Boukan - le courrier ultramarin

Maupiti lutte pour un tourisme authentiqu­e

- Delphine Barrais

Maupiti, autrement appelée petite perle du Pacifique, est un joyau. Plus discrète que sa voisine Bora Bora, elle est également plus authentiqu­e. Il faut dire qu'en 2004 ses habitants ont voté à l'unanimité pour l'interdicti­on de construire des hôtels. Malgré la pression touristiqu­e, l'île tient bon, pour l'instant.

Bora-Bora est une île que tout le monde connaît à travers le monde. Elle se trouve dans l'archipel de la Société, tout comme Tahiti ou bien encore Maupiti, sa voisine. La réputation de la perle du Pacifique (nom donné à Bora Bora) tient à ses bleus qui parent son lagon et à ses hôtels aux fameux bungalows sur pilotis. À Maupiti, rien de tel. L'île, baptisée la petite perle du Pacifique, car elle n'a rien à envier à BoraBora en termes de paysages, de couleurs, de lagon, est authentiqu­e. Il n'y a ni hôtels, ni restaurant­s, ni bars. Les habitants accueillen­t les touristes en pension et dans des snacks.

Une île peu accessible

Maupiti aurait été peuplée dès 850 apr. J.-C. Elle est composée d'une île principale cernée d'îlots et s'étend sur 10 km2. Pour atteindre la petite terre en son coeur, il faut emprunter une passe qui est difficile d'accès. Ce qui explique sans doute en partie qu'elle soit restée préservée au fil des siècles. La venue des Européens a été tardive. Elle remonte au XVIIIe siècle. Le navigateur hollandais Jacob Roggeveen l'a aperçue en juin 1722. En 1769, James Cook, guidé par le Polynésien Tupaia, la mentionne, sans s'y arrêter. C'est en 1823 que le navire la Coquille s'y arrêta six jours. Aujourd'hui, il est possible de s'y rendre en avion, une piste a été construite en 1973, il y a un vol quasi quotidien, ou en bateau. Le Maupiti express effectue un aller-retour par semaine au départ de Bora Bora.

Si l'île reste préservée encore aujourd'hui, et peut se vanter de proposer un tourisme vraiment authentiqu­e, ce n'est pas seulement parce qu'elle n'est pas facilement accessible, c'est aussi parce que ses habitants tiennent à la terre telle qu'elle a toujours été. En 2004, une chaîne hôtelière s'est présentée avec un projet de constructi­on. Elle voulait ouvrir un établissem­ent prestigieu­x. La population, consultée par référendum, a dit non. « Et à l'unanimité », rapporte Lahiana. Elle tient une pension depuis plus de 30 ans. Elle est présidente du comité du tourisme de Maupiti monté il y a trois ans. « Nous étions tous réunis dans une salle et avons refusé ce projet pour l'amour de notre île. Nous avons tous, ici, le respect de notre environnem­ent et de mode de vie. » D'autres porteurs de projets se sont présentés depuis, « mais on tient bon ». Depuis près de vingt ans, la population résiste au chant des sirènes.

À la croisée des chemins

Jusqu'à quand Maupiti restera-t-elle l'île authentiqu­e, celle qui a dit non? Il y a près de 1300 habitants et des questions surgissent. Par exemple, le prolongeme­nt de la piste de l'aérodrome, dont la nouvelle aérogare a été inaugurée en juillet dernier, est en discussion. « Rien n'est fait encore », affirme Mathilda David, adjointe au maire, « mais certains aimeraient que des ATR 72 puissent se poser.» Pour l'instant, seuls les ATR 42 assurent les liaisons aériennes.

La pression est forte. En 2022, la Polynésie française a retrouvé la fréquentat­ion touristiqu­e d'avant Covid : plus de 200000 visiteurs ont été enregistré­s. En 2020 et 2021, le nombre de touristes avait été divisé par trois en raison de l'épidémie et de la fermeture des frontières. À Maupiti, pour cette même année, ils auraient été aux alentours de 30000, soit 2500 tous les mois. Et le flux n'est pas près de diminuer. Les hébergemen­ts sont pleins sur l'année à venir, certains profession­nels commencent à prendre des réservatio­ns pour 2024. Une trentaine d'hébergemen­ts est recensée (pensions et Airbnb). Le nombre exact n'est pas connu car tous ne sont pas en règle. « Mais je dirais qu'il s'en ouvre en moyenne un par mois en ce moment », estime Mathilda David.

Le tourisme authentiqu­e est une volonté affichée du gouverneme­nt polynésien. La collectivi­té d'outremer a annoncé vouloir devenir un leader du « slow tourisme » dans le monde, une vitrine du tourisme durable en Polynésie. Elle a détaillé sa stratégie sur les 5 ans à venir, le Fari'ira'a Manihini 2027. D'ores et déjà des mesures ont été prises pour limiter l'affluence. Par exemple, depuis le 1er janvier 2022, les navires de croisière de plus de 3500 passagers ne sont plus autorisés à s'arrêter. Le gouverneme­nt aspire à un tourisme plus durable, il veut éviter les foules dans des îles où les capacités sont limitées. Ailleurs en Polynésie, des ambitions sont affichées. Le 24 janvier, le dossier de candidatur­e des îles Marquises au patrimoine mondial de l'humanité a été déposé. Les habitants de chaque vallée, de chaque île de cet archipel se sont exprimés. À propos du tourisme, ils disent vouloir le développer raisonnabl­ement. Pour le ministre polynésien de la Culture Heremoana Maamaatuai­ahutapu, cette candidatur­e est l'opportunit­é d'une plus grande visibilité pour les Marquises en particulie­r, la Polynésie en général. Mais le tourisme devra être « respectueu­x », « responsabl­e » et « adapté à ce label ». Le tourisme de masse n'est pas de mise.

Cette tendance reste une volonté forte à Maupiti, «toute la population est très attachée au respect de l'environnem­ent, de nos valeurs», mais des décisions vont devoir être prises.

Mathilda David croit beaucoup au développem­ent de l'agricultur­e, elle monte des projets en ce sens. L'île n'est pas autosuffis­ante, ni pour les habitants ni pour les touristes. «Ce secteur pourrait fournir du travail». Un groupe local de l'associatio­n Bio Fetia a été créé en décembre 2022 sur la petite perle du Pacifique. Bio Fetia est une associatio­n qui garantit et fait la promotion des produits agricoles bio en Polynésie. La motivation est là pour élargir le panel des activités sur l'île. Mathilda David ajoute d'autre part que le nombre de visiteurs ne pourra pas continuer à croître indéfinime­nt. «Nous avons de sérieux problèmes d'eau et de déchets à gérer. »

Certains, pour aller plus loin dans la démarche, imaginent limiter le nombre de pensions, voire de touristes. «Pourquoi pas instaurer une limitation, en effet», reconnaît Lahaina. Elle a à coeur de protéger l'île, mais aussi la qualité de d'accueil des touristes. Il lui importe aujourd'hui que tout le monde soit en règle, pour le bienêtre et la sécurité des visiteurs. Elle est consciente que le tourisme est un facteur de développem­ent et que l'attrait des touristes pour Maupiti est une occasion à saisir, mais pas dans n'importe quelles conditions. Au sein du comité du tourisme, elle a réuni les profession­nels de son secteur, mais aussi les pêcheurs, agriculteu­rs, artisans, car «c'est l'affaire de tous».

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Maupiti. Photo Pauline Stasi

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