Boukan - le courrier ultramarin
Relations entre la Guyane et le Brésil
Dans un colloque international sur les relations entre le Brésil et ses voisins, une universitaire péruvienne illustrait par une image la situation de son pays, celle d’une souris qui dormirait dans le même lit qu’un éléphant : même si le gros animal est bienveillant, il suffirait qu’il se retourne dans la nuit pour écraser sa compagne. Il en va à peu près de même des relations entre la Guyane et le Brésil, tant la relation (au sens statistique) entre eux est déséquilibrée
La superficie du Brésil est 100 fois celle de la Guyane, sa population près de 850 fois plus nombreuse et son PIB (produit intérieur brut) 650 fois plus important. Mais on ne doit pas oublier qu'elle est riche par rapport aux pays voisins, bien sûr au Suriname et au Guyana, mais aussi au Venezuela et au Brésil. Si l'on prend comme référence l'Indice de Développement Humain (IDH) 2021 du PNUD (valeurs 2019), celui de la Guyane (0,79) est certes loin derrière celui de la métropole (0,9/26e rang mondial), mais il est supérieur à celui du Brésil (0,76/84e) et loin devant ceux du Suriname (0,74/97e), du Venezuela (0,71/113e) et du Guyana (0,68/122e). Au vu de ces indicateurs, il est compréhensible que la Guyane présente une forte attractivité économique et sociale, notamment pour les Surinamais, mais aussi pour les Brésiliens.
Prise au sens habituel du mot, celui des relations internationales, la relation entre Guyane et Brésil est à la fois apaisée après le long conflit frontalier qui les a marquées jusqu'au début du 20e siècle et perturbée par la présence en Guyane de plusieurs milliers de chercheurs d'or brésiliens. Cet orpaillage, le plus souvent illégal, est un
vecteur d'insécurité et d'immigration clandestine, malgré les actions engagées pour endiguer le phénomène. On évalue le butin annuel des clandestins entre 5 et 10 tonnes d'or (143 à 287 millions d'Euros). La crise avait pris un tour aigu en juin 2012, lorsque deux gendarmes ont été blessés et deux militaires français tués par des bandits venus rançonner les orpailleurs, dans la région de Dorlin.
RELATIONS COMPLIQUÉES
La construction du pont international sur l'Oyapock est au contraire un symbole – ambigu – des relations compliquées entre Guyane et Brésil. Celui-ci et la France partagent plus de 700 kilomètres de frontière, dont 400 le long du fleuve, et la décision de le construire relève plus de considérations géopolitiques que d'une logique économique.
Sa genèse a été longue. Lors de sa rencontre à Saint-Georges de l'Oyapock (en novembre 1997) avec le président brésilien Fernando Henrique Cardoso, Jacques Chirac avait déclaré : «J'ai dit au Président Cardoso que […] les choses étaient bien parties et que l'an 2000 ne serait pas franchi sans que l'on puisse aller du Venezuela à Buenos Aires par la route».
En réalité, la décision n'a été confirmée officiellement qu'en 2003, l'accord franco-brésilien signé qu'en 2005, à l'occasion de la visite du président Lula en France. L'appel d'offres pour la construction a été lancé en 2008, les travaux retardés par la découverte de vestiges archéologiques, mais ensuite ils se sont déroulés sans incident notable et le samedi 28 mai 2011 le pont était terminé.
Pourtant il n'a été inauguré, par les autorités locales, et non pas par les présidents des deux pays, que le 18 mars 2017. Ce retard a – presque – transformé ce geste – coûteux – de bon voisinage en son inverse, un symbole des malentendus entre les deux pays. Mais pourquoi un pont aussi grandiose alors que l'on n'attend qu'un trafic très limité, qui aurait pu être absorbé sans difficulté – à un coût infiniment moindre – par des bacs modernisés? Cela ne s'explique que dans une perspective géopolitique régionale de liaison entre le Brésil et ses voisins du Nord.
Ceux-ci se sont longtemps méfiés de son expansionnisme et la France s'était longtemps abstenue de construire la liaison routière entre Régina (déjà reliée à Cayenne) et Saint-Georges de l'Oyapock. Ce n'est que plusieurs années après la fin de la dictature militaire au Brésil (1964-1985), que les travaux ont été entrepris et ils n'ont été achevés qu'en 2003.
Avec la construction du pont, la route côtière RN1/RN2, entre Saint-Laurent-du-Maroni, à la frontière du Suriname, et Saint-Georges de l'Oyapock à la frontière brésilienne, constitue donc désormais un maillon d'une «panaméricaine atlantique», doublant celle qui parcourt le continent sur le versant pacifique, de la Terre de Feu à l'isthme de Panama. Cet axe n'est toutefois pas continu, une partie du tronçon Oiapoque-Macapá n'est toujours pas asphaltée et surtout il reste un obstacle de taille à franchir entre Macapá et Belém, la vallée de l'Amazone.
LA GUYANE DANS SON CONTEXTE RÉGIONAL
Les Guyanes dans l'Arc Nord des visées géopolitiques brésiliennes, entre Amazone et Caraïbes.
Cette route guyanaise n'est pourtant pas inutile pour le Brésil, elle est incluse dans ses projets d'aménagement à l'échelle continentale sous le nom d'«Arc Nord», qui rejoint déjà la BR-174 à l'ouest, depuis Georgetown, créant ainsi une «boucle» qui enserre les trois Guyanes. Il faut toutefois noter que le Brésil ne l'avait pas attendu pour se doter d'une autre sortie vers les Caraïbes : la route BR-174, Manaus-Caracas, permet déjà la liaison Venezuela-Buenos Aires, que Jacques Chirac imaginait passant par la Guyane. Pour filer la métaphore initiale, l'éléphant a désormais deux défenses pointées vers le nord.