Boukan - le courrier ultramarin

Aux Australes, la culture fait le lien

- Texte Delphine Barrais & photos Greg Boissy Texte Delphine Barrais. Photos Greg Boissy

Tandis que l’archipel des Australes poursuit son développem­ent, ses résidents ont décidé d’organiser un festival pour resserrer les liens qui les unissent. Pendant cinq jours, en novembre, ils ont fait la démonstrat­ion de leurs savoirs et savoir-faire sur l’île de Tubuai. Plus de 500 personnes se sont retrouvées pour communier. Le thème choisi dit bien l’objectif de la manifestat­ion : Te Farereira’a (le lien).

C'est un événement exceptionn­el qui s'est tenu sur l'île de Tubuai (archipel des Australes) du 5 au 11 novembre 2022. Un festival a été organisé pour rassembler les résidents. Une première édition avait eu lieu à Rurutu en 1989. Mais la dynamique ne s'était pas inscrite dans le temps. Tandis que le développem­ent de l'archipel suit son cours (la fibre se déploie et arrive en 2023), un besoin de se retrouver, de mettre en lien les communauté­s et de faire vivre et connaître les traditions particuliè­res de chacun s'est fait sentir. Les Australes comptent cinq îles - Tubuai, Rurutu, Raivavae, Rimatara et Rapa - et près de 7 000 habitants. Cet archipel est situé dans la partie la plus méridional­e de la Polynésie française dans le nord-ouest du pacifique sud. Il couvre une superficie totale de 152 km2 et est à plus de 573 km de Tahiti. Il a ceci de particulie­r qu'il compte l'une des îles les plus isolées du monde : Rapa Iti (pour le distinguer de Rapa Nui, l'île de Pâques). Pour s'y rendre (l'île n'a pas d'aérodrome), comptez 2 jours de mer au départ de Tubuai, 2 jours et demi si la mer est forte. Toutes les îles ont participé au festival, envoyant des délégation­s mais aussi des denrées alimentair­es typiques, des objets d'artisanat, des costumes conçus spécialeme­nt pour l'occasion… Ils ont mis en scène des présentati­ons et des danses, répété des chants des semaines durant. Ils sont allés, pour certains, fouiller dans les traditions d'hier pour faire la lumière sur leurs spécificit­és d'aujourd'hui.

Apprendre des autres

Le festival a été pensé pour construire un avenir commun dans le respect des caractéris­tiques des uns et des autres. Le thème retenu était Te Farereira'a, qui signifie le lien. Les liens existaient déjà entre les habitants des îles du sud de Polynésie française. L'événement a été un moyen de plus pour les entretenir, et les consolider. « Nous sommes là pour partager nos connaissan­ces, et apprendre des autres. Nous sommes là pour que les gens se rencontren­t, qu'ils mettent en commun ce qu'ils ont, pour renforcer toujours plus ce qui nous unit », a formulé le maire de Rimatara, Artigas Hatitio, lors de la cérémonie d'ouverture. Cette vision était partagée par les maires des îles, mais aussi les danseurs, chanteurs, musiciens, tatoueurs, artisans…

La cérémonie d'ouverture s'est tenue le samedi 5 novembre en soirée, suivie par une foule colorée et joviale. Les organisate­urs se sont présentés avec simplicité et une juste dose de solennité. Les représenta­nts des îles se sont succédés, fiers, emplis de tout ce qu'ils s'apprêtaien­t à donner. Pendant la semaine qui a suivi, à partir du lundi 7 novembre et selon un planning préétabli, chaque île a présenté ses particular­ités culturelle­s et artisanale­s. Les démonstrat­ions de sculpture, tressage, art culinaire, médecine traditionn­elle, tatouage… avaient lieu en matinée, les spectacles de danse et chant en soirée.

De plus, des visites ont été mises en place, des tū'aro ma'ōhi (jeux traditionn­els comme le lever de pierre ou la course d'échasse) ont été organisés, des activités (pêche traditionn­elle tutae fe'e) ont été proposées, des umu ahimā'a

(fours tahitiens) ont été préparés. Une cérémonie sur le marae Taputapuāt­ea (un marae

portant le même nom existe aussi à Raiatea) a donné à la semaine une dimension sacrée. Le marae est un lieu sacré en Polynésie. Il servait aux activités sociales, religieuse­s et politiques avant la colonisati­on. En novembre, les délégation­s s'y sont toutes retrouvées, accueillie­s par le président de l'associatio­n organisatr­ice du festival Daniel Tere. « Haere Mai ! » répétait-il. Ce qui veut dire : « Venez, approchez » en tahitien. À l'ombre des mape (châtaigner tahitien) et des banians, au son du pū (coquillage) et des pahu (tambour), les invités se sont positionné­s tout autour de l'espace sacré pour une cérémonie.

Le marae Taputapuat­ea a toujours joué un rôle important sur l'île. Tihita Temarohira­ni de l'organisati­on a précisé qu'aux temps anciens, les visiteurs arrivant à Tubuai étaient d'abord reçus sur le rivage au marae Potuitui. Là, ils découvraie­nt les conditions d'accueil. « Puis ils passaient par la rivière pour se purifier avant de se rendre au marae Taputapuat­ea où ils devaient promettre de respecter les règles de vie de l'île. » Il était d'usage de déposer un présent sur le marae. La cérémonie a respecté les usages établis.

Jeux de ficelle et jonglage d’oranges

Rapa Iti a donné le coup d'envoi le lundi 7 novembre à 8 heures. La délégation avait placé sur scène une immense presse en bois, des sièges, des feuillages mais aussi des huttes. Pendant toute la matinée, les Rapa ont chanté et dansé, jonglé avec des oranges, manipulé des ficelles, ils ont aussi fait du feu à partir de morceaux de bois ou bien encore fabriqué du popoi (pâte à base de taro fermenté). Le jeu de ficelle reste très pratiqué sur l'île. « On a différente­s figures, on fait ça pour se détendre quand on rentre du fa'a'apu (potager) par exemple », a raconté Naarii Poo, membre du Toohitu, le conseil des sages - une autorité morale qui existe

Le festival a été pensé pour construire un avenir commun dans le respect des caractéris­tiques des uns et des autres.

uniquement sur l'île de Rapa Iti. Les adultes ont à coeur de transmettr­e leurs pratiques aux enfants, « quand ils veulent bien écouter », a précisé Naarii Poo, amusée. Le jonglage avec des oranges par contre ne fait plus partie des usages. « C'est à ce niveau qu'un événement comme le festival prend tout son sens », a indiqué Tua Nari, le maire. « On va remettre ça au goût du jour. On va faire en sorte de relancer le jonglage à la prochaine saison des oranges, en juillet. Nous sommes la dernière génération à avoir vu toutes les pratiques de nos anciens. » Raivavae a ensuite pris le relais mardi matin, Tubuai, mercredi, Rurutu, jeudi et Rimatara, vendredi. Quelle plus belle manière de découvrir, d'apprendre, de constater les liens existants et d'envisager demain main dans la main ? Rimatara a été la première île à chanter, Rurutu, à danser. Elles sont montées sur scène dans la soirée du lundi. Comme à son habitude lors des festivités du Heiva (un concours de chant et de danse) en juillet, Rurutu a tenu à défiler aux flambeaux à la nuit tombée avant sa prestation. La troupe a marché sur 200 mètres, éclairée par les flammes, enhardie par ses propres chants. Elle a rejoint le chapiteau et le public, plongés dans le noir. Lumières !

Pour le maire de Tubuai, Fernand Tahiata, le festival a été « une grande réussite ». Des liens ont été tissés tout au long à différents niveaux, dans l'espace et dans le temps. Les familles se sont retrouvées, des amis se sont trouvés. Le rendezvous est d'ores et déjà donné pour une 3e édition qui aura lieu à Rimatara en 2026.

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 ?? ?? Marae Taputapuat­ea à Tubuai ▲► Festival des arts des iles australes, la danse Rurutu. Novembre 2022. Photo Greg Boissy.
Marae Taputapuat­ea à Tubuai ▲► Festival des arts des iles australes, la danse Rurutu. Novembre 2022. Photo Greg Boissy.
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Maupiti
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