Boukan - le courrier ultramarin

SARGASSES OU COMMENT TRANSFORME­R UNE CALAMITé EN AUBAINE

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Antilles - Depuis 2011, les échouages massifs de sargasses, algues brunes flottantes, se multiplien­t sur les côtes de l’Atlantique tropical avec d’importante­s conséquenc­es économique­s et sanitaires. Car en se décomposan­t, elles dégagent, entre autres choses, du sulfure d’hydrogène, un gaz nauséabond et toxique pour l’Homme. La première conférence internatio­nale sur les sargasses, qui s’est tenue en Guadeloupe, du 23 au 26 octobre dernier, s’est clôturée par l’interventi­on du Premier ministre Édouard Philippe et l’annonce de la création d’un “programme caribéen” animé par la Région Guadeloupe et financé par des fonds européens. L’objectif : mieux connaître cette algue et les raisons pour lesquelles elle prolifère tout en renforçant la capacité de réponse régionale face aux échouages massifs. La création d’un centre d’alerte et de surveillan­ce à l’échelle du bassin caribéen a ainsi été actée de même que la mise en place d’une plateforme vouée à la collecte des données scientifiq­ues, mais aussi techniques. Et en la matière, les innovation­s fourmillen­t que ce soit pour la prévision des échouages, le suivi des émanations gazeuses, la collecte ou encore la valorisati­on des sargasses. Parmi les projets présentés en marge de la conférence, Sargood, piloté par l’université des Antilles, vise par exemple à isoler les molécules contenues dans les sargasses à des fins pharmacolo­giques ou agroalimen­taires, mais aussi à vérifier le potentiel de l’algue en matière de biomatéria­ux pour la constructi­on. Le projet ECO3SAR (Écologie, Écotoxicol­ogie et Économie des sargasses) porté par le CNRS et l’ADEME cherche, lui, à les valoriser notamment sous la forme d’amendement. D’autres explorent la possibilit­é de les utiliser dans la production de papier, de carton, de bioplastiq­ues ou encore d’énergie (biocarbura­nts, méthanisat­ion, etc.) Mais les obstacles sont nombreux avant que le fléau ne se transforme en aubaine. D’abord, parce que les sargasses concentren­t les métaux lourds (comme l’arsenic) et le chlordécon­e, cet insecticid­e toxique utilisé aux Antilles jusqu’au début des années 1990 pour lutter contre le charançon du bananier. Ensuite parce que comme l’a souligné l’ethnologue Florence Ménez, de l’Université des Antilles, lors de son interventi­on, une partie de la population, celle qui généraleme­nt habite à proximité des zones d’échouage, n’est tout simplement pas prête à entendre parler de valorisati­on tant ces algues ont “contaminé” l’imaginaire collectif. « L’enquête que j’ai menée en Guadeloupe et en Martinique dans le cadre d’ECO3SAR visait à cerner les pratiques des acteurs sociaux en matière de compostage, leur rapport à la terre, afin de savoir s’ils pouvaient intégrer dans ces usage, matérielle­ment et symbolique­ment, des sargasses transformé­es en engrais. D’après les résultats provisoire­s de l’enquête, il ressort que les sentiments sont partagés selon la zone de résidence, l’activité profession­nelle et surtout l’expérience sensible de chacun : les personnes les plus exposées aux odeurs, qui ont des problèmes de santé ou qui ont dû bouleverse­r leurs habitudes… sont réticentes en ce qui concerne l’utilisatio­n des algues valorisées. Leur souffrance et leur méfiance sont telles que par “sargasses”, elles entendent immédiatem­ent “arsenic ”.» D’autres ont des avis plus nuancés. « Mais globalemen­t elles veulent de la transparen­ce que ce soit au niveau des données toxicologi­ques comme du processus de réalisatio­n des produits issus des sargasses. »

(F.Ménez, La télé est morte - Algues brunes, corrosion, contagion aux Antilles, Technique & Culture, 5 décembre 2019)

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▼ Illustrati­on Marie Verwaerde pour Boukan

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