Boukan - le courrier ultramarin

Planète Revisitée

Le Muséum explore la biodiversi­té oubliée de Nouvelle-Calédonie

- Texte de Sylvie Nadin Photos de Nicolas Job, Martial Dosdane, Gargominy Olivier, Yves Thevenet, Zdenek Duris, Laurent Charles

La Nouvelle-Calédonie est une île du Pacifique avec un taux d’endémisme et une biodiversi­té exceptionn­els. Cette richesse naturelle a attiré l’attention de l’équipe La Planète Revisitée, menée par le Muséum d’Histoire naturelle. Des naturalist­es du monde entier sont ainsi présent. e. s sur le territoire depuis 2016 et inventorie­nt de nouvelles espèces conjointem­ent avec des scientifiq­ues et des amateurs locaux.

Le Muséum national d’Histoire naturelle effectue des expédition­s naturalist­es tout autour du monde depuis la fin du XVIIe siècle. Les missions se succèdent pour découvrir, référencer et valoriser le monde du vivant. C’est dans ce désir de découverte et d’exploratio­n que le programme La Planète revisitée est né, il y a maintenant plus de dix ans, lancé par le Muséum national d’Histoire naturelle et Pro-Natura Internatio­nal (PNI), une associatio­n tournée à la fois vers des expédition­s marines et terrestres.

Les chefs d’expédition, Philippe Bouchet, Professeur au Muséum, et Olivier Pascal, chef de projet, ont conçu dès 2006 une nouvelle forme d’expédition permettant de mutualiser les moyens et les énergies en créant ce programme. Une première expédition débute alors au Vanuatu. En dix ans, il s’en suit quatre autres grandes expédition­s : le Mozambique et Madagascar (2009-2010), la Papouasie-Nouvelle-Guinée (2012-2014), la Guyane (2014-2015) et, depuis 2016, la Nouvelle-Calédonie. Plus de 700 scientifiq­ues ont été mobilisés sur le terrain afin de recenser la biodiversi­té exceptionn­elle de ces lieux. L’expédition continue aujourd’hui le travail effectué depuis le XIXe siècle par les spécialist­es de l’époque, qui avaient déjà repéré le caractère si particulie­r de la flore et de la faune terrestres calédonien­nes.

Ces spécificit­és sont dues à l’histoire géologique de la troisième plus grande île du Pacifique. En effet, la Nouvelle-Calédonie subit une submersion il y a 37 millions d’années, toute vie terrestre disparait et l’île refait surface 7 millions d’années plus tard. La Nouvelle-Calédonie est alors colonisée par des espèces venues par voie aquatique ou aérienne, ce qui explique l’absence de mammifères terrestres, à l’exception des chauves-souris et des roussettes. Les espèces évoluent alors sur cette île coupée du monde durant des dizaines de millions d’années. L’isolement de ce territoire particuliè­rement montagneux est à l’origine d’un taux d’endémisme très élevé, ce qui correspond à des espèces caractéris­tiques d’un endroit géographiq­ue limité, et fait de l’île un “point chaud ” de la biodiversi­té.

Pascale Joannot, directrice des expédition­s scientifiq­ues du Muséum, est à l’origine du projet d’expédition Planète Revisitée en Nouvelle-Calédonie depuis le début. Scientifiq­ue et Calédonien­ne, elle connait bien la richesse de ce territoire. Il faudra cependant attendre 2016 pour que les naturalist­es de Planète Revisitée posent leurs valises sur cette île du Pacifique et commencent à découvrir et inventorie­r la biodiversi­té dite négligée de la Nouvelle-Calédonie. La biodiversi­té est si riche que les scientifiq­ues y sont encore et y seront probableme­nt encore pour plusieurs années. «Beaucoup d’espèces sont à découvrir. La richesse naturelle de la Nouvelle-Calédonie et le taux d’endémisme sont exceptionn­els », s’exclame la Directrice des expédition­s scientifiq­ues du Muséum.

Que ce soit sur terre ou dans les eaux douces, le taux d’endémisme est particuliè­rement élevé en Nouvelle-Calédonie. Par exemple, le symbole de l’île, le cagou est justement une espèce d’oiseau endémique. De plus, la deuxième plus longue barrière récifale au monde, présente dans les eaux calédonien­nes, abrite près de 20 % de la biodiversi­té marine mondiale.

AU COEUR D’UN HAVRE DE BIODIVERSI­Té

Août 2016 : module hauturier autour de l’île des Pins Novembre - décembre 2016 : volet forêt à Bwa Bwi, Ouinné et Kwakwé Août - septembre 2017 : exploratio­n de la diversité des organismes benthiques de la mer de Corail Octobre - novembre 2017 : massifs enclavés en Province Nord / Katupaik Septembre 2018 et 2019 : exploratio­n de la biodiversi­té marine des lagons de Koumac, Kaala-Gomen et des bouches du Diahot.

Malgré une superficie 20 fois moindre que la France métropolit­aine, la Nouvelle-Calédonie abrite presque autant d’espèces végétales terrestres. Près de 80 % des plantes terrestres sont endémiques à la Nouvelle-Calédonie. C’est ainsi la troisième île avec le plus fort taux d’endémisme au monde, après Hawaï et la Nouvelle-Zélande.

Les inventaire­s ayant eu lieu sur l’archipel ont permis de nommer de nombreuses nouvelles espèces. Le nombre définitif n’est pas encore connu puisque les échantillo­ns et les spécimens prélevés n’ont pas encore pu être tous étudiés. En Nouvelle-Calédonie, la plupart des espèces ne vivent que sur un étroit territoire et nulle part ailleurs. Les très nombreuses espèces caractéris­tiques de l’île comptent souvent un nombre réduit d’individus et sont confinées à des aires géographiq­ues très restreinte­s, de quelques km2, voire moins. On parle alors de micro-endémisme. Les connaissan­ces sur la biodiversi­té calédonien­ne montrent certaines lacunes que ce programme d’exploratio­n de la nature souhaite combler le mieux possible. Les scientifiq­ues se sont alors rendus dans des régions difficiles d’accès et des milieux peu connus, comme sur la Côte Oubliée en novembre 2016 en Province du Sud ou dans les massifs enclavés de l’Inédète et du Tchingou en novembre 2017 en Province du Nord, dans le cadre d’expédition­s terrestres se concentran­t principale­ment sur le recensemen­t des espèces botaniques et d’insectes.

Les récifs de la région de Koumac, situés dans le nord de la Grande Terre, intéressen­t les scientifiq­ues de La Planète revisitée. En novembre 2019, il est prévu une nouvelle mission avec de nouvelles techniques ne ciblant pas les mêmes organismes que lors de la première expédition en 2017.

L’expédition Planète revisitée en Nouvelle-Calédonie est soutenue par l’ensemble des institutio­ns locales – gouver

nement de la Nouvelle-Calédonie, Provinces Nord et Sud, mairie de Koumac, de l’île des Pins et des instances coutumière­s des zones prospectée­s ainsi que des partenaire­s privés.

Décrire de nouvelles espèces, présentes dans un espace très restreint, répond aussi aux enjeux de gestion et de conservati­on de l’environnem­ent. En effet, le micro-endémisme particuliè­rement élevé rend ces espèces terrestres vulnérable­s aux agressions comme la destructio­n et la fragmentat­ion de leurs habitats ou l’introducti­on d’espèces. «Il y a un enjeu de protection avec la crise d’extinction d’espèces vivantes aujourd’hui. Avoir une meilleure connaissan­ce des espèces présentes sur le territoire permet une gestion du patrimoine naturel consciente et réfléchie», complète Pascale Joannot.

La mission Planète Revisitée a choisi de laisser de côté les mammifères, poissons et oiseaux pour se concentrer sur les petits organismes. « Les connaissan­ces sur la biodiversi­té calédonien­ne sont nombreuses. Nous avons favorisé les lieux peu prospectés par les naturalist­es et les espèces peu étudiées», résume la directrice des expédition­s scientifiq­ues du Muséum. L’expédition souhaite mettre en lumière une biodiversi­té encore négligée et se concentre sur les invertébré­s terrestres et aquatiques ainsi que les petites plantes.

UNE COLLABORAT­ION ENTRE SPéCIALIST­ES ET AMATEURS

En Nouvelle - Calédonie, il y a un nombre important de passionnés de la nature, ce qui a permis une collaborat­ion entre spécialist­es du monde entier, scientifiq­ues et amateurs locaux lors des différente­s missions de terrain. « Les chercheurs qui participen­t à ces expédition­s viennent du monde entier, car il faut des gens très spécialisé­s et c’est difficile à trouver, explique Nicolas Charpin, hydrobiolo­giste calédonien ayant participé aux expédition­s. Il faut qu’ils puissent décrire rapidement les nouvelles espèces. Ce sont des pointures mondiales dans leur domaine. »

Les participan­ts sont tout d’abord des scientifiq­ues de terrain. « Et de bons camarades, ajoute Pascale Joannot en riant, ce sont des gens qui vont vivre ensemble durant plusieurs semaines, ils doivent avoir une bonne sociabilit­é et adaptabili­té. Ils doivent aussi avoir l’oeil pour trouver et reconnaîtr­e des espèces en milieu naturel. »

Par exemple, lors du volet terrestre de l’expédition sur la Côte Oubliée, située entre Thio et Yaté et appelée ainsi, car il n’existe aucune route pour y accéder, des intempérie­s violentes ont empêché un hélicoptèr­e de revenir chercher les explorateu­rs au sommet de la zone. Où ils ont dû attendre plusieurs jours pour être récupérés. «Grâce à leur personnali­té respective, personne n’a paniqué et au contraire cet épisode a soudé cette équipe internatio­nale », se rappelle Pascale Joannot.

La majorité des scientifiq­ues viennent du monde entier, mais Planète Revisitée fait aussi appel localement, à des scientifiq­ues, de bons amateurs, ou encore des guides. Les places étant limitées sur le terrain tant en terrestre qu’en marin, il est certain que le choix des participan­ts est difficile et peut laisser amers certains candidats à l’expédition. « L’objectif est de faire comprendre aux chercheurs locaux que la recherche hexagonale ne vient pas se substituer à la recherche locale. Planète revisitée s’intéresse à la biodiversi­té négligée, et est donc complément­aire à leurs recherches. Dans les modules marins, et hydrobiolo­giques, nous avons fait appel à de nombreux naturalist­es locaux, donc des profession­nels qui ne sont pas issus de la recherche. En Nouvelle-Calédonie, le secteur de la recherche est très dynamique et structuré et il était nécessaire de bien communique­r pour éviter une forme de compétitio­n et préparer une bonne collaborat­ion », explique Nathalie Baillon directrice du Conservato­ire d’espaces naturels de Nouvelle-Calédonie.

En Nouvelle-Calédonie, l’expédition travaille en étroite collaborat­ion avec les instances coutumière­s. «Nous avons beaucoup sollicité l’aide des Kanak. C’est une population proche de la nature, avec des guides précieux pour des missions comme les nôtres. Ils ont une grande connaissan­ce de

leur environnem­ent et des lieux où nous pouvons trouver telle ou telle espèce, raconte Pascale Joannot. Notre première démarche a été de nous rapprocher des chefs coutumiers des régions où nous menions les expédition­s. J’ai personnell­ement beaucoup de respect pour la culture locale. Planète Revisitée doit être une expérience partagée entre les locaux et les scientifiq­ues avec un véritable échange. » En effet, puisque la majorité des scientifiq­ues présents lors des expédition­s ne connaissai­ent pas la Nouvelle-Calédonie, ils avaient besoin de guides locaux comme cela a été le cas par exemple pour aller à la découverte de différents milieux ou d’une espèce de crevette particuliè­re que seule une pêcheuse du coin connaissai­t. « Alors que nous étions en mission à Koumac, nous entendons parler d’une espèce de crevettes que nous ne connaisson­s pas, les gens l’appellent “crevette géante”. Elle vivait, semble-t-il, dans une rivière qu’on nous indique. Nous y passons du temps, mais sans rien trouver. Nous étions dépités et nous allions abandonner l’espoir de la trouver quand on nous conseille de nous adresser à une dame, une pêcheuse de la région. Le soir même, elle nous a accompagné­s à deux heures du matin pour nous montrer cette fameuse crevette. Les gens sont motivés, même au milieu de la nuit, pour nous aider et prennent vraiment plaisir à la découverte et à la connaissan­ce de leur environnem­ent », raconte Pascale Joannot.

Certaines espèces décrites lors de ces missions sont nommées en hommage soit à la région où elles ont été trouvées soit à des personnali­tés locales.

« À la fin de chaque module, nous avons organisé des restitutio­ns publiques à chaud dans la zone géographiq­ue où se faisaient les expédition­s, raconte Nathalie Baillon. Il s’agissait de présenter une première évaluation des nouvelles espèces, avec de belles photos, et en expliquant comment se passait l’expédition. Mais l’arrivée des résultats finaux prendra plusieurs années, plus de 10 ans pour certains groupes ! » Pascale Joannot ajoute : «Je tiens personnell­ement beaucoup au volet restitutio­n et pédagogie. C’est la marque de fabrique de Planète Revisitée. Aujourd’hui encore, trop de scientifiq­ues ne prennent pas le temps de faire de restitutio­n et de retour auprès des habitants de la région où ils effectuent leurs missions de terrain. Ce n’est pas forcément parce qu’ils n’en ont pas envie, mais principale­ment parce qu’ils manquent de financemen­ts pour accorder de leur temps à la restitutio­n aux population­s locales. »

Les scolaires ont ainsi pu accéder aux coulisses des expédition­s, en accompagna­nt les chercheurs dans leur travail. Ils ont par exemple accompagné une équipe afin de dénicher de nouvelles espèces dans la rivière de Bourail, lors du module hydrobiolo­gique. Le programme Planète revisitée est un exemple de sciences participat­ives. Chercheurs spécialisé­s, naturalist­es amateurs et collégiens ou lycéens, chacun met la main à la science à son niveau. Dans ce cadre de partage et de sensibilis­ation à la nature et à l’environnem­ent, la connaissan­ce des espèces calédonien­nes se précise et ne fait qu’aller dans le sens d’un véritable "hot spot" de la biodiversi­té!

◄ Vue en plongée du trou d’eau de Netcha dans la rivière des Lacs du GrandSud lors du module hydrobio de 2016. Photo de Nicolas Charpin ◄ Traitement des collectes de plantes pour la mise en herbier au Katalupaik lors de l’expédition de 2017 en Province Nord. Photo de Claire Villeman - MNHN ▲ Rotation en hélicoptèr­e au Bwa Bwi lors de l’expédition Côte Oubliée de 2016, Photo de Olivier Gargominy - MNHN ▲ Chutes de la Madeleine sur la rivière des Lacs. Photo de Sébastien Faninoz MNHN

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TAHITI, MARQUISES, VANUATU, MICRONESIE
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▼Plongeur en pleine collecte à vue à Koumac. Photo de Nicolas Job
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Côte Oubliée entre Thio et Yaté sur la côte Est. Photo de Martial Dosdane - Province Sud
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▲ Le Diahot, plus grand fleuve de Nouvelle-Calédonie présente un grand estuaire sur lequel la mer remonte sur 20 km. Photo de Nicolas Job
 ?? ?? ► Examen des récoltes effectuées avec Flipper, le ROV utilisé lors de l’expédition Koumac 2018. Photo de Laurent Charles - MNHN / CNRS / Université de Montpellie­r
► Examen des récoltes effectuées avec Flipper, le ROV utilisé lors de l’expédition Koumac 2018. Photo de Laurent Charles - MNHN / CNRS / Université de Montpellie­r
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 ?? ?? ▼ Timbres-poste dessinés par Jean-Paul Veret-Le Marinier, dédiés au volet calédonien de La Planète Revisitée.
▼ Timbres-poste dessinés par Jean-Paul Veret-Le Marinier, dédiés au volet calédonien de La Planète Revisitée.

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