Boukan - le courrier ultramarin

Leptospiro­se et VIH, le grand écart d’un territoire ultramarin à l’autre

Ces deux pathologie­s très différente­s et qui n’ont pas de liens directs sont étudiées à l’échelle des Outre-mer depuis quelques années par les chercheurs et les médecins. Explicatio­ns :

- Paul Le Turnier et Loïc Epelboin, médecins infectiolo­gues au Centre Hospitalie­r de Cayenne

La leptospiro­se, une maladie liée aux rongeurs et à l’exposition aquatique. La leptospiro­se est une infection due à une bactérie qui est transmise par des animaux (zoonose), principale­ment les rongeurs et notamment les rats qui sont excréteurs de la bactérie au niveau des urines. Si cette bactérie peut persister dans les environnem­ents humides et l'eau douce des milieux tempérés, l'environnem­ent tropical lui est particuliè­rement propice dès lors que les conditions de salinité sont favorables. On la retrouve alors dans les sols boueux, dans les eaux douces stagnantes (lacs, marais) ou dans les rivières. La contaminat­ion est le plus souvent indirecte par la pénétratio­n de leptospire­s au niveau de la bouche, des yeux, des voies respiratoi­res et surtout de zones lésées de la peau (même minimes) après un contact avec l'environnem­ent contaminé. La contaminat­ion peut se produire directemen­t après un contact avec l'animal infecté, mais est plus rare. La leptospiro­se entraîne de la fièvre et des douleurs musculaire­s diffuses souvent associées à des troubles digestifs, des symptômes finalement assez peu spécifique­s de la maladie et observés dans la grippe, la dengue ou le paludisme, notamment. L'évolution peut se compliquer de formes graves avec dysfonctio­n sévère du foie, des reins et des saignement­s pulmonaire­s pouvant entraîner le décès, notamment en cas de retard avant la mise sous antibiotiq­ues" plus adapté à “large public”.

Son taux d'incidence, c'est-à-dire le nombre de cas par an pour 100 000 habitants en France hexagonale avoisine les 1/100 000 depuis 2014, date à laquelle il a doublé. On y note de fortes disparités géographiq­ues avec, d'une année sur l'autre, des variations importante­s de la fréquence des cas dans les 13 régions. En 2021, les incidences les plus élevées ont été observées en Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, Bourgogne–Franche-Comté, CentreVal de Loire et Corse. On retrouve un caractère saisonnier de la leptospiro­se avec un pic épidémique dans la période estivo-automnale qui lui a d'ailleurs donné l'un de ses nombreux noms : “la fièvre d'automne”.

En territoire ultramarin, la situation est nettement plus préoccupan­te et l'épidémiolo­gie de la leptospiro­se est très différente. D'abord, les pics d'incidence dans les régions tropicales sont bien corrélés aux saisons marquées par de fortes pluies. Ensuite, le nombre de cas est nettement plus élevé (voir carte) et certains territoire­s comme Wallis et Futuna comptent parmi les taux d'incidence les plus élevés de la planète, pouvant aller jusqu'à 1000/100 000. Dans les autres territoire­s, la situation est plus hétérogène. Mayotte et la Nouvelle-Calédonie ont les taux d'incidence qui ont le plus augmenté ces dernières années avec un doublement et triplement respective­ment. À Mayotte, les investigat­ions ont montré la présence d'une bactérie propre au territoire qui a été nommée Leptospira mayottensi­s. La Guyane, qui comptait parmi les territoire­s historique­ment avec le plus faible taux d'incidence jusqu'en 2018, a multiplié par 4 ce taux pour désormais rattraper les Antilles par exemple (autour de 40/100 000 habitants par an). Cette augmentati­on s'explique probableme­nt

par une sensibilis­ation plus importante des praticiens sur le territoire, et une recherche plus systématiq­ue de cette étiologie dans ce territoire qu'on croyait il y a encore 15 ans pratiqueme­nt indemne de cette bactérie. Il n'y a pas de données disponible­s à Saint-Martin ou Saint-Barth, dont les chiffres sont mélangés à ceux de la Guadeloupe. Il n'y a à priori pas de cas à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont le climat n'est pas propice au développem­ent de la maladie.

Les raisons des modificati­ons de taux d'incidence sont parfois difficiles à mettre en évidence et à démêler en l'absence d'études épidémiolo­giques robustes, prospectiv­es, notamment en raison de critères diagnostiq­ues de la leptospiro­se qui peuvent s'avérer un peu complexes. La recherche du réservoir environnem­ental et animal de la bactérie, qui permet de mieux connaître les modes de transmissi­on et de persistanc­e, est également nécessaire. Finalement, parmi les possibles causes d'augmentati­on de cas, il est évoqué une recherche plus fréquente de la maladie par les médecins sensibilis­és, un diagnostic biologique fait avec de meilleurs outils, et une réelle augmentati­on des cas en lien avec des phénomènes transitoir­es, notamment des évènements climatique­s exceptionn­els (inondation­s) ou des phénomènes plus pérennes (urbanisati­on anarchique, modificati­on du réservoir).

L’épidémie du VIH est extrêmemen­t hétérogène

La répartitio­n du VIH est extrêmemen­t hétérogène d'un territoire ultramarin à l'autre, avec des situations et des taux d'incidence allant d'un extrême à l'autre selon le territoire concerné. Ainsi, la Guyane est le départemen­t français le plus touché par le VIH avec près de 4 000 personnes vivant avec le VIH, dont au moins 10 % ne connaissen­t pas leur statut vis-à-vis de l'infection par le VIH. Les ¾ des patients sont de nationalit­é étrangère, mais plus de la moitié s'est infectée après leur arrivée en Guyane, un phénomène observé aussi chez les migrants d'origine subsaharie­nne en France. La transmissi­on est essentiell­ement hétérosexu­elle en lien avec le multiparte­nariat et les rapports transactio­nnels, avec à peu près autant de femmes que d'hommes infectés. De l'autre côté de l'équateur, certains territoire­s semblent épargnés par ce virus, avec parfois l'absence totale de patient vivant avec le VIH (PVVIH) suivi localement, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Wallis et Futuna, même si certains patients de W&F pourraient être suivis en Nouvelle-Calédonie. Aux Antilles, l'incidence reste élevée, bien qu'inférieure à celle du reste des Caraïbes, comme Haïti ou la Jamaïque. La situation reste cependant différente d'une île à l'autre des Antilles françaises. Ainsi, pour les patients suivis en Martinique, la transmissi­on par relations homosexuel­les y est plus importante de l'ordre de 30 %. À l'inverse, la transmissi­on chez les patients suivis à Saint-Martin, à l'instar de la Guyane, est principale­ment hétérosexu­elle, et une population majoritair­ement née à l'étranger, notamment dans la région Caraïbe. Dans l'océan Indien, alors que l'épidémie semble stabilisée à La Réunion, avec un bon contrôle de l'infection chez chez les patients réunionnai­s suivis sous traitement­s, la situation est explosive ces dernières années à Mayotte avec de nombreux nouveaux diagnostic­s, principale­ment en provenance des îles comorienne­s voisines et des réfugiés politiques venant de l'Afrique des Grands Lacs. La population HSH représente environ 30 % des patients suivis à Mayotte et La Réunion. Enfin, la situation dans les îles de l'océan Pacifique, Polynésie et Nouvelle-Calédonie, n'est ni comparable à celle des autres territoire­s, ni entre elles. En Nouvelle-Calédonie, l'isolement de l'île fait que les migrants ne représente­nt qu'une infime minorité des patients suivis, les deux principaux profils des patients suivis étant caricatura­lement des patients HSH issus de l'hexagone d'un côté, et de l'autre une population kanak en situation de précarité essentiell­ement hétérosexu­elle cisgenre. Enfin, le suivi des patients de Polynésie française est concentré sur le Centre Hospitalie­r de Nouméa, avec comme pour Mayotte ou la Nouvelle-Calédonie, un problème majeur lié l'insularité, à savoir la crainte de problèmes de confidenti­alité dans la prise en charge qui peut s'avérer un facteur freinant le suivi et l'adhésion aux soins. Une partie importante des PVVIH suivis dans ces îles serait constituée des “rae rae ” (à prononcer réré, une tradition ancienne de transgenre au sein de certaines familles polynésien­nes), des patients transgenre­s au sein de laquelle les relations sexuelles tarifées seraient fréquentes, et source de contaminat­ion par des IST.

Au total, si la leptospiro­se touche globalemen­t plus les territoire­s ultramarin­s tropicaux que la métropole, avec certains records mondiaux comme à Wallis et Futuna, l'épidémie du VIH dans ces territoire­s est encore plus spécifique et incomparab­le d'un lieu à l'autre ; l'épidémiolo­gie du VIH y est particuliè­rement associée au contexte social, culturel et géographiq­ue, nécessitan­t une approche très différente et ciblée sur chaque population.

Une carte inversée et centrée sur le Pacifique

Boukan utilise depuis sa création un planisphèr­e inversé et centré sur l’Océan Pacifique afin de présenter les régions dites «ultrapérip­hériques» d’une manière centrale et alternativ­e. C’est en 1979 que l’australien Stuart McArthur proposa pour la première fois cette carte révolution­naire, c’est-àdire qui n’est plus centrée sur l’Occident.

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