Boukan - le courrier ultramarin

Kaya, l’universel

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Sa voix s’est tue le 21 février 1999, date à jamais gravée dans l’histoire de notre pays. Kaya n’est plus, mais sa musique demeure, plus vivante que jamais. Vingt ans après sa mort, ses textes sont toujours d’une insolente actualité. Maurice —

En dix ans de carrière (seulement), Kaya aura réussi un tour de force : celui de marquer tout un pays. Si le contexte de sa disparitio­n y joue indéniable­ment un rôle, la place qu’il tient aujourd’hui dans l’univers musical mauricien s’explique par la puissance de ses textes. L’amour, la paix, l’unité, la tolérance… autant de thématique­s universell­es qui ont nourri les textes que Joseph Reginald Topize nous a laissés en héritage.

Pour Stephan Rezannah, producteur et directeur de Jorez Box, « Il était un chanteur, mais surtout un poète qui a écrit des textes assez complexes avec des messages codés, révélateur­s de beaucoup de choses ». Il n’a eu de cesse de souligner cette beauté et cette richesse que constituen­t le multi culturalis­me, sans pour autant se voiler la face sur le fait qu’il s’agit aussi de notre talon d’Achille.

Dans Mo ti zil (1996), l’une de ses chansons phares, il est sans équivoque sur ce double langage qui porte en lui des relents de communalis­me et de division : « Kan nou get isi kouma dimounn panse ; Na pa mem enn sel ki ena panse linite (…) ; Finn ler pou aret dir ennsel lepep enn nasion. Depli zanpli sa pe vinn pli ipokrit ». « Quand on voit comment les gens pensent, ici. Il n’y en a même pas un qui pense à l’unité. Il est temps d’arrêter de dire : un seul peuple, une nation. Cela devient de plus en plus hypocrite », ndlr). Seggae, musique d’émancipati­on. À la manière du reggae, chanté par son idole Bob Marley, Kaya a fait du seggae une musique d’émancipati­on. Son message est celui de l’espoir, l’espoir de voir naître un vivre ensemble mauricien. Ce n’est donc pas un hasard s’il choisit, au début des années 1990, d’appeler son groupe Racine tatane, comme un hommage au prince malgache Ratsitatan­e, exilé de force à Maurice et exécuté pour avoir mené une révolte parmi les esclaves. « Je constate que mon combat et celui du prince malgache sont les mêmes. Il avait les armes, moi j’ai des mots, j’ai la musique », expliquait l’artiste dans les colonnes de WeekEnd/Scope

en 1996. « Li touzour pe ouver lizietan zenerasion apre zenerasion » (expression mauricienn­e qui signifie « ça continuera toujours à inspirer les génération­s », ndlr) nous confie Bruno Raya. Et pour l’artiste de poursuivre : « Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes qui écrivent des textes jetables, mais lui, ses textes continuent aujourd’hui encore à nous influencer ». Plus qu’une musique, le seggae, sous la voix de Kaya, était une forme de quête spirituell­e et culturelle, comme dans Rasinn pebrile : « Sa mo rasinn mo sante ; mo kiltir mo rode ; pou mo pa blie momem isi ; kan rasinn pe brile ; pie antie pou tonbe ; tou zwazo bizin pran lezer. » («Ce sont mes racines que je chante. Ma culture que je cherche. Afin que je n’oublie pas qui je suis ici. Quand nos racines brûlent. C’est tout l’arbre qui va tomber. Tout oiseau doit prendre son envol» ndlr).

[SOURCE ZIGZAG KILTIREL]

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◄ Illustrati­on de Brian Lamoureux

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