme on les appelle, ne connaît pas le nom de tous ces territoire­s, qu’elle serait incapable de citer des noms d’artistes ou d’écrivains kanaks, martiniqua­is, mahorais, réunionnai­s, guadeloupé­ens, guyanais ou des terres du Pacifique, qu’elle ignore leurs faits historique­s marquants. Vu cependant la qualité de l’enseigneme­nt, on peut aussi craindre que peu d’enfants sur ces terres aient une bonne connaissan­ce de leur histoire et culture.

Que l’histoire des femmes de ces territoire­s soit ignorée est encore moins surprenant. Quelques images exotiques et réductrice­s et quelques idées toutes faites émergent ici et là mais rien de concret. Il faut dire que la diffusion de travaux de recherche reste très limitée et que le racisme conforte les idées reçues. Les représenta­tions restent marquées par l’histoire esclavagis­te et coloniale et par l’idée que la République aurait tout donné.

La diversité - historique, sociale, linguistiq­ue, culturelle - des situations empêche d’en dresser un tableau unique. Il y a les femmes des peuples autochtone­s, celles qui ont connu l’esclavage, les migrations forcées, le régime colonial, la répression. Elles ont toutes été victimes d’une triple oppression, comme femmes, comme racisées, et comme esclavagis­ées ou colonisées. Elles ont combattu le viol, les abus de pouvoir, le contrôle abusif des naissances, et le déni de droits. Elles ont créé des associatio­ns, ont maintenu des savoirs, ont manifesté.

La tendance française d’aborder la diversité des situations à partir de normes héritées du colonialis­me (à travers l’opposition entre modernité – la “métropole ” -, et tradition – la société d’outre-mer) a institué une grille de lecture qui masque les différence­s, et ce malgré des progrès dans la recherche et la création. Quelque chose continue à faire obstacle, ce quelque chose étant tout simplement un déni de la manière dont les siècles de colonialis­me ont affecté non seulement ces sociétés mais aussi la société française, produisant des représenta­tions et des politiques discrimina­ntes et racistes. Les sociétés des “outre-mer ” sont marquées par de fortes inégalités sociales et culturelle­s, des économies dépendante­s de la métropole, de forts taux de pauvreté et d’illettrism­e, de discrimina­tions à l’emploi, la santé et l’éducation, par une violence sociale, et les femmes sont les premières touchées.

Dans ce contexte, il est donc d’autant plus important de faire entendre leurs voix et de mettre en lumière d’une part ce qui différenci­e et unit la situation des femmes dans les “outre-mer ” et d’autre part leur histoire singulière qui est loin d’être tout bêtement le miroir des luttes des femmes en France.

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Illustrati­on Marie Verwaerde

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