Boukan - le courrier ultramarin
Planète Revisitée
Le Muséum explore la biodiversité oubliée de Nouvelle-Calédonie
La Nouvelle-Calédonie est une île du Pacifique avec un taux d’endémisme et une biodiversité exceptionnels. Cette richesse naturelle a attiré l’attention de l’équipe La Planète Revisitée, menée par le Muséum d’Histoire naturelle. Des naturalistes du monde entier sont ainsi présent. e. s sur le territoire depuis 2016 et inventorient de nouvelles espèces conjointement avec des scientifiques et des amateurs locaux.
Le Muséum national d’Histoire naturelle effectue des expéditions naturalistes tout autour du monde depuis la fin du XVIIe siècle. Les missions se succèdent pour découvrir, référencer et valoriser le monde du vivant. C’est dans ce désir de découverte et d’exploration que le programme La Planète revisitée est né, il y a maintenant plus de dix ans, lancé par le Muséum national d’Histoire naturelle et Pro-Natura International (PNI), une association tournée à la fois vers des expéditions marines et terrestres.
Les chefs d’expédition, Philippe Bouchet, Professeur au Muséum, et Olivier Pascal, chef de projet, ont conçu dès 2006 une nouvelle forme d’expédition permettant de mutualiser les moyens et les énergies en créant ce programme. Une première expédition débute alors au Vanuatu. En dix ans, il s’en suit quatre autres grandes expéditions : le Mozambique et Madagascar (2009-2010), la Papouasie-Nouvelle-Guinée (2012-2014), la Guyane (2014-2015) et, depuis 2016, la Nouvelle-Calédonie. Plus de 700 scientifiques ont été mobilisés sur le terrain afin de recenser la biodiversité exceptionnelle de ces lieux. L’expédition continue aujourd’hui le travail effectué depuis le XIXe siècle par les spécialistes de l’époque, qui avaient déjà repéré le caractère si particulier de la flore et de la faune terrestres calédoniennes.
Ces spécificités sont dues à l’histoire géologique de la troisième plus grande île du Pacifique. En effet, la Nouvelle-Calédonie subit une submersion il y a 37 millions d’années, toute vie terrestre disparait et l’île refait surface 7 millions d’années plus tard. La Nouvelle-Calédonie est alors colonisée par des espèces venues par voie aquatique ou aérienne, ce qui explique l’absence de mammifères terrestres, à l’exception des chauves-souris et des roussettes. Les espèces évoluent alors sur cette île coupée du monde durant des dizaines de millions d’années. L’isolement de ce territoire particulièrement montagneux est à l’origine d’un taux d’endémisme très élevé, ce qui correspond à des espèces caractéristiques d’un endroit géographique limité, et fait de l’île un “point chaud ” de la biodiversité.
Pascale Joannot, directrice des expéditions scientifiques du Muséum, est à l’origine du projet d’expédition Planète Revisitée en Nouvelle-Calédonie depuis le début. Scientifique et Calédonienne, elle connait bien la richesse de ce territoire. Il faudra cependant attendre 2016 pour que les naturalistes de Planète Revisitée posent leurs valises sur cette île du Pacifique et commencent à découvrir et inventorier la biodiversité dite négligée de la Nouvelle-Calédonie. La biodiversité est si riche que les scientifiques y sont encore et y seront probablement encore pour plusieurs années. «Beaucoup d’espèces sont à découvrir. La richesse naturelle de la Nouvelle-Calédonie et le taux d’endémisme sont exceptionnels », s’exclame la Directrice des expéditions scientifiques du Muséum.
Que ce soit sur terre ou dans les eaux douces, le taux d’endémisme est particulièrement élevé en Nouvelle-Calédonie. Par exemple, le symbole de l’île, le cagou est justement une espèce d’oiseau endémique. De plus, la deuxième plus longue barrière récifale au monde, présente dans les eaux calédoniennes, abrite près de 20 % de la biodiversité marine mondiale.
AU COEUR D’UN HAVRE DE BIODIVERSITé
Août 2016 : module hauturier autour de l’île des Pins Novembre - décembre 2016 : volet forêt à Bwa Bwi, Ouinné et Kwakwé Août - septembre 2017 : exploration de la diversité des organismes benthiques de la mer de Corail Octobre - novembre 2017 : massifs enclavés en Province Nord / Katupaik Septembre 2018 et 2019 : exploration de la biodiversité marine des lagons de Koumac, Kaala-Gomen et des bouches du Diahot.
Malgré une superficie 20 fois moindre que la France métropolitaine, la Nouvelle-Calédonie abrite presque autant d’espèces végétales terrestres. Près de 80 % des plantes terrestres sont endémiques à la Nouvelle-Calédonie. C’est ainsi la troisième île avec le plus fort taux d’endémisme au monde, après Hawaï et la Nouvelle-Zélande.
Les inventaires ayant eu lieu sur l’archipel ont permis de nommer de nombreuses nouvelles espèces. Le nombre définitif n’est pas encore connu puisque les échantillons et les spécimens prélevés n’ont pas encore pu être tous étudiés. En Nouvelle-Calédonie, la plupart des espèces ne vivent que sur un étroit territoire et nulle part ailleurs. Les très nombreuses espèces caractéristiques de l’île comptent souvent un nombre réduit d’individus et sont confinées à des aires géographiques très restreintes, de quelques km2, voire moins. On parle alors de micro-endémisme. Les connaissances sur la biodiversité calédonienne montrent certaines lacunes que ce programme d’exploration de la nature souhaite combler le mieux possible. Les scientifiques se sont alors rendus dans des régions difficiles d’accès et des milieux peu connus, comme sur la Côte Oubliée en novembre 2016 en Province du Sud ou dans les massifs enclavés de l’Inédète et du Tchingou en novembre 2017 en Province du Nord, dans le cadre d’expéditions terrestres se concentrant principalement sur le recensement des espèces botaniques et d’insectes.
Les récifs de la région de Koumac, situés dans le nord de la Grande Terre, intéressent les scientifiques de La Planète revisitée. En novembre 2019, il est prévu une nouvelle mission avec de nouvelles techniques ne ciblant pas les mêmes organismes que lors de la première expédition en 2017.
L’expédition Planète revisitée en Nouvelle-Calédonie est soutenue par l’ensemble des institutions locales – gouver
nement de la Nouvelle-Calédonie, Provinces Nord et Sud, mairie de Koumac, de l’île des Pins et des instances coutumières des zones prospectées ainsi que des partenaires privés.
Décrire de nouvelles espèces, présentes dans un espace très restreint, répond aussi aux enjeux de gestion et de conservation de l’environnement. En effet, le micro-endémisme particulièrement élevé rend ces espèces terrestres vulnérables aux agressions comme la destruction et la fragmentation de leurs habitats ou l’introduction d’espèces. «Il y a un enjeu de protection avec la crise d’extinction d’espèces vivantes aujourd’hui. Avoir une meilleure connaissance des espèces présentes sur le territoire permet une gestion du patrimoine naturel consciente et réfléchie», complète Pascale Joannot.
La mission Planète Revisitée a choisi de laisser de côté les mammifères, poissons et oiseaux pour se concentrer sur les petits organismes. « Les connaissances sur la biodiversité calédonienne sont nombreuses. Nous avons favorisé les lieux peu prospectés par les naturalistes et les espèces peu étudiées», résume la directrice des expéditions scientifiques du Muséum. L’expédition souhaite mettre en lumière une biodiversité encore négligée et se concentre sur les invertébrés terrestres et aquatiques ainsi que les petites plantes.
UNE COLLABORATION ENTRE SPéCIALISTES ET AMATEURS
En Nouvelle - Calédonie, il y a un nombre important de passionnés de la nature, ce qui a permis une collaboration entre spécialistes du monde entier, scientifiques et amateurs locaux lors des différentes missions de terrain. « Les chercheurs qui participent à ces expéditions viennent du monde entier, car il faut des gens très spécialisés et c’est difficile à trouver, explique Nicolas Charpin, hydrobiologiste calédonien ayant participé aux expéditions. Il faut qu’ils puissent décrire rapidement les nouvelles espèces. Ce sont des pointures mondiales dans leur domaine. »
Les participants sont tout d’abord des scientifiques de terrain. « Et de bons camarades, ajoute Pascale Joannot en riant, ce sont des gens qui vont vivre ensemble durant plusieurs semaines, ils doivent avoir une bonne sociabilité et adaptabilité. Ils doivent aussi avoir l’oeil pour trouver et reconnaître des espèces en milieu naturel. »
Par exemple, lors du volet terrestre de l’expédition sur la Côte Oubliée, située entre Thio et Yaté et appelée ainsi, car il n’existe aucune route pour y accéder, des intempéries violentes ont empêché un hélicoptère de revenir chercher les explorateurs au sommet de la zone. Où ils ont dû attendre plusieurs jours pour être récupérés. «Grâce à leur personnalité respective, personne n’a paniqué et au contraire cet épisode a soudé cette équipe internationale », se rappelle Pascale Joannot.
La majorité des scientifiques viennent du monde entier, mais Planète Revisitée fait aussi appel localement, à des scientifiques, de bons amateurs, ou encore des guides. Les places étant limitées sur le terrain tant en terrestre qu’en marin, il est certain que le choix des participants est difficile et peut laisser amers certains candidats à l’expédition. « L’objectif est de faire comprendre aux chercheurs locaux que la recherche hexagonale ne vient pas se substituer à la recherche locale. Planète revisitée s’intéresse à la biodiversité négligée, et est donc complémentaire à leurs recherches. Dans les modules marins, et hydrobiologiques, nous avons fait appel à de nombreux naturalistes locaux, donc des professionnels qui ne sont pas issus de la recherche. En Nouvelle-Calédonie, le secteur de la recherche est très dynamique et structuré et il était nécessaire de bien communiquer pour éviter une forme de compétition et préparer une bonne collaboration », explique Nathalie Baillon directrice du Conservatoire d’espaces naturels de Nouvelle-Calédonie.
En Nouvelle-Calédonie, l’expédition travaille en étroite collaboration avec les instances coutumières. «Nous avons beaucoup sollicité l’aide des Kanak. C’est une population proche de la nature, avec des guides précieux pour des missions comme les nôtres. Ils ont une grande connaissance de
leur environnement et des lieux où nous pouvons trouver telle ou telle espèce, raconte Pascale Joannot. Notre première démarche a été de nous rapprocher des chefs coutumiers des régions où nous menions les expéditions. J’ai personnellement beaucoup de respect pour la culture locale. Planète Revisitée doit être une expérience partagée entre les locaux et les scientifiques avec un véritable échange. » En effet, puisque la majorité des scientifiques présents lors des expéditions ne connaissaient pas la Nouvelle-Calédonie, ils avaient besoin de guides locaux comme cela a été le cas par exemple pour aller à la découverte de différents milieux ou d’une espèce de crevette particulière que seule une pêcheuse du coin connaissait. « Alors que nous étions en mission à Koumac, nous entendons parler d’une espèce de crevettes que nous ne connaissons pas, les gens l’appellent “crevette géante”. Elle vivait, semble-t-il, dans une rivière qu’on nous indique. Nous y passons du temps, mais sans rien trouver. Nous étions dépités et nous allions abandonner l’espoir de la trouver quand on nous conseille de nous adresser à une dame, une pêcheuse de la région. Le soir même, elle nous a accompagnés à deux heures du matin pour nous montrer cette fameuse crevette. Les gens sont motivés, même au milieu de la nuit, pour nous aider et prennent vraiment plaisir à la découverte et à la connaissance de leur environnement », raconte Pascale Joannot.
Certaines espèces décrites lors de ces missions sont nommées en hommage soit à la région où elles ont été trouvées soit à des personnalités locales.
« À la fin de chaque module, nous avons organisé des restitutions publiques à chaud dans la zone géographique où se faisaient les expéditions, raconte Nathalie Baillon. Il s’agissait de présenter une première évaluation des nouvelles espèces, avec de belles photos, et en expliquant comment se passait l’expédition. Mais l’arrivée des résultats finaux prendra plusieurs années, plus de 10 ans pour certains groupes ! » Pascale Joannot ajoute : «Je tiens personnellement beaucoup au volet restitution et pédagogie. C’est la marque de fabrique de Planète Revisitée. Aujourd’hui encore, trop de scientifiques ne prennent pas le temps de faire de restitution et de retour auprès des habitants de la région où ils effectuent leurs missions de terrain. Ce n’est pas forcément parce qu’ils n’en ont pas envie, mais principalement parce qu’ils manquent de financements pour accorder de leur temps à la restitution aux populations locales. »
Les scolaires ont ainsi pu accéder aux coulisses des expéditions, en accompagnant les chercheurs dans leur travail. Ils ont par exemple accompagné une équipe afin de dénicher de nouvelles espèces dans la rivière de Bourail, lors du module hydrobiologique. Le programme Planète revisitée est un exemple de sciences participatives. Chercheurs spécialisés, naturalistes amateurs et collégiens ou lycéens, chacun met la main à la science à son niveau. Dans ce cadre de partage et de sensibilisation à la nature et à l’environnement, la connaissance des espèces calédoniennes se précise et ne fait qu’aller dans le sens d’un véritable "hot spot" de la biodiversité!
◄ Vue en plongée du trou d’eau de Netcha dans la rivière des Lacs du GrandSud lors du module hydrobio de 2016. Photo de Nicolas Charpin ◄ Traitement des collectes de plantes pour la mise en herbier au Katalupaik lors de l’expédition de 2017 en Province Nord. Photo de Claire Villeman - MNHN ▲ Rotation en hélicoptère au Bwa Bwi lors de l’expédition Côte Oubliée de 2016, Photo de Olivier Gargominy - MNHN ▲ Chutes de la Madeleine sur la rivière des Lacs. Photo de Sébastien Faninoz MNHN