Boukan - le courrier ultramarin

En Nouvelle-Calédonie, l’activité minière bloquée pour réparer l’injustice

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Sur le Caillou, huit mois de conflit ont opposé les Kanaks au géant minier brésilien Vale suite à l’annonce de son départ. Le combat, d’abord d’ordre sociétal, est devenu politique, sclérosant le pays, aujourd’hui sans gouverneme­nt. Malgré un accord trouvé, les tensions persistent.

Au coeur de l’extrême sud de la Nouvelle-Calédonie, on ne croise que des arbustes, d’un vert profond, enracinés dans un sol sec, lunaire, d’un rougeorang­é vif. « Avant c’était vert partout, mais maintenant on ne voit plus que du rouge», souffle une « maman » de Goro, l’une des quatre tribus kanaks implantées ici. Depuis 1999, ce vaste paysage dramatique est devenu le siège d’un colossal projet minier et industriel. En surplomb, dans la mine, les bulldozers terrassent la verdure. Ils ramassent la terre rouge, la latérite, chargée d’oxydes de nickel et de cobalt. Ces métaux sont extraits en contrebas, dans une gigantesqu­e usine hydrométal­lurgique.

Sur le site industriel, détenu jusque-là par le géant brésilien Vale, plus de 3 000 personnes s’activent. Mais tout s’est arrêté du jour au lendemain en décembre 2020. La route pour y accéder est bloquée par les « jeunes » des tribus environnan­tes. Ils s’opposent au projet de rachat de l’usine. L’offre proposée ne leur garantit pas la préservati­on de l’environnem­ent et la prise en charge de tous les impacts du site. Un refus du dialogue, de la part de l’industriel, la province Sud et de l’État français a conduit au blocage des routes dès le 4 décembre.

Lutter pour l’intérêt général

Six jours plus tard, la mobilisati­on atteint son paroxysme. L’usine devient le théâtre de violents affronteme­nts entre les manifestan­ts et les forces de l’ordre. Bâtiments et engins sont incendiés, des jets de pierre fusent, des personnes sont blessées des deux côtés, la situation paraît hors de contrôle. Les 300 employés sur site, une équipe réduite mobilisée pour maintenir l’usine, sont évacués en urgence. Les auteurs des exactions sont vus comme des délinquant­s, des « paumés animés par la haine», comme les décrira à son retour à Nouméa, un employé évacué. « L’usine à l’arrêt, poursuit l’un de ses collègues les larmes aux yeux, c’est nos 3000 emplois à la porte! Je ne comprends pas ce qu’ils veulent.»

« Ils », ce sont ces « jeunes » -et parfois ces « pères » — des tribus côtières de l’extrême sud de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que leurs « frères » des îles voisines. Et eux portent un tout autre regard sur leur action. Fatigués de ne jamais se sentir écoutés, ils laissent parfois la fureur déborder. « Ce n’est pas bien de casser, mais ce jour-là, c’est la colère qui nous a emportés, explique, les yeux baissés et d’un ton calme qui détonne avec son propos, l’un des “papas” présents ce jour-là. À cette période, on ne bloquait plus les routes, on laissait passer les voitures, on ne bloquait que l’entrée de l’usine ». Mais les forces de l’ordre sont intervenue­s pour dégager les routes. «Ils ont cassé toutes les cabanes de bord de route que nous avions construite­s», poursuit-il d’une voix qui laisse percevoir son état de choc. La suite, il l’a vécue comme une agression. Les jeunes se sont fait charger, la colère est montée. « Après ça, avec les garçons, on a voulu leur montrer que nous aussi on était capable de casser», lâche-t-il.

Aujourd’hui encore, quatre mois après la signature d’un accord, ces manifestan­ts considèren­t avoir agi pour l’intérêt général, pour sauvegarde­r les valeurs traditionn­elles kanaks. «J’espère qu’avec les accords, tout le monde aura compris le sens de pourquoi on a bloqué, et qu’il fallait casser quelque part pour construire demain», lance l’un des « jeunes ». La vente se faisait entre industriel­s, sans les petites gens du pays. Mais c’est chez nous ici, et cette usine elle a tout changé!. »

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