Boukan - le courrier ultramarin
CONJUGUER TRADITION ET MODERNITÉ
Tout comme nature et culture ne font qu’un aux yeux de nombreux habitants du sud de la Guyane, la ‘‘culture’’ est aussi inscrite dans les gènes du Parc amazonien de Guyane. Lequel s’applique à consolider les multiples héritages, tout en favorisant une ouverture sur le monde extérieur.
« Ça fait du bien ! » C’est avec ces mots simples qu’Erwan Lassouka, artiste wayãpi en herbe (24 ans), résume son échange avec l’artiste Franklin Piaguaje, amérindien Siona, venu de Colombie. Une rencontre rendue possible par l’opération Mayouri graff, fin 2021 à Camopi, portée par le Parc amazonien de Guyane. D’elle sont nées des fresques à la composition graphique contemporaine, intégrant des motifs traditionnels empreints de symboliques fortes. Mayouri graff, une formule gagnante qui revient fin novembre, toujours sur le bassin de l’Oyapock, à Trois-Sauts cette fois. Pourquoi ça marche ? « Les habitants ont face à eux quelqu’un qui leur ressemble. » C’est l’analyse de Marcela Chamorro Calvache, chargée de mission Sciences humaines et culture au Parc. « Quand Franklin était là, il se fondait parmi les visages. La population ne se demandait pas d’où il venait. Quand il posait des questions, ça ne dérangeait pas. Les habitants eux-mêmes en posaient : Alors, tu vis de ta culture ? Comment tu fais ça ? Nous, on fait ça… qu’en penses-tu ? Ce jour-là, j’ai vu que ça changeait beaucoup choses. » Les habitants choisissent l’artiste invité et c’est sur la base de discussions que se forment les fresques. Erwan a non seulement pris part aux idées mais aussi à la pratique : « J’ai pu faire ma propre fresque au hall sportif. J’ai appris des techniques avec Franklin et ça m’a donné envie d’en apprendre plus encore. »
Dans le cadre de la convention qui lie Camopi et le Parc, des ateliers ont fait ressortir l’envie de travailler sur les récits des anciens, notamment à Trois-Sauts, d’où est originaire Erwan. C’est ainsi qu’il s’est vu proposer un contrat de trois mois avec le Parc, pour récolter quelques récits et faire des illustrations. Un travail qui devrait déboucher sur un ouvrage en wayãpi. « J’ai aussi appris des histoires que je ne connaissais pas, sur ce qui s’est passé avant qu’on soit ici. »
Favoriser toutes les occasions d’une transmission qui a été contrariée par l’éloignement des jeunes (lire encadré en page ci-contre). Voilà l’un des positionnements forts du Parc en matière de culture. C’est ainsi qu’il a pris part au projet de restauration de six maisons traditionnelles aluku, à Papaïchton. Entre 2017 et 2020, de jeunes ouvriers communaux ont été formés aux techniques de construction traditionnelle et initiés à l’art tembe*.
C’est également ainsi, que l’association Chercheurs d’Autres a pu produire Kaawaï Na Ana**, cocréé par quatre jeunes et en impliquant six autres. Premier film collaboratif en aluku. Diffusé sur Guyane La 1ère, le 2 novembre prochain, il propose une immersion dans le monde des Aluku, lors de l’étonnante et festive levée de deuil (puu baaka). « Le Parc a été le premier à nous confier une enveloppe : c’est ce qui nous a permis de démarrer et ce qui nous a ouvert d’autres portes derrière », confie David Crochet, directeur de cette
« Ce qu’on fait, c’est à la demande des populations »
association qui sauvegarde le patrimoine aluku, par le biais d’outils numériques.
Mapacultur (financé par les fonds européens) veille lui aussi à la protection et la transmission des savoirs. Plus de 1 040 heures de transmission au programme, du fleuve Lawa (Maroni) à Pidima, jusqu’à Maripa-Soula bourg. « On propose des ateliers (vannerie, perlerie, poterie, tissage, tembé, musique, etc.). Sur la dernière année scolaire, plus de 30 ateliers ont été dispensés, déroule Marcela. On a mobilisé près d’une vingtaine de sachants amérindiens et aluku. Ils viennent dans les écoles… Hors de l’école aussi, via les associations. »
Là encore, la transmission opère. Marcela se remémore les ateliers autour du genipa, utilisé pour des tatouages éphémères, inspirés de la nature. « Ces dessins corporels incarnent la protection, la bonne santé, la beauté, etc. La technique était peu pratiquée par les Wayana. L’atelier était accompagné d’un travail de recherche, mené par un anthropologue, qui a trouvé des images et des explications sur la façon d’appliquer le genipa avant. Certains n’en avaient jamais fait. Par la suite, ils ont repris ces figures au cours de festivités locales, on en voyait de plus en plus porter le genipa. »
Au sein de ces ateliers, la transmission se fait en langues vernaculaires. Des langues qui sont aussi valorisées au travers d’ouvrages, tel le recueil de Contes teko et wayãpi de Guyane. Et Marcela de compléter : « On a notamment la chance d’avoir un chef de délégation (Oyapock), très fier de sa culture : Jammes Panapuy. » Jammes qui participe actuellement, à un groupe de travail pour un dictionnaire teko-français. Et qui retranscrit par ailleurs plus de 70 mythes teko, recueillis par un anthropologue, dans le cadre d’un travail avec le CNRS.
Aujourd’hui, Marcela concentre ses efforts sur les échanges interculturels. « Ça se reflète sur le Marché artisanal de Maripa-Soula déjà, où cohabitent Aluku et Amérindiens, illustre-t-elle. On propose aussi aux communautés amérindiennes de se découvrir entre elles. Les collégiens de Camopi ont, par exemple, étudié le peuple de Franklin, l’artiste invité au Mayouri graff. Ils ont aussi articulé mythes teko et wayãpi sur la fresque créée. » Ce que décrit Marcela, c’est aussi la rencontre des peuples, au travers du travail mené avec les danseurs oyapockois (est de la Guyane) de Teko Makan. Après trois mois d’ateliers, à réapprendre les bases des costumes, danses et instruments, ils ont rejoint Kayode (ouest de la Guyane), pour une représentation qui a marqué tous les esprits et permis des retrouvailles familiales touchantes. *Art noir-marron s’exprimant au travers de la peinture, la sculpture ou la couture. ** Kaawai (instrument de musique) dans la main.