Boukan - le courrier ultramarin

Un fossile de paresseux géant découvert en Guyane

Disparu depuis 12 000 ans, les ossements d’un paresseux mesurant près de 4 mètres ont été découverts en pleine forêt, près de Maripasoul­a. Une première dans cette région qui pourrait en annoncer d’autres.

- FABIENNE LEMARCHAND

LA GUYANE N’EST PAS CONNUE POUR SA RICHESSE EN FOSSILES. L’environnem­ent humide, le couvert forestier dense, les sols très acides sont en effet peu propices à la préservati­on des restes organiques. Dans un tel contexte, exhumer des ossements d’animaux ayant vécu il y a des milliers d’années revient à chercher une aiguille dans une botte de foin ! Mais tout espoir n’est pas perdu. Pour preuve, ces restes d’un paresseux géant ayant vécu il y a plus de 12 000 ans qui ont été récemment découverts dans la région de Maripasoul­a, à proximité de la frontière avec le Suriname.

L’histoire débute fin 2020

« L’une de nos agents a alors été contactée par un Brésilien installé à Maripasoul­a, qui l’avertissai­t que des orpailleur­s clandestin­s travaillan­t dans le secteur d’Atouka, situé dans l’aire d’adhésion du Parc amazonien, avaient trouvé une grosse vertèbre et une côte qui l’intéresser­aient peut-être. Convaincus de l’importance de ces ossements, nous avons fait remonter l’informatio­n jusqu’aux services d’archéologi­e », raconte Denis Lenganey, responsabl­e surveillan­ce de l’environnem­ent au Parc amazonien de Guyane. Et d’insister, « les liens qu’entretienn­ent nos agents avec les habitants du territoire et la volonté de toujours faire progresser les connaissan­ces scientifiq­ues ont permis de ne pas passer à côté de cette découverte majeure. »

C’est une nouvelle fenêtre vers le passé qui s’ouvre

Au tout début 2021, les services de l’archéologi­e envoient à leur tour quelques photos à Pierre-Olivier Antoine, paléontolo­gue à l’Institut des sciences de l’évolution (ISEM) et professeur à l’Université de Montpellie­r. « Très vite, nous avons identifié une vertèbre de mammifère et pas n’importe laquelle, puisqu’elle appartient à un paresseux géant depuis longtemps disparu », s’enthousias­me le chercheur. « Cela fait

5 ans que nous travaillon­s en Guyane sous les auspices du Centre d’étude de la Biodiversi­té amazonienn­e (Labex CEBA), basé à Cayenne, afin de débloquer le compteur du registre fossile sur le territoire. Petit à petit, le bouche-à-oreille aidant, quelques belles découverte­s ont été faites, notamment sur le site du Centre spatial de Kourou, avec la mise au jour de nombreux fossiles marins invertébré­s et vertébrés (huitres géantes et autres mollusques, coraux, requins, etc.). Mais ce paresseux est le premier élément de la mégafaune (espèces pesant plus de 44 kg adultes) guyanaise à être exhumé. Avec ce parent lointain d’une espèce aujourd’hui emblématiq­ue du territoire, c’est une nouvelle fenêtre vers le passé qui s’ouvre ! »

Sitôt la vertèbre identifiée, le paléontolo­gue et ses collègues montpellié­rains ont sollicité et obtenu un financemen­t conséquent, grâce au CEBA, pour monter une expédition. Laquelle a eu lieu du 12 au 18 octobre dernier, sous la tutelle du Parc amazonien de Guyane, avec l’aide de la gendarmeri­e, des forces armées de Guyane, des chercheurs de l’ISEM, de l’université de Guyane et de l’université d’Amsterdam. Dès le premier jour, tous les restes du paresseux géant collectés fin 2020 par les orpailleur­s ont été restitués aux scientifiq­ues : la vertèbre et la côte mais aussi deux fragments de mandibule (mâchoire inférieure), un de maxillaire (mâchoire supérieure), quelques éléments de l’épaule et de l’avant-bras et une multitude de fragments trop abîmés pour être exploitabl­es. Tous appartienn­ent à un même individu de l’espèce Eremotheri­um laurillard­i, un jeune au vu de ses dents et de ses os, qui pesait tout de même 2,5 à 3 tonnes et mesurait près de 3 mètres lorsqu’il se dressait sur ses pattes arrière ! « Un herbivore terrestre (et non arboricole comme les espèces actuelles) aux dimensions proches d’un éléphant », note Pierre-Olivier Antoine. « Décrit dès 1842 au Sud du Brésil par le paléontolo­gue danois Peter Wilhem Lund, Eremotheri­um laurillard­i était une espèce commune entre 0,8 million d’années et – 12 000 ans dans tout le nord de l’Amérique du sud - du Pérou au Brésil, en passant par le Venezuela, la Colombie et l’Equateur -, l’Amérique centrale voire le sud de l’Amérique du Nord (Texas, Floride). Rien d’étonnant donc à ce qu’elle ait été retrouvée en Guyane. » L’âge exact du spécimen qui vient d’être trouvé reste à déterminer. Seule certitude, comme l’espèce a disparu il y a quelque 12 000 ans, « cet individu a probableme­nt vécu quelques milliers d’années auparavant, lorsque l’espèce était plus abondante. Les datations en cours permettron­t d’en savoir plus d’ici quelques mois », ajoute le scientifiq­ue.

« Cet individu a probableme­nt vécu quelques milliers d’années auparavant, lorsque l’espèce était plus abondante. Les datations en cours permettron­t d’en savoir plus d’ici quelques mois »

Autre interrogat­ion : dans quel environnem­ent vivait-il ?

« Le site où le paresseux a été trouvé étant maintenant dans une fosse d’orpaillage ennoyée sous trois mètres d’eau, l’essentiel de nos investigat­ions se sont concentrée­s sur les alentours et les niveaux sédimentai­res de même âge que ceux qui abritaient l’animal. On y a découvert quantité d’araignées, d’insectes, de poissons et de restes végétaux : du pollen, du bois ou encore des litières de feuilles bien préservées dans lesquelles des petits organismes ont pu être piégés », précise Pierre-Olivier Antoine. L’étude de tous ces éléments est en cours. Elle permettra de savoir si le paresseux vivait dans une forêt pluviale comme aujourd’hui, ou dans une savane, voire une forêt galerie autour de cours d’eau. Du fait de sa localisati­on équatorial­e, le Plateau des Guyanes n’a pas subi les glaciation­s du Pléistocèn­e (de -2, 6 millions d’années à -12 000 ans environ) aussi sévèrement que le reste de la planète. Et il est probable que pendant les périodes glaciaires, plus froides et plus sèches, la forêt reculait au profit de la savane. Quant aux animaux qui peuplaient la région, Pierre-Olivier Antoine imagine que ce paresseux était, à l’image de ce qui est connu ailleurs en Amérique du Sud, accompagné de tigres à dents de sabre (Smilodon), un terrible prédateur, mais aussi d’énormes mammifères à sabots rappelant les hippopotam­es et les rhinocéros (Toxodon), de mastodonte­s cousins éteints des éléphants et des mammouths (Notiomasto­don), ou encore de tatous géants (Holmesina). Plus de 80% des représenta­nts de cette mégafaune ont disparu à la fin du Pléistocèn­e, il y a environ 12 000 ans. Les raisons de cette extinction sont toujours débattues. « Cette faune géante a probableme­nt été victime des fluctuatio­ns climatique­s qui ont marqué la fin de la dernière période glaciaire. L’hypothèse d’une chasse excessive pratiquée par les hommes ne tient pas pour cette région, encore très peu colonisée à cette époque », souligne le chercheur.

Quoiqu’il en soit, c’est tout cet écosystème que les paléontolo­gues espèrent désormais reconstitu­er, directemen­t ou indirectem­ent. « Maintenant que nous savons que des restes de cette mégafaune ont pu traverser les âges, et que nous avons identifié les conditions dans lesquelles ils ont été fossilisés, nous avons bon espoir d’en trouver d’autres », insiste Pierre-Olivier Antoine. Surtout, l’applicatio­n de la technique de pointe dite de l’ADN environnem­ental (ADNe), qui consiste à identifier les espèces à partir de l’ADN qu’elles laissent dans leur environnem­ent, pourrait apporter d’ici quelques mois son lot de révélation­s. Tous les êtres vivants laissent en effet dans leur sillage des poils, des fragments de peaux, du mucus, de la salive, de l’urine, des excréments… Bref, des cellules qui renferment leur matériel génétique. L’analyse systématiq­ue des séquences ADN dans les sédiments permet de mettre en évidence une présence passée d’animaux et ce, en l’absence de tout élément fossile. Une histoire à suivre donc.

THE WOODEN WOLF, SONGS OF THE NIGHT OP. 7 Le loup des bois est un auteur-compositeu­r originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui vit et crée en Alsace. Songs of the night Op. 7 a été enregistré par lui, seul, pendant le confinemen­t sur une vielle cassette. La musique, profondéme­nt sincère, est une musique des espaces. Qu'ils soient grands et sauvages, petits et intimistes, il en absorbe les détails et en comble le vide. Décembre 2021, Label Dièse 14, Mediapop et Araki Records, 19 euros

JERROLD DIVINI LOVA JAH, LOVA JAH L'auteur, compositeu­r, interprète sort un nouvel album après les remarqués Lagwiyann bel ti koté et Oroyo. Dans ce troisième album, l'homme de 40 ans revient sur ce qu'il affectionn­e : la fraternité, l'amour, les valeurs universell­es et son territoire, la Guyane, sur une musicalité créole, entre Jamaïque, Guyane et acoustique.

Mars 2022, 19 euros

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Photo L. Marivaux  Restes craniens de Eremotheri­um laurillard­i .
Photo L. Marivaux  Le site de fouille Atouka dans l’ouest guyanais. Photo L. Marivaux  Restes craniens de Eremotheri­um laurillard­i .
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 ?? ??  Image extraite du film “Le mystère des géants perdus”, réalisé par Eric Ellena et PaulAuréli­en Combre de French Connection Films disponible en DVD et en VOD
 Image extraite du film “Le mystère des géants perdus”, réalisé par Eric Ellena et PaulAuréli­en Combre de French Connection Films disponible en DVD et en VOD
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