Boukan - le courrier ultramarin
Miquelon se prépare à sa probable disparition
Conséquence directe du changement climatique en cours, le niveau des océans ne cesse de monter et de plus en plus vite. Habitants et élus de Miquelon ont décidé d’anticiper le pire des scénarios : la submersion de leur village. Un processus inédit de concertation est en passe de se terminer en vue de sa relocalisation sur une autre zone de l’archipel.
L’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon, situé au large du Canada, subit de plein fouet les effets du changement climatique en cours. Les hivers sont moins froids et moins neigeux, les étés plus chauds, les tempêtes s’intensifient et se multiplient, l’érosion côtière s’accélère sans compter les risques de submersion qui s’accentuent avec l’élévation du niveau des océans… Le village de Miquelon, installé à fleur d’eau sur un cordon de galets qui sépare la presqu’île du Cap et la Grande Miquelon, doit ainsi faire face à des dégâts de plus en plus récurrents. Et, plus de trois siècles après sa fondation par des pêcheurs, il est condamné à disparaître à plus ou moins courte échéance. Comme le souligne la géographe Virginie Duvat, auteure principale du chapitre consacré aux impacts du réchauffement climatique dans les petites îles dans le sixième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), « à l’échelle globale, le niveau des océans se situera vraisemblablement entre 43 et 83 cm d’ici à 2100 selon le scénario de réchauffement climatique qui va se réaliser. Mais ces chiffres pourraient atteindre 1,10 m à 2 m en fonction du degré de déstabilisation des calottes glaciaires du Groënland et de l’Antarctique Ouest qui se réalisera, et qui reste mal connu ».
S’adapter aux risques côtiers actuels et futurs est désormais nécessaire et inévitable.
En 2014, le président François Hollande annonce lors de son passage sur l’archipel la mise en place d’un plan de prévention des risques littoraux (PPRL), un outil réglementaire destiné, entre autres, à réguler l’urbanisme en zone submersible. La décision prise sans concertation avec les habitants est cependant très mal accueillie tout comme l’évocation du déplacement du village vers un site moins exposé. Deux événements changent alors la donne. « En 2018, deux tempêtes successives engendrent des inondations par remontée de la nappe phréatique dans le village de Miquelon, et rendent plus tangibles les impacts de l’élévation du niveau de la mer et du changement climatique, explique Xénia Philippenko, doctorante au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et dont le travail porte sur les perceptions de l’adaptation au changement climatique, de leur relocalisation et de la manière dont tout cela est mis en oeuvre. Cela est un véritable électrochoc pour la population qui prend véritablement conscience de la nécessité de se préparer dès maintenant aux effets du changement climatique. Les tempêtes sont les premières de cette envergure depuis plusieurs décennies. Si bien que leur mémoire s’est perdue. Entre-temps, l’urbanisation du village s’est poursuivie et les pratiques anciennes face aux inondations sont tombées dans l’oubli, de nouvelles sont apparues, totalement inadaptées, comme le fait de creuser des caves sous les maisons. Ces événements, associés au fait que les habitants n’ont plus l’autorisation de construire du fait du nouveau PPRL et donc de développer leur village, font basculer l’opinion. Et les gens finissent par adhérer
massivement au seul plan qui leur est proposé, à savoir la relocalisation. Mais ils vont militer pour que celle-ci soit leur projet de territoire. Car c’est bien leur attachement au territoire qui joue in fine pour leur faire accepter la relocalisation. Un attachement qui s’est élargi à l’île entière et non plus au seul village. »
Se déplacer certes mais pour aller où et à quelle échéance ?
Dès 2019, décideurs et villageois entament un processus de réflexion. La collectivité territoriale propose un déplacement vers la presqu’île du Cap, mais celle-ci, très petite et isolée, n’a pas la faveur de la population qui préfère l’île de la Grande Miquelon, plus grande et connectée à l’île voisine de Langlade. « Au début, l’extension du village de Miquelon s’est faite vers le Cap, au nord. Mais avec l’élévation du niveau marin et la disparition à venir de l’isthme, ce territoire va être isolé du reste de l’archipel et n’offrira pas assez d’espace pour répondre aux besoins des habitants. D’où leur choix de s’installer sur la Grande Miquelon. Un choix qui sera validé, non sans mal, par la Collectivité territoriale, laquelle est propriétaire des terrains », poursuit la jeune chercheuse. À peine élu maire de Miquelon-Langlade, en septembre 2020, Franck Detcheverry se saisit du dossier à bras le corps. Il multiplie les demandes d’aide à l’État et à la collectivité territoriale, réclame des solutions pour les jeunes adultes ne pouvant construire ni acheter de maison. Au fil des mois, il réussit à impliquer les élus de l’archipel, la préfecture, les services de l’État et de la collectivité territoriale, des groupes d’experts et des scientifiques. Et fais avancer différents dossiers : le schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme est modifié pour permettre des constructions en hauteur, un plan de prévention des inondations est élaboré, etc.
Tous les freins à la relocalisation ne sont cependant pas levés. Il faut encore que tous les acteurs se mettent d’accord sur le devenir du village actuel,
MAIS ILS VONT MILITER POUR QUE CELLE-CI SOIT LEUR PROJET DE TERRITOIRE. CAR C’EST BIEN LEUR ATTACHEMENT AU TERRITOIRE QUI JOUE IN FINE POUR LEUR FAIRE ACCEPTER LA RELOCALISATION.
les infrastructures à déplacer en priorité, la façon de les déplacer, le visage du nouveau village, etc. « Toutes ces questions sont au centre des “Ateliers des territoires” qui ont débuté fin 2021 et auxquels participent tous les acteurs : la population, les élus locaux, les décideurs, etc. Cette phase de réflexion devrait se terminer en septembre 2022 », note Xénia Philippenko. Si la relocalisation de Miquelon est donc initiée, le déplacement, lui, n’interviendra que plus tard puisque ça dépendra des parcelles qui seront ouvertes à l’urbanisation et, surtout, des financements. « Les habitants et l’équipe municipale espèrent que les premières maisons sortiront de terre d’ici une dizaine d’années afin de permettre aux jeunes en particulier de s’installer, ce qu’ils ne peuvent pas faire actuellement sur Miquelon », conclut la doctorante.