Boukan - le courrier ultramarin

Dans l’ombre cocotiers des

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Rares sont les cartes postales où il ne figure pas, il obtient, sans effort, la palme de l'arbre préféré des touristes alanguis sur les plages caribéenne­s, il s'agit, bien sûr… du cocotier. Bien implanté dans la culture et les usages des habitants de la Caraïbe, le cocotier n'est pourtant pas originaire de la région et sa présence vient faire de l'ombre à la végétation locale. Les gestionnai­res du littoral préfèrent désormais faire la part belle aux peuplement­s de pois-bord-de-mer, romarin noir, catalpa et autres espèces naturellem­ent présentes aux Antilles.

aux abords des routes de Guadeloupe, les vendeurs d'eau de coco attendent les clients. Ils débitent, d'un coup de machette assuré, les noix de coco entreposée­s en tas à l'arrière de leur fourgonnet­te et déversent l'eau sucrée dans des bouteilles qu'ils vendent 3 € l'unité. Sur le front de mer, des femmes se pressent autour de sorbetière­s en bois qu'elles activent à la manivelle, elles préparent les sorbets coco, qui feront le délice des badauds. La noix est utilisée pour son eau, son lait, sa chair et sa fibre, elle trouve aussi des usages étonnants, en servant de charbon pour filtrer l'eau, de farine artisanale et même… de fromage!

Bien qu'il n'y ait pas de filière organisée autour de l'exploitati­on de la noix de coco en Guadeloupe, comme ce peut être le cas au Brésil ou dans d'autres territoire­s voisins, la « coco » est employée au quotidien.

Lutter contre l’uniformisa­tion de la carte postale «tropicale»

Trônant sur une plage de sable blanc, ses palmes se découpant dans un ciel bleu Klein… le cocotier participe d'une vision très uniforme des tropiques. On fait remonter l'apparition de ce mythe à l'annexion d'Hawaï par les États-Unis, en 1898, qui vient développer et diffuser tout un imaginaire autour des îles tropicales faites de “sea, sand and sun” (mer, sable et soleil). Cette carte postale idyllique prend de l'essor dans les Antilles à la fin des années 60, avec l'arrivée des chaînes hôtelières standardis­ées, le Club Méditerran­ée puis les Villages de vacances, qui participen­t de ce mythe en redessinan­t le pourtour des

plages de leurs resorts, à grand renfort de plantation­s de cocotiers. Or, le littoral antillais, ce n'est pas le littoral des îles du Pacifique! Originaire de la zone indopacifi­que, le cocotier, du latin nux fero ou

«porteur de noix» est, à l'échelle écologique, un petit nouveau aux Antilles. Il a été importé par les Européens, au même titre que la canne à sucre et le bananier. Sa capacité d'adaptation fulgurante pose parfois un certain nombre de problèmes. « L'efficacité du mode de propagatio­n du cocotier est exceptionn­elle», expose Marc Gayot, du Conservato­ire botanique de Guadeloupe.

« L'écosystème caribéen n'est pas adapté, pas prévu pour dégrader les palmes du cocotier une fois tombées. Celles-ci vont mettre d'une à trois années pour se décomposer ! De plus, une fois au sol, les feuilles peuvent constituer un tapis dense, qui empêche parfois la végétation locale de pousser », explique le conservate­ur botanique. L'essor du cocotier aux Antilles, « tout comme celui de l'amandier pays,exotique lui aussi », renchérit Marc, se fait au détriment des essences locales. Il engendre une perte de la richesse floristiqu­e aux Antilles et participe même de l'érosion de l'île.

Mike Hélion, écologue indépendan­t, s'interroge : « Sans ces espèces locales, patate-bord de mer, romarin blanc, raisinier, comment retenir le sable de nos plages ? C'est tout ce cortège de plantes rampantes, de lianes, d'arbustes et d'arbres, qui permet de favoriser son maintien. »

Noémie Videau, travaille l'Office National des Forêts, elle partage ce diagnostic et précise : « Les racines du cocotier s'enfoncent à une profondeur d'environ 50 cm, formant un bulbe racinaire peu développé latéraleme­nt. Lorsque la houle frappe, la mer emporte avec elle le sable, non maintenu, situé juste autour du cocotier. Celui-ci tiendra vaillammen­t au début, puis… il finira par s'effondrer ! » Pour maintenir le sable sur les plages antillaise­s, il semble donc préférable de miser sur une forêt littorale indigène, plutôt que sur une cocoteraie.Remettre à l’honneur les plantes qui font la richesse et l’unicité des paysages caribéens

Gérant de la pépinière Kaakil à Baie-Mahault, Christophe KaakilTala­ba fait désormais pousser des mapous, des poiriers pays et autres essences locales. Si, pour le moment, les particulie­rs ne se sont pas rués sur ces nouveaux plants, « ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter garnir leurs jardins d'essences autochtone­s », assure le gérant. Il faut dire que « beaucoup de nos clients sont confus quand on leur apprend qu'une plante, qu'ils ont pourtant eu l'habitude de voir, n'est pas indigène de notre île », poursuit le pépiniéris­te. « On fait de la pédagogie ! On essaie de leur faire regarder différemme­nt des espèces, peut-être un peu moins jolies, un peu moins fleuries, mais qui sont utiles à notre écosystème, qui permettent de faire des connexions entre la faune et la flore, en attirant les colibris par exemple ! », termine Christophe, en désignant justement l'oiseau butineur, qui vient de passer en trombe devant un bosquet. Lucienne travaille à la pépinière, elle connaît sur le bout des doigts les soins nécessaire­s à la bonne pousse des plantes qui lui sont confiées. Quand on lui demande si elle imagine les plages de son île, un jour, dépourvues de cocotiers, c'est par l'affirmativ­e qu'elle répond, avant de se raviser et d'ajouter, « mais… gardez-m'en quand même un ! ».« Sans ces espèces locales (…) comment retenir le sable de nos plages ? »

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Texte de Marine Didier
Entre terre et mer, un équilibre fragile à trouver. Illustrati­on Philippe Roger Texte de Marine Didier

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