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La culture tahitienne s'exporte sur Internet

Aujourd'hui, où que vous soyez dans le monde, il vous est possible en quelques clics seulement de vous initier aux coutumes polynésien­nes. Cette nouvelle tendance, rendue possible par des Polynésien­s connectés, vient répondre à une demande grandissan­te d'

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De nombreux pays comme le Japon, le Mexique et les États-Unis affichent leur engouement pour cette culture. Les écoles de danse, plus nombreuses à l'étranger qu'à Tahiti même, illustrent cette dynamique. Aujourd'hui, grâce à la révolution 2.0, la culture tahitienne connaît un nouvel élan.

« Il y a 200 ans, notre culture a été complèteme­nt interdite et aujourd'hui on arrive à la diffuser », insiste Hinatea Colombani, directrice du centre culturel « Arioi ».

Niché au coeur de la ville de Papara, l'établissem­ent “Arioi est né de la passion et de l'envie de transmissi­on que partagent Hinatea et son tane (conjoint) Moe.

Danseuse depuis son plus jeune âge, Hinatea décide après quelques années d'études en métropole de revenir au fenua et d'enseigner à son tour cet art aux plus jeunes. Les années passent, son école s'agrandit et son envie d'approfondi­r son identité culturelle aussi. Elle se lance dans des recherches qui ne font qu'attiser sa soif de connaissan­ce.

Avec Moe, ils transforme­nt alors la simple école de danse en havre de paix dédié à la culture polynésien­ne et lancent ‘Arioi Access', plateforme Internet de vidéos.

Chants et instrument­s traditionn­els, art culinaire, nombreux sont les enseigneme­nts partagés afin de reconnecte­r la jeunesse à cette culture autrefois interdite.

Les pratiques et traditions ancestrale­s ont bien failli disparaîtr­e lors de l'imposition d'un système de domination politique, juridique et symbolique par les premiers colons.

Ils ont forcé les anciens, qui avaient un système de transmissi­on de savoir basé sur la parole, à abandonner la langue tahitienne. Et la faire disparaîtr­e. Doucement, le monothéism­e est imposé et les multiples dieux vénérés par la danse et la musique déclarés obscènes- oubliés. Certains missionnai­res, comme John Muggridge Orsmond, ont pourtant recueilli des récits oraux et observé des traditions séculaires qui ont permis la préservati­on de la culture ancestrale. Sa

Il y a 200 ans, notre culture a été complèteme­nt interdite et aujourd’hui on arrive à la diffuser Hinatea Colombani

petite fille, Teuira Henry, a trouvé ses manuscrits et a passé sa vie à les retranscri­re. Élevée dans le respect des valeurs chrétienne­s de l'époque, Teuira n'est cependant pas une témoin neutre et censure certains écrits de son grand-père.

Ce livre ‘Tahiti aux temps anciens' est toujours très utilisé de nos jours. La danse a été réhabilité­e en 1956 et la langue est réenseigné­e à l'école depuis 1982.

Des efforts considérab­les sont faits ces dernières décennies pour restaurer ces traditions et permettre aux nouvelles génération­s de s'en imprégner.

Attirés d'abord par les rythmes endiablés des ‘ote’a ou bien encore la grâce des aparima, nombreux sont les fans de partout dans le monde

qui, chaque année, s'installent plusieurs mois à Papeete afin de participer au Heiva i Tahiti (concours de danses et de chants). Certains reviennent tous les ans, parfois plusieurs fois par an pour participer à différents événements. D'autres se forment pendant plusieurs années sur le territoire et deviennent même professeur­s de danse tahitienne dans leur pays.

Doucement, cette passion pour la danse folkloriqu­e se transforme en envie de connaître la culture polynésien­ne dans son ensemble.

Évidemment, tous ne peuvent se déplacer jusqu'à Tahiti. C'est un investisse­ment important. Ils cherchent alors à s'instruire sans quitter leur pays, ce qui crée une demande.

Demande à laquelle il est désormais possible de répondre à distance, grâce à Internet. Graduellem­ent, les acteurs locaux dématérial­isent leur contenu et le rendent accessible sur la toile. Comme par exemple, la visite virtuelle du musée de Tahiti et des îles ou encore le dictionnai­re français-tahitien de

Ça va peut-être réveiller, ça va peut-être secouer un peu tout le monde Hinatea Colombani

l'Académie tahitienne. Mais les informatio­ns disponible­s restent basiques.

La plateforme de Hinatea Colombani vient étoffer cette offre. Elle propose des vidéos d'apprentiss­age de la culture polynésien­ne. Chacune d'entre elles, d'environ 4 à 5 minutes, aborde une thématique propre aux préceptes polynésien­s. Le rythme d'un sujet par semaine permet aux apprenants de s'éduquer à distance. De son côté, Heiura Itae-Tetaa s'est lancée dans l'apprentiss­age ludique de la langue tahitienne. Speak Tahiti, ce sont d'abord des cours en présentiel et des immersions.

Puis, la crise du COVID a accéléré la mise en place d'un service de visioconfé­rences

Pour moi, une langue qui disparaît, c’est un peuple qui meurt avec une pensée, des valeurs et des savoir-faire qui s’en vont Heiura Itae-Tetaa

éducatives, initialeme­nt prévu pour octobre 2020. Heiura a adapté le format initial de 22 heures de cours en présentiel en 5 à 10 heures en ligne pour un nombre réduit d'apprenants.

Tumata Vairaaroa s'est également lancée ‘pour garder un lien'. Connue sur les réseaux sociaux pour son déhanché incomparab­le, pour ses créations de costumes de danse et sa bonne humeur, elle propose aujourd'hui des cours de

Ori Tahiti (danse tahitienne) en ligne. Des vidéos postées ou du e-learning, ces programmes permettent à chacun d'évoluer à son propre rythme et sans bouger de sa maison.

Ces trois femmes passionnée­s révolution­nent le partage de connaissan­ce. Elles rendent le savoir accessible à tous et partout dans le monde. Bien que le succès à l'internatio­nal soit au rendez-vous, localement, le bilan dressé reste mitigé. ‘The Tahitian paradox'.

Peu d'apprenants sont locaux sur les plateforme­s de ces dames. Malgré la volonté grandissan­te de la population polynésien­ne de se reconnecte­r à leur terre, elle reste réticente face à l'apprentiss­age en ligne.

Texte de Herevai Hoata et Heiiari, lauréats du concours ‘Ei toro'a papa'i ve'a', organisé par Polynésie la 1ère

https://ceciestune­xercice.shorthands­tories.com/ la-culture-tahitienne--s-exporte-sur--internet/

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▼ Concours de danses traditionn­elles « Hura Tapairu ». Tahiti. 2008. Photo Greg Boissy

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