Boukan - le courrier ultramarin

LES ENFANTS DE LA CREUSE

Un long chemin vers la reconstruc­tion

- Texte de Julie Bossart Photos de Corinne Rozotte

Il y a cinquante ans, l’état a organisé l’envoi en métropole de jeunes originaire­s de La Réunion. Des marmailles issus de milieux défavorisé­s, pour certains orphelins ou abandonnés. L’avenir à plus de 9000 km de chez eux, promettait d’être meilleur.

Il ne l’a pas été pour tous, certains ayant été victimes de plusieurs traumatism­es. Celui du déracineme­nt, de violences subies dans leur foyer d’accueil ou dans leur famille d’adoption, de la découverte que leurs parents naturels n’avaient jamais consenti à les abandonner… Aujourd’hui réunis au sein de la Fédération des enfants déracinés des Drom (Fedd), ils réclament réparation auprès de l’état.

Vendredi 10 mai 2019, jardin du Luxembourg à Paris (6e), Emmanuel Macron préside le 171e anniversai­re de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. L’occasion pour le président de la République d’annoncer, entre autres, l’inaugurati­on d’un mémorial des victimes de l’esclavage dans le jardin des Tuileries (1er) en 2021. L’occasion pour la Fédération des enfants déracinés des départemen­ts et régions d’outre-mer (Fedd) de demander « une place, fût-elle minime, pour [son] histoire au sein de ce mémorial.»

Cette histoire, c’est celle dite des “Enfants de la Creuse ”. L’appellatio­n est courante, mais on ne peut plus réductrice pour ce que d’aucuns qualifient de « mensonge oublié », de « scandale d’État », de « crime impuni » ou encore de « trafic d’enfants institutio­nnalisé ». Elle ne peut rendre compte du traumatism­e subi il y a plus de cinquante ans par toute une génération de jeunes originaire­s de La Réunion.

Un traumatism­e encore vivace pour lequel la Fedd, qui regroupe trois associatio­ns d’ex-mineurs « sacrifiés », demande réparation auprès de l’état français. « Il y a urgence, martèle Valérie Andanson, secrétaire chargée de la communicat­ion au sein de la fédération. Certains d’entre nous sont morts, d’autres sont malades. Et il y a eu deux nouvelles tentatives de suicide depuis le début de l’année. »

Entre 1962 et 1984, 2015 mineurs, Réunionnai­s pour la plupart (mais aussi malgaches, mauriciens et même métropolit­ains), ont été “transplant­és ” dans 83 départemen­ts de métropole, principale­ment ruraux. Parmi eux, la Bretagne, le Tarn, la HauteVienn­e… et la Creuse, qui accueillit le plus gros « contingent » de mineurs (215). D’où l’appellatio­n des “enfants dits de la Creuse ”.

À cette époque, la métropole fait face à une baisse de sa population. L’île de l’océan Indien, elle, est frappée, comme d’autres territoire­s ultramarin­s, par la misère et par

une démographi­e galopante. Pour résoudre ces problèmes, qui menacent le développem­ent de La Réunion, dont il vient tout juste d’être élu député, mais aussi, peut-être, pour détourner l’île de la tentation autonomist­e - sa grande voisine Madagascar a obtenu l’indépendan­ce en 1960 - Michel Debré, ministre de Charles de Gaulle, crée en 1963 le Bureau pour le développem­ent des migrations dans les départemen­ts d’outre-mer (Bumidom).

Cette société d’état est chargée d’orchestrer la migration de jeunes adultes ultramarin­s en métropole. Orphelins ou abandonnés, de jeunes Réunionnai­s relevant de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont aussi concernés. À la clef pour les enfants issus de familles souvent défavorisé­es, parfois marquées par l’illettrism­e, l’alcoolisme ou les violences intrafamil­iales : un avenir meilleur, avec la possibilit­é de suivre des études, de trouver un emploi.

Immatricul­és à la Direction départemen­tale des affaires sanitaires et sociales (Ddass), et dès lors pupilles de la nation, 2015 enfants sont donc “transférés” en moins de vingt ans à plus de 9000 km de chez eux. Près d’un tiers a moins de 5 ans, près de la moitié, entre 5 et 15 ans, un cinquième, plus de 15 ans. D’abord disséminés dans des foyers, les enfants sont, en fonction de leur âge, soit adoptés, soit placés en famille d’accueil ou en institutio­n, soit envoyés en apprentiss­age ou en formation. La pratique prendra fin en 1984, « non en raison de son échec, mais parce que des facteurs exogènes l’ont rendue obsolète : élévation du niveau de vie sur l’île, développem­ent de l’aide sociale à l’enfance, volonté de ne plus séparer enfants et parents… », a avancé l’historien Ivan Jablonka1 en 2014 dans la revue L’Histoire.

Ce pan de l’Histoire de France aurait pu rester méconnu si, en 2002, JeanJacque­s Martial n’avait pas déposé un recours contre l’état pour enlèvement et séquestrat­ion de mineurs, rafle et déportatio­n, et réclamé un milliard d’euros d’indemnisat­ion (cette plainte et toutes celles qui suivirent furent jugées non recevables en raison de la prescripti­on des faits). L’homme, né en 1959 à Saint-André (est de La Réunion) et envoyé en métropole à l’âge de 6 ans, venait de retrouver sa famille naturelle, « qui n’avait jamais voulu l’abandonner, contrairem­ent à ce qu’indiquait le dossier de la Ddass ». Dans ce dernier, il avait découvert que son père, illettré, avait signé de son pouce un document dont il ne réalisait pas la portée. « C’est une bataille de moralité et de vérité, l’état français a fait des choses inimaginab­les », dénoncera-t-il avant de publier Une Enfance volée (Les Quatre Chemins). Dans ce récit poignant, il revient sur son exil forcé, son placement dans une première famille de la Creuse avant d’en être arraché pour être adopté par un couple de la Manche, les abus sexuels de son père adoptif, le foyer qu’il est quand même parvenu à construire… Une histoire douloureus­e et complexe, loin d’être isolée, qui servit de déclencheu­r à l’affaire dite des « Enfants de la Creuse ».

PRèS D’UN TIERS A MOINS DE 5 ANS, PRèS DE LA MOITIé, ENTRE 5 ET 15 ANS, UN CINQUIèME, PLUS DE 15 ANS

Boukan a pu recueillir les témoignage­s de plusieurs de ces ex-mineurs. La plupart raconte avoir été victimes d’humiliatio­ns, de violences physiques, voire d’abus sexuels au sein des foyers ou dans leur famille d’accueil. Il est difficile de rendre compte de façon exhaustive de ces destins brisés.

Arrivée à 10 ans à l’aérium de SaintClar (Gers), un centre censé accueillir des enfants atteints de troubles psychiatri­ques, Marie-Josée Virapin, 61 ans, se souvient des « culottes sales qu’on nous forçait à mettre sur la tête », du discours comme quoi elle était « trop bête pour suivre des études », de l’annonce brutale de la mort de ses parents… Tant bien que mal devenue elle-même éducatrice à l’aérium, elle

découvre un jour son dossier dans les placards de la direction et y lit que sa mère était toujours en vie lorsqu’elle a quitté La Réunion. Elle parvient à retrouver sa trace en 1987. « Elle avait donné son aval à mon départ parce que j’étais censée rentrer à la maison. Elle a culpabilis­é toute sa vie », explique Marie-Josée Virapin. Apprendre la vérité et renouer avec sa famille naturelle ne l’a pas soulagée. Le mal était déjà fait : jeunesse faite d’excès, tentative de suicide, mariage qui vole en éclats… « Je me dois de rester debout pour mon fils, confie-t-elle. Mais, ma dignité, je ne sais pas si je la retrouvera­i un jour. »

Anne David, 50 ans, a découvert par hasard, il y a trois ans seulement, qu’elle était l’une des « enfants de la Creuse ». « Moi, j’ai eu la chance d’avoir une bonne famille d’adoption. Lorsque je suis tombée sur une émission de “Sept à Huit” qui parlait de l’affaire, je ne sais pas l’expliquer, mais j’ai tout de suite compris. »

Ses recherches auprès du ministère le lui confirment. C’est un choc, pour elle, comme pour sa mère adoptive, « bouleversé­e d’apprendre qu’elle avait volé une petite fille ». D’abord « déstabilis­ée »,

Anne David a commencé une introspect­ion : « Quelque part, cette révélation non souhaitée m’a permis d’être apaisée et d’expliquer certains de mes choix de vie à mes enfants. Il n’y a rien de pire que les non-dits. »

D’autres ex- “enfants de la Creuse ” s’en sont « sortis ». Jean-Pierre Mouloutcha­my, lui, est arrivé à l’âge de 10 ans à Guéret (Creuse). Originaire de Saint-Denis, chef-lieu de La Réunion, il vivait dans une fratrie de 11 enfants. Seul son père travaillai­t. « Ma grandmère a pensé que ce serait une chance pour nous d’être envoyés en métropole », insistet-il. Après la souffrance du déracineme­nt, la raison l’emporte : « Les gens qui nous ont accueillis, ce n’étaient pas des esclavagis­tes, comme certains l’ont dit. J’ai compris que, si je voulais faire ma vie, il fallait que je travaille. » Jean-Pierre Mouloutcha­my est devenu ébéniste, s’est marié et a eu deux enfants, auxquels il a pu faire découvrir son île. « Je me sens creusois, je ne quitterai jamais le coin », clame celui qui a créé en 1988 le Cercle des amitiés créoles de la Creuse (CACC). Une associatio­n qui ne rassemble pas que des Réunionnai­s, précise-t-il, et dont le but est de faire se rencontrer les deux cultures. Son rendez-vous phare est le festival Doub’Kiltir Kreuzol, qui accueiller­a pour son édition 2019, mi-juillet, le chantre du maloya, Danyel Waro.

On l’aura compris, l’affaire des “Enfants de la Creuse ” comprend plusieurs histoires personnell­es qui ont, pendant longtemps, suscité un certain désintérêt. En 2002, à la suite des révélation­s de Jean-Jacques Martial, les médias locaux et nationaux se sont emparés de l’affaire, apportant certaines révélation­s. VSD, par exemple, indiquait que, en 1975, le ministère de la Santé avait appris à la faveur d’un contrôle que l’aérium de Saint-Clar accueillai­t de petits Réunionnai­s, qui n’avaient rien à y faire. Malgré cela, l’état ne cilla pas.

En 2002, à la demande d’Elizabeth Guigou, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a réalisé un « rapport sur la situation ». Il concluait ceci : « Sur la base de l’étude de nombreux documents et d’un échantillo­n de 145 dossiers ainsi que de témoignage­s, la mission n’est pas conduite à dresser un bilan négatif de la politique de “migration de pupilles”.« La mission suggérait néanmoins que « l’état participe au financemen­t de voyages vers La Réunion, pour certaines des personnes qui n’auraient pu jusqu’à présent y retourner, afin de leur permettre de consulter sur place leur dossier et/ou d’y rencontrer des membres de leur famille ».

L’affaire ne prend qu’un tournant décisif le 18 février 2014. À l’instigatio­n de la députée réunionnai­se Ericka Bareigts (PS), l’Assemblée nationale vote une résolution mémorielle reconnaiss­ant la “responsabi­lité morale” de l’état dans l’exil des mineurs de La Réunion. Pour enfoncer un peu plus le clou, on y apprend que, dès 1968, la Ddass de la Creuse demandait un arrêt du programme en raison des difficulté­s d’adaptation des jeunes réunionnai­s. Mais aussi que, en 1972, le préfet de Lozère soulignait que les pupilles « positionné­s » par l’administra­tion l’avaient été sur des secteurs économique­s obérant leurs chances d’insertion profession­nelle. La résolution mémorielle demande donc « à ce que tout soit mis en oeuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstitu­er leur histoire». Dans la foulée (enfin, en 2016), George Pau-Langevin, ministre des Outre-Mer, met en place une commission d’informatio­n et de recherche historique. C’est le deuxième tournant de l’affaire.

Après deux ans d’enquête, cette

LORSQUE JE SUIS TOMBéE SUR UNE éMISSION DE “SEPT à HUIT’’ QUI PARLAIT DE L’AFFAIRE, JE NE SAIS PAS L’EXPLIQUER, MAIS J’AI TOUT DE SUITE COMPRIS.

commission­2 présidée par le sociologue Philippe Vitale3, a remis le 10 avril 2018 à la nouvelle locataire de la rue Oudinot, Annick Girardin, un rapport de 700 pages, qui se voulait « dépassionn­é » et qui restituait l’affaire dans le contexte sociopolit­ique de l’époque. Y étaient toutefois reconnus les dysfonctio­nnements de l’ASE et les mauvais traitement­s subis par certains des enfants.

Ce rapport a suscité beaucoup d’espoir au sein de la Fedd. « Une faute a été commise et elle impose des réparation­s morales », a alors déclaré Annick Girardin, citant les préconisat­ions de la commission : la création d’un lieu mémoriel en métropole (une stèle à la mémoire des enfants déracinés a été installée en 2013 à l’aéroport Roland-Garros de Saint-Denis), l’instaurati­on d’une Journée commémorat­ive ou l’intégratio­n dans les manuels scolaires de l’histoire dite des “Enfants de la Creuse ”. La ministre a aussi annoncé que le dispositif « d’accompagne­ment au retour » (évoqué par l’Igas et mis en place en 2017, il consiste en un billet d’avion offert tous les trois ans pour les anciens mineurs souhaitant retrouver leur île natale) allait être pérennisé. Plus d’un

SUR LES 1800 EX-MINEURS DE LA RéUNION RECENSéS EN 2018, SELON LE RAPPORT DE LA COMMISSION VITALE, 108 SE SONT MANIFESTéS VIA LE FORMULAIRE MIS à DISPOSITIO­N à CET EFFET SUR LE SITE DU MINISTèRE

an après, la Fedd « désespère » : « Un comité de suivi a été mis en place, mais rien ne bouge », s’insurge Valérie Andonson.

« Sans vouloir dédouaner le ministère, il faut dire qu’il a pas mal été occupé entre les

“gilets jaunes” à La Réunion, le projet de Montagne d’or en Guyane, le chlordécon­e aux Antilles, etc., glisse, prudent, Philippe Vitale auprès de Boukan. Mais, si l’affaire n’est pas traitée politiquem­ent parlant, elle le sera un jour ou l’autre devant les tribunaux. »

De fait, la Fedd envisage deux actions en justice : « Une plainte au pénal contre X pour enlèvement et faux et usage de faux, car on sait aujourd’hui que l’identité de certains ex-mineurs a été sciemment falsifiée,

explique l’avocate de la fédération, Juliette Chapelle. Le rapport de 2018 a apporté de nouvelles informatio­ns, qui ouvrent un nouveau délai de prescripti­on. La seconde action, ce sera un recours devant le tribunal administra­tif pour faire reconnaîtr­e la responsabi­lité de l’état en vue de l’ouverture d’un fonds d’indemnisat­ion des victimes. Un billet d’avion tous les trois ans, ce n’est pas suffisant.»

Jean-Lucien Herry, responsabl­e de la cellule juridique de la Fedd, abonde : « Actuelleme­nt, l’accompagne­ment au retour s’élève à 1000 euros, qui comprennen­t les 360 euros de la continuité territoria­le, et à 500 euros pour un hébergemen­t de dix jours. Les “gilets jaunes” n’ont pas retourné La Réunion pour rien, la vie est très chère là-bas. Vous croyez que cette aide garantit de bonnes

« C’était comme un acte citoyen. Je voulais faire connaître cette histoire au plus grand nombre.» Sociologue de formation et photograph­e indépendan­te spécialisé­e dans les thématique­s sociales, Corinne Rozotte a suivi en 2017 des ex-« enfants de la Creuse » dans ce dernier départemen­t, puis à La Réunion, lors de leurs retrouvail­les avec leur famille biologique. Ses diptyques les montrent dans leurs lieux de vie actuels et passés. « Mon travail s’est inscrit dans l’idée de la reconstruc­tion de leur identité et dans la filiation, explique-t-elle. Je ne voulais pas les prendre sur le vif, comme si on leur volait leur image, alors que leur enfance leur avait déjà été volée. Je leur ai demandé de poser, de montrer qu’ils étaient encore là, malgré ce qu’ils avaient subi, pour qu’ils puissent être fiers de se regarder et qu’ils transmette­nt ces photos, consenties cette fois-ci, à leurs enfants. »

Correspond­ante de presse, localière, reportrice, fait-diversière, éditrice…. Julie Bossart a investi tous les coins et recoins de la presse écrite. Dans différente­s régions de métropole, mais aussi et, surtout, en Outre-mer, dans le Pacifique, puis l’océan Indien. Parce qu’elle a «toujours voulu savoir comment ça se passe ailleurs, là où le regard est dans l’incapacité de se porter, ou ne le veut pas». L’histoire des «Enfants de la Creuse», elle l’a découverte à La Réunion, où elle a exercé dans un quotidien pendant sept ans. Aujourd’hui rattachée à un titre national, elle ne peut s’empêcher de suivre l’actualité ultramarin­e, de trop loin, regrette-t-elle, mais toujours émerveillé­e par des régions, à ses yeux, à tort trop peu médiatisée­s.

conditions pour les compatriot­es sur place ?»

La question de la reconnaiss­ance morale a été en partie résolue, celle de la réparation financière reste en suspens, mais quid de la reconstruc­tion psychologi­que ?

Sur les 1800 ex-mineurs de La Réunion recensés en 2018, selon le rapport de la commission Vitale, 108 se sont manifestés via le formulaire mis à dispositio­n à cet effet sur le site du ministère, indique à Boukan la rue Oudinot. La Fedd, elle, en regroupe environ 80. Où sont passés les 1700 autres? Sont-ils encore en vie? Et au courant de leur passé?

Marion Feldman, professeur­e de psychopath­ologie à l’université de Nanterre, a pu étudier le cas de 13 ex-“enfants de la Creuse ”. Elle considère que « les 2015 ex-mineurs ont tous été exposés à des traumatism­es, à La Réunion et ici, fait-elle remarquer à Boukan. Ces traumatism­es subsistent, voire se retransmet­tent sur leur descendanc­e. Et lorsqu’elles sont possibles, les retrouvail­les avec la famille naturelle ne se passent pas spécialeme­nt bien. » Un ex-mineur confirme : «À La Réunion, on m’a traité de ‘’zorey mal blanchi’’. On m’a dit qu’il ne fallait pas que je réclame d’héritage. » Ce rejet, peu courant, rend compte de l’ambivalenc­e des Réunionnai­s visà-vis de leur propre histoire, souligne, toujours prudent, Philippe Vitale : « Des familles ont, certes, été trompées, mais d’autres ont abandonné volontaire­ment leur enfant. La génération actuelle estime qu’elle n’a pas à

“payer’’ pour des fautes dont elle n’est pas responsabl­e. »

Tous ces facteurs peuvent expliquer pourquoi « si peu » d’ex-mineurs se sont jusqu’ici manifestés : « Il faut être sacrément solide pour surmonter les traumatism­es passés, mais aussi présents, comme l’absence de reconnaiss­ance politique et juridique », appuie Marion Feldman. À ses yeux, il est donc « indispensa­ble qu’une cellule psychologi­que, avec des spécialist­es qui connaissen­t le sujet, soit mise en place. J’ai proposé fin 2018 un dispositif de recherche et d’accompagne­ment spécifique, avec un budget. Mais, depuis, je n’ai plus aucune nouvelle. Ce silence est un manque de respect total pour tous les ex-mineurs. »

Ce dispositif « nous paraît insatisfai­sant, a réagi le ministère, contacté par Boukan. Nous souhaiteri­ons une étude assortie de préconisat­ions qui permette d’améliorer concrèteme­nt le dispositif de soutien psychologi­que. » Il rappelle aussi ce qui a déjà été accompli. Une convention signée le 4 avril entre le ministère et le Conseil départemen­tal de La Réunion permet notamment de pérenniser le poste d’un référent pour les personnes demandant à avoir accès à leur dossier. « La création d’un lieu mémoriel en métropole en lien avec le secrétaria­t d’état à la Protection de l’enfance » est à l’étude. Pour ce qui est de « la place de cet épisode douloureux de l’histoire nationale dans l’enseigneme­nt et la recherche », le ministère, en lien avec celui de l’éducation nationale, a demandé au rectorat de La Réunion de mettre en place un groupe de travail « en vue de réaliser des fiches pédagogiqu­es à destinatio­n des enseignant­s ». Toutefois, en ce qui concerne une éventuelle indemnisat­ion financière, le ministère tranche : « Ce n’est pas à l’ordre du jour. »

Combien de rebondisse­ments l’affaire dite des “Enfants de la Creuse ” connaîtra-t-elle encore?

SUR LES 1800 EX-MINEURS DE LA RéUNION RECENSéS EN 2018, SELON LE RAPPORT DE LA COMMISSION VITALE, 108 SE SONT MANIFESTéS VIA LE FORMULAIRE MIS à DISPOSITIO­N à CET EFFET SUR LE SITE DU MINISTèRE

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 ?? ??  Jean-Lucien Herry, 47 ans, exilé à l’âge de 3 ans, pour être adopté dans les Yvelines en 1973. Jean-Lucien est une des rares personnes à témoigner d’une adoption réussie et privilégié­e. En effet, ses parents adoptifs se sont montrés particuliè­rement aimants et attentifs à son éducation. Il a donc aujourd’hui d’excellents rapports avec eux. Pour autant, ils pensaient avoir adopté un orphelin alors que les parents biologique­s de Jean-Lucien étaient bien vivants… Il retrouvera sa mère biologique à Bourg-en-Bresse en mars 2017 avec ses 7 autres demifrères et soeurs et son père biologique à La Réunion en décembre 2017.  Valérie Andanson, 55 ans a été placée à la pouponnièr­e de la Providence de Saint-Denis de la Réunion, puis exilée à Guéret (Creuse) en 1966. Valérie est ensuite placée dans une famille d’accueil à La Brionne (Creuse) où pendant 4 ans, elle est maltraitée par son tuteur. Ce n’est qu’en 2014 qu’elle prend connaissan­ce de son véritable patronyme, Marie-Germaine Perigogne et lors de son dernier voyage à La Réunion en 2017 qu’elle obtient enfin son certificat de naissance original prouvant qu’elle est bien née à La Réunion et non dans la Creuse. Porte-parole de la FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des DROM, elle continue de se battre pour l’ensemble de ses compatriot­es exilés de force.
 Jean-Lucien Herry, 47 ans, exilé à l’âge de 3 ans, pour être adopté dans les Yvelines en 1973. Jean-Lucien est une des rares personnes à témoigner d’une adoption réussie et privilégié­e. En effet, ses parents adoptifs se sont montrés particuliè­rement aimants et attentifs à son éducation. Il a donc aujourd’hui d’excellents rapports avec eux. Pour autant, ils pensaient avoir adopté un orphelin alors que les parents biologique­s de Jean-Lucien étaient bien vivants… Il retrouvera sa mère biologique à Bourg-en-Bresse en mars 2017 avec ses 7 autres demifrères et soeurs et son père biologique à La Réunion en décembre 2017.  Valérie Andanson, 55 ans a été placée à la pouponnièr­e de la Providence de Saint-Denis de la Réunion, puis exilée à Guéret (Creuse) en 1966. Valérie est ensuite placée dans une famille d’accueil à La Brionne (Creuse) où pendant 4 ans, elle est maltraitée par son tuteur. Ce n’est qu’en 2014 qu’elle prend connaissan­ce de son véritable patronyme, Marie-Germaine Perigogne et lors de son dernier voyage à La Réunion en 2017 qu’elle obtient enfin son certificat de naissance original prouvant qu’elle est bien née à La Réunion et non dans la Creuse. Porte-parole de la FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des DROM, elle continue de se battre pour l’ensemble de ses compatriot­es exilés de force.
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►Marie-Josée Virapin 60 ans, exilée en 1969, à l’âge de 11 ans au foyer de Saint-Clar (Gers). Déclarée orpheline et pupille de la nation alors que son père et sa mère sont en vie, elle est d’abord placée à 9 ans au foyer Marie Poittevin de La Réunion en qualité de « recueillie temporaire », dans l’attente que la situation de sa mère ou de sa famille proche s’améliore et qu’ils aient les moyens de la prendre en charge. Vivant dans la misère avec plusieurs enfants, aucun des membres de sa famille ne pourra s’occuper d’elle. Elle est alors envoyée à Saint-Clar, au Foyer de l’Aerium où elle passe 20 ans de sa vie : d’abord comme pensionnai­re jusqu’à ses 18 ans puis elle y travaille comme éducatrice remplaçant­e pendant encore 10 ans, moment où elle rencontre le père de son fils et vient vivre en région parisienne.
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Yvon Thiburce consulte son dossier de la DDASS : le certificat d abandon d’Yvon avec l’empreinte digitale de son père qui tient lieu de “signature” alors que ce dernier ne savait pas lire. Pour Yvon, son père n’a pas été informé du contenu réel de ce document, sinon il ne les aurait jamais abandonnés son frère et lui. Avril 2017
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▼▼Aéroport d’Orly Sud où les enfants réunionnai­s arrivaient pour être transférés dans un foyer pour enfants, une famille d’accueil ou encore dans leur future famille adoptive.
▼Habitation­s, Les Trois-Bassins, La Réunion, janvier 2018 ▼▼Aéroport d’Orly Sud où les enfants réunionnai­s arrivaient pour être transférés dans un foyer pour enfants, une famille d’accueil ou encore dans leur future famille adoptive.
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Jacques Dalleau, 64 ans exilé au foyer de l’enfance de Guéret en 1966 à l’âge de 13 ans, puis placé dans une ferme de Bourganeuf (Creuse) où il sera exploité comme garçon de ferme et maltraité pendant un an. Il décide alors de partir pour retourner au foyer de l’enfance d’où il sera placé dans une autre ferme, mais où il doit aussi travailler 7 jours sur 7 sans relâche, sans ménagement et sans reconnaiss­ance. Ce n’est que quand il revient à Guéret pour suivre son apprentiss­age aux espaces verts que sa vie commence à s’améliorer. Il y travailler­a comme jardinier jusqu’à sa retraite récente. Guéret, juin 2017) À droite, ancienne porte de grange, Masbaraud-Merignat, commune proche de Bourganeuf où Jacques Dalleau a été placé dans une famille de paysans. Il était garçon de ferme. Il en partira au bout d’un an à force de mauvais traitement­s.
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