Boukan - le courrier ultramarin

Miquelon se prépare à sa probable disparitio­n

- FABIENNE LEMARCHAND PHOTOS CAROLINE DUJARDIN, ARTHUR ALT

Conséquenc­e directe du changement climatique en cours, le niveau des océans ne cesse de monter et de plus en plus vite. Habitants et élus de Miquelon ont décidé d’anticiper le pire des scénarios : la submersion de leur village. Un processus inédit de concertati­on est en passe de se terminer en vue de sa relocalisa­tion sur une autre zone de l’archipel.

L’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon, situé au large du Canada, subit de plein fouet les effets du changement climatique en cours. Les hivers sont moins froids et moins neigeux, les étés plus chauds, les tempêtes s’intensifie­nt et se multiplien­t, l’érosion côtière s’accélère sans compter les risques de submersion qui s’accentuent avec l’élévation du niveau des océans… Le village de Miquelon, installé à fleur d’eau sur un cordon de galets qui sépare la presqu’île du Cap et la Grande Miquelon, doit ainsi faire face à des dégâts de plus en plus récurrents. Et, plus de trois siècles après sa fondation par des pêcheurs, il est condamné à disparaîtr­e à plus ou moins courte échéance. Comme le souligne la géographe Virginie Duvat, auteure principale du chapitre consacré aux impacts du réchauffem­ent climatique dans les petites îles dans le sixième rapport du Groupe intergouve­rnemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), « à l’échelle globale, le niveau des océans se situera vraisembla­blement entre 43 et 83 cm d’ici à 2100 selon le scénario de réchauffem­ent climatique qui va se réaliser. Mais ces chiffres pourraient atteindre 1,10 m à 2 m en fonction du degré de déstabilis­ation des calottes glaciaires du Groënland et de l’Antarctiqu­e Ouest qui se réalisera, et qui reste mal connu ».

S’adapter aux risques côtiers actuels et futurs est désormais nécessaire et inévitable.

En 2014, le président François Hollande annonce lors de son passage sur l’archipel la mise en place d’un plan de prévention des risques littoraux (PPRL), un outil réglementa­ire destiné, entre autres, à réguler l’urbanisme en zone submersibl­e. La décision prise sans concertati­on avec les habitants est cependant très mal accueillie tout comme l’évocation du déplacemen­t du village vers un site moins exposé. Deux événements changent alors la donne. « En 2018, deux tempêtes successive­s engendrent des inondation­s par remontée de la nappe phréatique dans le village de Miquelon, et rendent plus tangibles les impacts de l’élévation du niveau de la mer et du changement climatique, explique Xénia Philippenk­o, doctorante au Bureau de Recherches Géologique­s et Minières (BRGM) et dont le travail porte sur les perception­s de l’adaptation au changement climatique, de leur relocalisa­tion et de la manière dont tout cela est mis en oeuvre. Cela est un véritable électrocho­c pour la population qui prend véritablem­ent conscience de la nécessité de se préparer dès maintenant aux effets du changement climatique. Les tempêtes sont les premières de cette envergure depuis plusieurs décennies. Si bien que leur mémoire s’est perdue. Entre-temps, l’urbanisati­on du village s’est poursuivie et les pratiques anciennes face aux inondation­s sont tombées dans l’oubli, de nouvelles sont apparues, totalement inadaptées, comme le fait de creuser des caves sous les maisons. Ces événements, associés au fait que les habitants n’ont plus l’autorisati­on de construire du fait du nouveau PPRL et donc de développer leur village, font basculer l’opinion. Et les gens finissent par adhérer

massivemen­t au seul plan qui leur est proposé, à savoir la relocalisa­tion. Mais ils vont militer pour que celle-ci soit leur projet de territoire. Car c’est bien leur attachemen­t au territoire qui joue in fine pour leur faire accepter la relocalisa­tion. Un attachemen­t qui s’est élargi à l’île entière et non plus au seul village. »

Se déplacer certes mais pour aller où et à quelle échéance ?

Dès 2019, décideurs et villageois entament un processus de réflexion. La collectivi­té territoria­le propose un déplacemen­t vers la presqu’île du Cap, mais celle-ci, très petite et isolée, n’a pas la faveur de la population qui préfère l’île de la Grande Miquelon, plus grande et connectée à l’île voisine de Langlade. « Au début, l’extension du village de Miquelon s’est faite vers le Cap, au nord. Mais avec l’élévation du niveau marin et la disparitio­n à venir de l’isthme, ce territoire va être isolé du reste de l’archipel et n’offrira pas assez d’espace pour répondre aux besoins des habitants. D’où leur choix de s’installer sur la Grande Miquelon. Un choix qui sera validé, non sans mal, par la Collectivi­té territoria­le, laquelle est propriétai­re des terrains », poursuit la jeune chercheuse. À peine élu maire de Miquelon-Langlade, en septembre 2020, Franck Detcheverr­y se saisit du dossier à bras le corps. Il multiplie les demandes d’aide à l’État et à la collectivi­té territoria­le, réclame des solutions pour les jeunes adultes ne pouvant construire ni acheter de maison. Au fil des mois, il réussit à impliquer les élus de l’archipel, la préfecture, les services de l’État et de la collectivi­té territoria­le, des groupes d’experts et des scientifiq­ues. Et fais avancer différents dossiers : le schéma territoria­l d’aménagemen­t et d’urbanisme est modifié pour permettre des constructi­ons en hauteur, un plan de prévention des inondation­s est élaboré, etc.

Tous les freins à la relocalisa­tion ne sont cependant pas levés. Il faut encore que tous les acteurs se mettent d’accord sur le devenir du village actuel,

MAIS ILS VONT MILITER POUR QUE CELLE-CI SOIT LEUR PROJET DE TERRITOIRE. CAR C’EST BIEN LEUR ATTACHEMEN­T AU TERRITOIRE QUI JOUE IN FINE POUR LEUR FAIRE ACCEPTER LA RELOCALISA­TION.

les infrastruc­tures à déplacer en priorité, la façon de les déplacer, le visage du nouveau village, etc. « Toutes ces questions sont au centre des “Ateliers des territoire­s” qui ont débuté fin 2021 et auxquels participen­t tous les acteurs : la population, les élus locaux, les décideurs, etc. Cette phase de réflexion devrait se terminer en septembre 2022 », note Xénia Philippenk­o. Si la relocalisa­tion de Miquelon est donc initiée, le déplacemen­t, lui, n’interviend­ra que plus tard puisque ça dépendra des parcelles qui seront ouvertes à l’urbanisati­on et, surtout, des financemen­ts. « Les habitants et l’équipe municipale espèrent que les premières maisons sortiront de terre d’ici une dizaine d’années afin de permettre aux jeunes en particulie­r de s’installer, ce qu’ils ne peuvent pas faire actuelleme­nt sur Miquelon », conclut la doctorante.

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Photo Caroline Dujardin Paysage estival à Miquelon.
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Photo Arthur Alt  La baie de Miquelon depuis l’entrée du Cap.

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