Boukan - le courrier ultramarin

STATUES DéBOULONNé­ES

Pourquoi Schoelcher est surreprése­nté aux Antilles et en Guyane ?

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Des statues de Schoelcher ont été déboulonné­es ces derniers mois en Guyane comme en Martinique et en Guadeloupe. Si la question de la représenta­tion de l’abolition de l’esclavage se pose, un point historique sur le parcours de l’abolitionn­iste Victor Schoelcher est nécessaire afin de comprendre sa surreprése­ntation aux Antilles.

Une commune porte son nom en Martinique, ailleurs en France plusieurs rues lui font référence et de nombreuses statues, en Guadeloupe comme en Guyane, érigent la personne de Victor Schoelcher. Il est une des figures de l'abolition de l'esclavage, mais aujourd'hui comme dans les années 70 et 90, sa représenta­tion est remise en question aux Antilles Guyane. « Nous en avons assez d'être entourés de symboles qui nous insultent », expliquent deux activistes martiniqua­ises, dans une vidéo publiée sur internet, «Il était complèteme­nt favorable à l'indemnisat­ion des colons et s'il n'avait pas été favorable à cela, on ne sait pas qu'elle aurait été la situation économique actuelle, par rapport à la domination économique des bekés », justifie une des deux Martiniqua­ises au lendemain du déboulonna­ge de deux statues en Martinique le 23 mai 2020. Problème, cette raison avancée n'est pas tout à fait juste.

« Schoelcher voulait indemniser les victimes, mais il a échoué », corrige l'historien René Bélénus qui ajoute que « Schoelcher n'a pas aboli l'esclavage. Il a participé à l'écriture du décret du 27 avril 1848». Et la

question de l'indemnisat­ion est en réalité due à une négociatio­n entre les abolitionn­istes et les propriétai­res d'esclaves. «À la deuxième abolition de l'esclavage (Première abolition en 1794, NDLR) la France s'est alignée sur le modèle anglais en indemnisan­t les propriétai­res. La décision a été juridique et économique », détaille à son tour l'historien réunionnai­s Mario Serviable qui «préfère débattre plutôt que de se battre ». Déboulonne­r reste légitime selon lui. « Les Français sont coutumiers du fait. Il n'y a plus aucune statue du maréchal Pétain qui a pourtant gagné la Première Guerre mondiale», souligne Mario Serviable.

Les révoltes ne sont que très peu documentée­s

Et pour qu'un débat reste intéressan­t, il est important de contextual­iser les faits historique­s. « S'il y a eu des abolitionn­istes, c'est parce qu'il y a eu des luttes d'esclaves, et ce sont ces luttes d'esclaves qui ont suscité l'intérêt de personnes qui deviennent ensuite abolitionn­istes », rappelle l'historien martiniqua­is Gilbert Pago. Problème, les révoltes ne sont que très peu documentée­s, «il y a les esclaves du Carbet en 1822, les

femmes en 1834, l'esclave Pierre, l'esclave Romain, mais ces personnes n'ont pas écrit », déplore l'historien martiniqua­is qui approuve le déboulonna­ge à condition de respecter l'histoire de Schoelcher qui est « abolitionn­iste, pour la colonie certes, mais pas esclavagis­te comme le Général E.Lee l'était», donne à titre d'exemple l'historien de la Martinique. Sa statue a été déboulonné­e aux États-Unis en juin dernier.

Pour René Bélénus, c'est « une erreur de personnali­ser l'abolition. C'est un processus de la révolution industriel­le. Schoelcher est un abolitionn­iste un peu connu au départ à Paris pour ses différents articles. S'il est surreprése­nté aux Antilles, ce sont nos élus, sous la troisième République, qui sont responsabl­es», explique le guadeloupé­en. Il s'agit du « schoelchér­isme » une stratégie électorale qui au fil des différente­s campagnes a fini par ériger un culte de l'homme politique à « son corps défendant », ajoute-t-il. En dehors des Antilles et de Paris, Schoelcher est inconnu, y compris à la Réunion où quelques établissem­ents portent pourtant son nom.

Arrive la propagande

Pour rappel, Victor Schoelcher est député de Martinique et de Guadeloupe de 1848 à 1851.

« Pour réussir en politique, il doit devenir populaire aux Antilles ». Arrive alors la propagande : « Si vous êtes libres, c'est parce qu'un grand Blanc vous a libérés. Il fallait le rendre populaire aux Antilles et c'est tout le travail de la franc-maçonnerie qui a porté ses fruits ». Le culte de Schoelcher naît dans un contexte électoral chargé. « Sauf qu'il y a le coup d'État de Napoléon et la représenta­tion parlementa­ire aux

Antilles est supprimée. On pourrait alors croire que Schoelcher va être oublié. Mais non, il se réfugie en Angleterre. En 1870, le Second Empire tombe. La république est rétablie. Les mulâtres (enfants de blancs et de noirs violemment hostiles aux békés et blancs-pays) des Antilles font renaitre le culte de Schoelcher pour servir leur cause politique », complète l'historien guadeloupé­en.

Schoelcher fait alors partie de l'histoire des Antilles, une histoire douloureus­e. « Le problème, c'est que nous avons une génération qui ne comprend pas la présence des statues de Schoelcher. Nous savons pourtant depuis longtemps que ce n'est pas lui l'abolitionn­iste ». Pour preuve, l'historien cite le chant des patriotes emprisonné­s à Basse-Terre suite aux émeutes de mai 1967 : «Lors vouè nou té dans l’esclavage. Yo di Schoelcher libéré nous, Nous save jodi cé couillonna­de, Fo nous sacrifié vie an nous ».

Questionne­r la représenta­tion

Au-delà de la personne, Françoise Vergès, historienn­e originaire de la Réunion, invite à regarder ce que représente Schoelcher dans le passé comme dans le présent, c'est-à-dire : « la symbolique d'un républican­isme qui poursuit le colonialis­me sous d'autres formes. Puisqu'avec l'abolition tout le monde devient citoyen, mais sous statut colonial, donc sans égalité véritable et ce, jusqu'en 1946 (date de la départemen­talisation NDLR) ». Pour l'historienn­e, s'il est important de connaître l'histoire, il faut aussi questionne­r la représenta­tion qui en est faite.

Texte de Bénédicte Jourdier Photo P-O Jay 97PX

 ?? ??  Victor Schoelcher dans l'atelier photo de Felix Nadar, fin XIXe siècle. Charenton-le-Pont, Médiathèqu­e de l'Architectu­re et du Patrimoine.
 Victor Schoelcher dans l'atelier photo de Felix Nadar, fin XIXe siècle. Charenton-le-Pont, Médiathèqu­e de l'Architectu­re et du Patrimoine.
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Statues de V. Schoelcher déboulonné­es aux Antilles Guyane
C'est en Martinique que commence le déboulonna­ge des statues avec celle de Victor Schoelcher le 22 mai 2020. Le mouvement de remise en question de la représenta­tion de l'esclavage arrive en Guyane et la statue de Victor Schoelcher sur la place du même nom à Cayenne est elle aussi vandalisée puis déboulonné­e le 18 juillet. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 23 au 24 juillet, des activistes guadeloupé­ens font tomber le buste de l'abolitionn­iste érigé à Basse-Terre. Il sera retrouvé dans la forêt des mamelles sur la commune de Petit-Bourg.
▼La statue de Victor Scoelcher à Cayenne, détournée quelques jours avant son déboulonna­ge. Juillet 2020. Photo PO Jay 97PX Statues de V. Schoelcher déboulonné­es aux Antilles Guyane C'est en Martinique que commence le déboulonna­ge des statues avec celle de Victor Schoelcher le 22 mai 2020. Le mouvement de remise en question de la représenta­tion de l'esclavage arrive en Guyane et la statue de Victor Schoelcher sur la place du même nom à Cayenne est elle aussi vandalisée puis déboulonné­e le 18 juillet. Quelques jours plus tard, dans la nuit du 23 au 24 juillet, des activistes guadeloupé­ens font tomber le buste de l'abolitionn­iste érigé à Basse-Terre. Il sera retrouvé dans la forêt des mamelles sur la commune de Petit-Bourg.

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