Boukan - le courrier ultramarin

LE CAS CLINIQUE DU PERMIS DE CHASSE EN GUYANE

- TEXTE ET PHOTOS THIBAULT COCAIGN

Depuis août 2020, l’Office français de la Biodiversi­té assure en Guyane des formations théoriques et pratiques sur la sécurité, le maniement des armes et la législatio­n en matière de protection animale, pour permettre à ceux qui le souhaitent de passer gratuiteme­nt leur permis de chasse. Véritable chemin de croix pour l’OFB qui a dû faire face depuis des années à une vraie contestati­on politique et citoyenne. Beaucoup de Guyanais insistent sur cette exception culturelle et compte encore sur la chasse pour nourrir leurs familles et arrondir les fins de mois. Mais les mentalités évoluent, face à une volonté globale de rapports plus harmonieux entre l’homme et la nature qui l’entoure.

« Les Guyanais sont traqués», a déclaré dernièreme­nt sur Tweeter Lénaïck Adam, député de Guyane, pour évoquer le permis de chasse en Guyane. Le conflit ne date pas d’hier, le dossier est chaud, épidermiqu­e pour certains.

On peut dire que le chemin aura été long, avec près de 40 ans de retard sur la législatio­n française, la Guyane reste une exception dans le paysage français et ultramarin en matière de chasse, même si depuis la loi de février 2017, dite loi « égalité réelle Outre-Mer », le péyi a dû rentrer dans le rang.

Territoire doté d’une richesse incomparab­le pour sa biodiversi­té, les pratiques d’interactio­ns entre l’homme et l’animal n’en sont que plus nombreuses et diverses. Chaque population, ethnie et communauté ayant leurs propres rapports à la nature, avec son lot de pratiques culinaires, de croyances et de contradict­ions.

Il aura donc été difficile pour François Korysko, chargé de la mise en place du permis et de la logistique des formations, d’imposer cette nouvelle façon de penser la chasse en Guyane. Confronté à la négation pure de certains chasseurs, portant à travers l’étendard de la chasse des valeurs conservatr­ices, directemen­t liées au désir de certains d’indépendan­ce visà-vis de l’Hexagone et du Ministère de l’Environnem­ent, l’OFB assiste parfois, impuissant, à un refus de compromis et un déni total des quotas de chasse mis en place, ou des espèces classées comme protégées.

Mais pour François Korysko, le problème est ailleurs : « L’une des problémati­ques principale­s autour de la chasse en Guyane reste l’explosion démographi­que à l’oeuvre depuis plusieurs années. On ne peut tout simplement pas continuer à prélever des espèces de la même façon qu’il y a 30 ans. La société guyanaise évolue, et son rapport à la forêt et aux population­s animales doit suivre lui aussi. »

350 permis ont donc été délivrés depuis août 2020 et des formations (gratuites jusqu’en 2023) dispensées par des référents, eux-mêmes chasseurs, dispersées sur toute la Guyane.

La moyenne d’âge allant de 40 à 60 ans, l’OFB aimerait cibler un public plus jeune, peu représenté pour le moment, afin de sensibilis­er plus tôt sur les enjeux de la réglementa­tion et de la protection de certaines espèces, face à une génération plus «bornée» de chasseurs vieillissa­nts.

CONTER LA FORêT

Ambroise Candido, nous récupère au dégrad de Sinamary avec Claire Louges, chargée d’analyser les formulaire­s de sortie de chasse des référents de l’OFB. La pirogue et le fusil chargés, nous partons explorer les layons de Candido sur le fleuve Sinamary. Ma casquette s’envole, Candido m’en prête une couleur treillis. Il cherche principale­ment des cochons bwa, du pécari, et peut-être quelques oiseaux.

Sur la trace, il prend le temps de nous parler des plantes et des graines, s’arrêtant parfois après avoir entendu quelque chose ou pour casser une petite branche sur notre passage pour nous repérer. Sa lecture de la forêt est impression­nante. « Les cochons sont passés là il y a 2 jours » nous montre-t-il dans une zone très boueuse. Plus loin, il se penche pour nous indiquer une empreinte, « ils sont suivis par le jaguar ». Le chasseur-roi de ces forêts nous a devancés.

Candido est enquêteur-chasse pour l’OFB, il leur apporte des données sur ses pratiques de chasse (moyen de transport, nombre de chasseurs, durée, prises), et fait preuve d’une impression­nante pédagogie, mais tous les chasseurs ne sont pas aussi lucides que lui. Il nous montre sur son téléphone des images de prises illégales qui tournent sur certains groupes whatsapp ou explosant les quotas, comme cette photo de 11 caïmans alignés d’une balle dans la tête. «Il y a quelques années, un gars est devenu fou, il a tué 80 cochons. On ne fait pas ça. »

LE FLEUVE

L’intense diversité du territoire guyanais impose cependant un traitement différent des pratiques de chasse, et le fleuve Maroni n’est pas ici un

simple cas particulie­r, c’est à lui seul tout un monde. Les villages Boni, héritiers des Noirs-marrons, évadés des plantation­s et refusant l’esclavage, ou les villages amérindien­s du Haut-Maroni, qui parsèment le fleuve, ont tous une histoire et une relation très forte à la forêt, et en ont toujours traditionn­ellement tiré parti, en coexistant avec cette nature extrême à laquelle ils se sont brillammen­t adaptés. Cultiver l’abattis, poser son filet, vivre libre et selon ses règles.

Ce fleuve, au puissant courant de croyance animiste, est donc nécessaire­ment un territoire de chasseurs. Les villages situés sur le Maroni sont classés en Zone de droit d’usage collectif (ZDUC), mais doivent cependant respecter la loi sur les espèces protégées.

Des listes mises à jour en 2015 pour les oiseaux, en 2020 pour les reptiles et en 1986 pour les mammifères. Ces mesures sont évidemment contestées par nombre de chasseurs amérindien­s ou bushinengu­és. Pour beaucoup, une mise à jour s’impose,

mais le cadre de réflexion est titanesque, selon François Korysko.

INVENTAIRE

À Maripasoul­a, je rencontre Guillaume Longin, officielle­ment “chargé de biodiversi­té ” pour le Parc amazonien de Guyane, qui est cependant bien plus, par son important travail de recherche, mais aussi pour sa qualité de négociateu­r privilégié des chefs coutumiers et des population­s autochtone­s. Il entamait récemment des négociatio­ns attendues depuis longtemps avec des chefs de villages Aluku au sujet de dérogation de prélèvemen­t du Kwata, une espèce de singe protégée, appréciée pour sa chair, mais aussi pour ses vertus l iés à des croyances et des pratiques cultuelles.

En 2011, Guillaume attaquait une importante étude d’inventaire des pratiques de pêche et de chasse sur une partie du fleuve. Fourmillan­t de précieuses données sur les zones chassées ou celles sanctuaris­ées, « zones puits et zones sources ». Il estimait à l’époque le nombre de « chasseurs-potentiels» à 600. Il constate aujourd’hui un certain déclin de ce chiffre, il l’explique très concrèteme­nt : « Partir chasser doit s’organiser aujourd’hui, c’est toute une logistique, c’est découragea­nt », il y voit ce qu’il appelle « une perte de spontanéit­é », et il l’appuie en évoquant la pression exercée par les orpailleur­s : « À Maripasoul­a, de nombreuses pirogues ont été volées par les orpailleur­s illégaux ces dernières années. »

Quelques jours plus tard, je serai moi-même témoin de cette logistique. Guillaume m’a présenté Bakalaï, grande gueule officielle de Maripasoul­a, autour d’un ti punch. Avec une pirogue prêtée et un moteur loué à une baronne appelée Dédé, côté Suriname, nous partons chasser avec ses 3 filles. Nous installons notre camp après le saut Simayé. Bakalaï va se reposer avant notre sortie de nuit, pendant ce temps les 3 gamines s’affairent et commencent à pêcher sous la lumière plongeante d’un coucher de soleil amazonien.

En aluku, il existe un mot pour désigner la chasse et la pêche sous un même terme, onti. Pour beaucoup de chasseurs et pas seulement ceux du fleuve, chasser et pêcher vont de pair.

RICHESSE ANIMALE

« Dans 15 ans, il ne restera plus de faune visible en Guyane, et après on vient se plaindre des problèmes de développem­ent du tourisme en Guyane… ».

En Guyane, les voix qui s’élèvent contre la chasse ne sont pas nombreuses et ne font pas beaucoup de bruit. Cette voie implique de pouvoir encaisser les provocatio­ns et la pression de certains chasseurs. Jean-Philippe Magnone a déjà fait les frais de la pensée réactionna­ire de 4 d’entre eux, débarquant cagoulés, armés de leurs fusils sur sa propriété. Depuis 2016, il accueille, soigne et relâche au sein de son refuge, ONCA, des animaux sauvages blessés. Singes, fourmilier­s, boas percutés par des voitures, saisies chez des particulie­rs ou victimes des plombs des chasseurs, dont un bon nombre de jeunes singes devenus orphelins. « Les tapirs ne font naître que un petit tous les 3 ans, et ils sont encore autorisés à en tuer un par tête de pipe de chasseurs présents, c’est absurde. »

À l’ombre de certains radars, Jean-Philipe est seul dans son combat, qu’il mène en vrai guerrier, isolé avec ses singes et ses chevaux sur la piste Risquetout à Montsinéry. Il ne comprend pas l’obstinatio­n et cette lenteur bureaucrat­ique à ne pas protéger certaines espèces. « Les intérêts politiques ont le dernier mot et continuent de caresser le chasseur dans le sens du poil. La frilosité politique est l’un des principaux freins à la mise en place de ce permis en Guyane. »

Après de profondes méfiances et remises en cause, il semblerait que le bouche à oreille fasse son travail et que le permis ait marqué des points. Partout sur le territoire, les sessions de formation sont complètes chaque mois. Les objectifs de réduction de la circulatio­n des armes ainsi qu’une meilleure connaissan­ce des consignes de sécurité font leur chemin et séduisent de plus en plus de chasseurs voulant montrer l’exemple. Peut-être que cette compétitio­n millénaire pour les ressources, devenue conflit de biodiversi­té moderne, pourrait trouver en Guyane de précieuses pistes de réflexion pour une harmonisat­ion des rapports entre l’homme et la nature. Alors que le débat est toujours aussi virulent en France métropolit­aine, polarisant de plus en plus la population, la Guyane pourrait se révéler être le meilleur laboratoir­e de ces interactio­ns raisonnées et d’une vraie politique de préservati­on de la biodiversi­té.

 ?? ?? L'iguane est l'un des rares cas de chasse soumis à une saisonabil­ité. Sa chasse étant interdite du 1 septembre au 31 décembre, lors de sa reproducti­on. Musée Alexandre Franconie - Collectivi­té Territoria­le de Guyane. Photo de Thibault Cocaign
L'iguane est l'un des rares cas de chasse soumis à une saisonabil­ité. Sa chasse étant interdite du 1 septembre au 31 décembre, lors de sa reproducti­on. Musée Alexandre Franconie - Collectivi­té Territoria­le de Guyane. Photo de Thibault Cocaign
 ?? ?? Candido chasse sur l'un de ses layons sur les rives du fleuve Sinnamary. 2020.Photo de Thibault Cocaign
Candido chasse sur l'un de ses layons sur les rives du fleuve Sinnamary. 2020.Photo de Thibault Cocaign
 ?? ?? Un chasseur boni portant une grappe de comou. Même bredouille, le chasseur cherche à exploiter les ressources de la forêt, comme ces baies aux vertus antioxydan­tes.2020. Photo de Thibault Cocaign
Un chasseur boni portant une grappe de comou. Même bredouille, le chasseur cherche à exploiter les ressources de la forêt, comme ces baies aux vertus antioxydan­tes.2020. Photo de Thibault Cocaign
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