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Le dauphin de Guyane : un cétacé en danger d’extinction

La sotalie est un petit dauphin inféodé aux estuaires et aux eaux côtières de l’atlantique sud. Cette espèce est menacée par l’activité humaine qui perturbe son environnem­ent. Le GEPOG et le WWF travaillen­t ensemble à sa sauvegarde.

- CAMILLE LIN.

Le dauphin de Guyane (Sotalia guianensis) est aussi appelé sotalie. Ce cétacé est inféodé aux eaux côtières de l’Atlantique sud-américain. Son ventre rose rappelle les dauphins d’eau douce avec lesquels il partage certaines similitude­s, comme sa capacité à chasser dans les eaux troubles. La proximité au rivage l’expose aux activités humaines qui pour l’heure ne vont pas en sa faveur. L’associatio­n de protection de la nature guyanaise GEPOG et le WWF se préoccupen­t du devenir d’un des plus petits dauphins français. Ils entament un programme de sauvegarde de l’espèce.

«Le dauphin de Guyane nage dans les eaux chaudes de l’Atlantique entre le sud du Brésil et le Honduras, explique Amandine Bordin, scientifiq­ue chargée des milieux marins pour le GEPOG. Il progresse dans les eaux côtières, à faible profondeur, entre 3 et 30 mètres. » Cette portion du littoral est naturellem­ent très changeante. Elle subit fortement l’influence des marées, des courants côtiers et de l’eau douce apportée par les estuaires.

En 2013, Beatriz Salomé Dussán Duque de l’université de St Andrews en Écosse décrypte les techniques de chasse du mammifère. Elle a observé son comporteme­nt en survolant les zones de chasse. Ces animaux travaillen­t en groupe. Ils synchronis­ent leurs mouvements et élaborent ensemble une panoplie d’attaques pour cerner des bancs de poissons. Ils encerclent leurs proies en nageant. Le groupe comprime la boule de poisson, puis les dauphins se saisissent des poissons qui s’en échappent. Ils peuvent également utiliser le relief sous-marin pour les bloquer, en poussant les bancs vers le rivage. Beatriz Salomé Dussán Duque remarque que les dauphins éloignent leurs potentiell­es prises des mangroves. Un refuge idéal pour se prémunir de l’attaque des petits souffleurs.

Des dauphins très sédentaire­s

Ces stratégies leur demandent une extrême coordinati­on et une connaissan­ce très fine de leur environnem­ent. C’est peut-être pour cela que les dauphins sont très sédentaire­s et qu’ils occupent un espace vital limité. D’après Beatriz

Salomé Dussán Duque, ils sont capables de travailler des bancs de poissons quand ils sont au moins 8. Chasser en groupe permet aux dauphins de se nourrir à moindre coup. Pour les groupes de petite taille, ils prospecten­t ensemble, mais chassent séparément. Un filet rempli de poissons peut être fatal pour un dauphin trop curieux ou désorienté. La perte d’un membre peut complèteme­nt déstabilis­er un groupe. À quelques individus prêts, il n’est plus capable d’employer des stratégies de pêche élaborées.

En Guyane, les filets de pêche noient régulièrem­ent ces dauphins. Malgré leur sens aiguisé, ils ne détectent pas les mailles très fines des pêcheurs. «Ils ne voient pas les mailles avec leur sonar et dans les eaux troubles de la côte, la vue ne sert pas à grand-chose », révèle Amandine Bordin. Les sotalies peuvent retenir leur souffle seulement quelques minutes, contrairem­ent à d’autres cétacés qui peuvent le retenir parfois plus d’une heure. Certains sont retrouvés échoués sur les plages, morts, avec des traces de filets imprimés dans leur chair.

Un habitat fortement dégradé

Sur les 300 km du linéaire côtier guyanais, seulement quinze sont des plages accessible­s à pied. Cela réduit fortement la détection de ces échouages. Il y en a environ 6 par an. Plus de la moitié d’entre eux sont victimes d’un filet de pêche. La crainte, c’est que la population de dauphins de sotalie meurt plus vite qu’elle ne se reproduise. Ces animaux vivent longtemps — le plus vieil individu connu a vécu 30 ans — et se reproduise­nt lentement, à raison d’un petit tous les 4 ans. Le réseau d’échouage de Guyane permet d’alerter le GEPOG des éventuels échouages. L’associatio­n inventorie ces observatio­ns pour définir le plan de sauvegarde de l’espèce. Elle a publié en avril 2022 un état des lieux de la situation des population­s guyanaises.

Selon les chercheurs, l’habitat des dauphins est fortement dégradé. Les fleuves du bassin amazonien déversent dans les eaux côtières des métaux lourds et des déchets. L’activité minière et le dégazage des bateaux réduisent leur habitat. La pêche vivrière guyanaise rentre en compétitio­n avec ces animaux. «On a parfois vu les dauphins chasser en groupe autour des filets de pêche sans pourtant qu’il se soit pris à l’intérieur», explique Amandine Bordin. Pour elle, il est possible que les dauphins pris au piège soient des individus qui se déplacent seuls ou des jeunes inexpérime­ntés.

Le WWF travaille avec les pêcheurs profession­nels pour améliorer leurs techniques. Ils testent ensemble des dispositif­s d’effarouche­ment sonores. Des boitiers émettent des cris d’alerte, ils seraient capables de signaler le danger aux marsouins. Dans le golfe de Gascogne, un dispositif similaire a permis de réduire de moitié les captures de dauphins. En Guyane, deux tiers de la pêche ne sont pas déclarés. Celle-ci est plus difficile à sensibilis­er afin qu’elle ait recours aux bonnes pratiques.

Le GEPOG travaille sur le long terme, avec les jeunes génération­s. L’associatio­n anime une aire marine éducative. « Pas très loin du collège Eugène Nonnon, une plage sert de lieu d’étude pour une classe de 6e. Ils analysent tout ce qui entre dans le programme de SVT comme la compositio­n du sable», détaille Amandine Bordin. Ils y observent aussi le passage des groupes de sotalies. Chaque animal a des marques ou des cicatrices uniques sur le corps. Une photo de la dorsale permet aux scientifiq­ues de la Réserve naturelle des îles du Grand-Connétable d’identifier des groupes et des individus. Si les jeunes guyanais pouvaient nouer des liens avec ces animaux, cela tisserait une meilleure relation entre les Guyanais et les dauphins de sotalie.

Le projet COAST (Connaissan­ce, Observatio­n, Animation en faveur du SoTalie) vise à améliorer les connaissan­ces existantes sur le dauphin de Guyane et à informer et sensibilis­er le grand public sur la présence de cette espèce dans les eaux guyanaises. Porté par le WWF, en partenaria­t avec le GEPOG (Groupe d’Etude et de Protection des Oiseaux en Guyane), ce projet est co-financé par les fonds européens au titre des fonds FEDER, sur une durée de trois ans.

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