Boukan - le courrier ultramarin
Olivier Bancoult et les Chagos : « Le monde doit savoir »
Trois semaines après le succès de la conférence de Philippe Sands1, Salim Lamrani, professeur à l’Université de La Réunion, organisait le 30 janvier une conférence internationale en ligne animée par Olivier Bancoult sur le thème « Chagos : le combat pour le retour». Cet événement permit de revenir sur l’histoire du combat des Chagossiens pour retourner vivre sur leur archipel et les perspectives d’action pour 2023, qui marque le 50e anniversaire de la déportation des Chagossiens vers Maurice et les Seychelles en raison de la construction de la base militaire américaine de Diego Garcia.
Président du Groupe Réfugiés Chagos, Olivier Bancoult est tout d'abord revenu sur les manoeuvres du gouvernement du Royaume-Uni pour expulser les Chagossiens de leur pays. Londres a voulu faire croire que les Chagossiens étaient des travailleurs contractuels et non pas un peuple autochtone : « On disait que nous étions des Tarzans, des sauvages, des animaux ». Or, il était prouvé que les Chagossiens vivaient là depuis plusieurs générations. Une seule génération suffit d'ailleurs pour être reconnu comme peuple autochtone par l'ONU, a rappelé Olivier Bancoult.
«C’est du racisme»
« Le monde doit savoir » que les Britanniques ont fait croire aux Chagossiens qu'ils allaient vacciner leurs chiens, mais qu'en réalité ils les ont systématiquement tués avec les gaz d'échappement des Land Rovers. Ces actes visaient à accélérer la déportation des Chagossiens. Il y eut alors le bateau de l'exil. Ce moment fut rappelé lors du témoignage de Liseby Élysé2 devant la Cour internationale de Justice de La Haye [en 2019]. Elle perdit son enfant à naître en raison des conditions de l'exil. « Le monde doit savoir » qu'aux Chagos avant la construction de la base militaire de Diego Garcia, « on vivait en harmonie ». La vie a été totalement différente à Maurice, lieu d'exil. Les Chagossiens étaient confrontés à un manque de travail et à la violence qui était inconnue aux Chagos. « Le monde doit savoir » aussi que des ressortissants de nombreuses nationalités travaillent à la base militaire de Diego Garcia… mais cette possibilité est interdite aux originaires des Chagos. Olivier Bancoult a postulé 9 fois pour travailler à la base. Les agents recruteurs ont des instructions pour ne pas embaucher des Chagossiens. « On ne peut pas accepter que des gens viennent y travailler, et nous ne pouvons pas », précisa le porte-parole du Groupe Réfugiés Chagos.
De plus, le gouvernement britannique donne l'autorisation aux passagers de yacht de rester jusqu'à 6 mois à Peros Banhos et Salomon, « et nous n'avons pas le droit de venir fleurir la tombe de nos défunts ». « Le cimetière des chiens des militaires de Diego Garcia est entretenu, pas ceux de nos parents », ajouta-t-il.
« Le gouvernement britannique s'autoproclamechampion des droits humains. Mais ce qu'il a fait aux Chagossiens, c'est du racisme. Nous sommes descendants d'Africains, c'est pour cela que nous avons été discriminés », a souligné Olivier Bancoult.
Lutte sur le terrain juridique
Olivier Bancoult a rappelé les actions judiciaires devant la justice britannique jusqu'à la Haute Cour de Londres et même la Cour européenne des droits de l'homme. Puis avec Maurice, il y eut l'audience à la Cour internationale de Justice pour faire entendre notre voix, et son avis condamnant le Royaume-Uni pour son occupation des Chagos. Cette procédure est le résultat d'un vote de l'Assemblée générale de l'ONU. La même instance a confirmé l'avis de la Cour internationale de Justice en 2019.
« La résolution du 28 mai 2019 votée par l'ONU demande l'arrêt de l'occupation illégale des Britanniques sur les Chagos, et de permettre le retour des Chagossiens dans leur pays », rappela-t-il.
« Un jugement a été rendu par le Tribunal international de la mer, il est d'accord avec l'avis consultatif de la CIJ », poursuit-il. « En novembre 2022, le gouvernement britannique a ouvert les négociations avec Maurice. Nous avons la garantie d'y participer, d'après le Premier ministre de Maurice, pour que les Chagossiens soient parties prenantes ». Il devra être notamment question du relogement des Chagossiens dans leur pays natal, ils s'y préparent.
Le rôle des femmes chagossiennes
Olivier Bancoult a ensuite évoqué le rôle de la regrettée Lisette Talate. Ancienne vice-présidente du Groupe Réfugiés Chagos, elle fait partie des femmes qui ont inspiré le combat d'Olivier Bancoult. Elle a participé pleinement à la lutte chagossienne. Native de Diego Garcia, elle a participé à 21 jours de grève de la faim, elle a été pressentie pour le Prix Nobel de la Paix [en 2005]. « Si nous avons été connus sur le plan international, c'est grâce aux femmes chagossiennes », souligna-t-il. Olivier Bancoult a ensuite remercié le Comité de solidarité Chagos La Réunion, le Mouvement réunionnais pour la Paix. Il est très reconnaissant envers Huguette Bello qui donna le nom de Lisette Talate à la piscine municipale de Saint-Paul. Il l'est également envers Jean-Yves Langenier qui décida de donner à la rue principale du Port le nom d'avenue des Chagos. Olivier Bancoult remercia « infiniment » les Réunionnais. Les enfants de la Creuse sont une tragédie comparable3.
50 ans d’exil en 2023
Au sujet des perspectives d'action pour 2023, outre les négociations avec Maurice et le Royaume-Uni, Olivier Bancoult annonça la publication prochaine à Maurice d'un rapport de l'ONG Human Rights Watch sur la déportation des Chagossiens et l'occupation de leur pays par le Royaume-Uni.
En 2023, cela fera 50 ans qu'eut lieu la dernière déportation de Chagossiens. Le Groupe Réfugiés Chagos prépare un grand événement avec une exposition. « Nous voulons inviter le capitaine d'un bateau de l'exil afin qu'il témoigne de ce qu'il s'est passé », autrement dit, « le monde doit savoir ». Enfin, « nous sommes prêts à aider nos frères malgaches pour leur revendication des îles Éparses4 », dit en substance Olivier Bancoult en concluant son exposé par une invitation à la commémoration du 50e anniversaire de l'exil. Manuel Marchal, Témoignages, 31/01/23
1 Avocat international franco-britannique, défenseur de la cause chagossienne.
2“L'île va être fermée, vous partez demain. Vous avez droit à une valise.” Extrait de La dernière colonie - Philippe Sands - 2022
3 Entre 1962 et 1984, plus de 2000 enfants réunionnais seront arrachés à leur histoire.
4Vestiges de la colonisation française, les Éparses font partie des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
Fondé en 1944, Témoignages est le plus ancien Quotidien encore publié de l’île de La Réunion. Il est l’organe du Parti communiste réunionnais, fondé par Paul Vergès en 1959. En décembre 2013, Témoignages suspend son édition papier pour passer au tout numérique.
« La résolution du 28 mai 2019 votée par l’ONU demande l’arrêt de l’occupation illégale des Britanniques sur les Chagos, et de permettre le retour des Chagossiens dans leur pays »
Dans le 101e département français, archipel de l’océan Indien situé près de Madagascar et du Mozambique, les violences sexuelles sont une réalité malgré l’absence de chiffres officiels. À Mayotte, où la moitié de la population a moins de 18 ans, les mineurs sont particulièrement touchés par les faits d’inceste, de viol, de prostitution et de grossesse précoce. Pour alerter, sensibiliser et faire cesser l’impunité, l’association Haki Za Wanatsa a créé le collectif CIDE - Convention internationale des droits de l’enfant. Il rassemble une trentaine d’associations et d’institutionnels tels que la préfecture, l’académie ou encore l’Agence régionale de santé (ARS). Ensemble, ces acteurs ont lancé Wametoo, la version mahoraise du mouvement MeToo, et permis d’amorcer la libération de la parole des victimes. Rencontre avec la présidente d’Haki Za Wanatsa, Rehema Saindou, professeure d’histoire géographie dans un collège et militante déterminée.
Boukan : Comment est né le mouvement Wametoo à Mayotte ? Rehema Saindou, présidente de l'association Haki Za Wanatsa : On a lancé Wametoo il y a deux ans avec Haki Za Wanatsa et le collectif CIDE dans le sillage du mouvement international Metoo. Wametoo, c'est la contraction du mot
« wami » qui signifie «moi» en shimaoré et de « me too » en anglais. On s'est réunis parce qu'ici aborder le sujet de la sexualité, des rapports sexuels, du consentement, c'est très, très tabou. Notamment à cause de la culture et de la religion. Avec ce mouvement, on veut permettre aux victimes de parler et ça passe par un travail de terrain : des actions de sensibilisation dans le cadre scolaire, dans les associations sportives, des tables rondes, des conventions avec le rectorat, des clips de prévention, des rencontres avec les adultes aussi. Au total, on a touché 10000 personnes, enfants et adultes, l'an dernier.
Boukan : Malgré le silence autour de ces violences, comment avez-vous su qu'il y avait urgence à s'emparer du sujet ?
RS : On se rend compte qu'il y a un problème de fond quand on voit le nombre de grossesses précoces dans le milieu scolaire. De très jeunes filles - moi, j'appelle ça des bébés - tombent enceintes. Certaines ont 12 ans, et elles sont de plus en plus nombreuses ensuite au lycée. Ça dénote un vrai manque de prévention. Le service médico-social de l'Éducation nationale est saturé, il y a tellement d'élèves que les interventions prévues une fois par an sont insuffisantes. Or là, il y a urgence à parler de contraception, de consentement, de violences sexuelles. On sait que certaines sont enceintes, car elles ont été violées par des adultes, mais on n'en parle pas. Il y a une impunité immense sur le territoire.
Boukan : De quelle impunité parlez-vous ?
RS : Si je prends l'exemple d'un tonton qui va agresser sa nièce, on va retrouver un schéma typique : si ça se sait, il y aura une réunion organisée, où l'on regroupera tout le monde, puis on va laver la jeune fille et nettoyer toute trace d'ADN. Les proches ont ainsi l'impression de la protéger parce qu'ils lui ont « enlevé la souillure », puis on va lui dire de se taire parce qu'elle va nuire à la réputation de son oncle et de toute sa famille. Sauf que le coupable, lui, ne va pas arrêter, il ne sera pas puni et va continuer en toute impunité. C'est une problématique qu'on retrouve souvent à Mayotte.
Boukan : Justement, connaît-on l'ampleur des violences sexuelles intra-familiales ?
R. S : Non, nous n'avons pas de chiffres exacts, c'est le problème à Mayotte, on ne peut qu'extrapoler les chiffres nationaux. C'est un de nos enjeux, pour y répondre on souhaite lancer une enquête locale. Justement, l'ORS - l'Observatoire régional de la santé - veut faire une enquête à laquelle on voudrait participer activement. On aimerait aller dans les quartiers les plus reculés, vers la population, pour poser des questions et avoir des chiffres. Parce que dénoncer la violence sexuelle à Mayotte, c'est déjà très compliqué, mais alors l'inceste, c'est encore un autre défi.
Boukan : Vous décrivez une société parfois très traditionaliste, conservatrice, comment a été accueilli votre démarche?
R.S : Ça évolue, mais très doucement. Vous allez avoir des ados ou jeunes adultes qui veulent des réponses. Comme les jeunes