TAPISSER DANS LES RÈGLES DE L’ART
Deshabillés puis guindés à l’ancienne, fauteuils et même tête de lit attendent la touche finale. L’éventail des tissus est infini, le choix est délicat. Pois, damas, papillons, tout est encore possible !
Les stages de tapisserie ont le vent en poupe. C’est la solution idéale pour rendre à son petit fauteuil l’éclat de sa jeunesse. Aux « Clous Dorés », Marion Lacaze forme les néophytes. Cinq jours de surprises, de rencontres pour un résultat bluffant.
Marion tourne la clef dans la serrure, repousse le lourd rideau de fer qui dévoile son atelier du quartier Montorgueil, à Paris. Le rendezvous donné aux stagiaires est fixé à neuf heures. Dans les rangs, on sent l’excitation d’une rentrée des classes. Cinq novices souriants sont pressés d’en découdre avec bergère, fauteuils crapaud ou Voltaire, sortis tout droit du grenier. Ils imaginent encore que la chose sera aisée grâce aux talents de leur professeur diplômé de l’École Boulle… Les sièges défraîchis, posés les uns après les autres, attendent sagement adossés au mur avec, à leurs pieds, une boîte à outils pleine de marteaux, de cardans, promesse d’une nouvelle vie. La première étape, dégarnir le siège, est un long préalable qui a souvent pris des heures à la maison. Un maillet, des ciseaux à dégarnir, et un pied-de-biche sont nécessaires pour arracher les petits clous d’autrefois ou « les dizaines de semences », puisque c’est leur nom ! Lorsqu’il ne reste plus que le bois, vient l’étape cruciale du sanglage. Sur un fond rigide, en corde, viennent se fixer les ressorts pour le guindage. Et l’on comprend mieux le sens du mot « guindé ». Pas de place pour le moindre relâchement ! Parmi les élèves, on trouve côte à côte, un cadre financier, une pharmacienne, une responsable de ressources humaines, une jeune retraitée et
chineuse invétérée, tous courbés sur leur ouvrage. Aucun n’a vraiment d’activité manuelle hormis Bertrand, qui construit des maisons de poupées pour ses enfants, ou Céline qui aime bricoler. Chaque stagiaire est là pour écrire une nouvelle histoire. Madeleine, tout juste à la retraite, accomplit enfin son rêve de réparer ellemême les trésors achetés avec passion dans les ventes aux enchères de Chatou. Pour Céline, c’est le début d’une reconversion professionnelle. Elle mitonne un projet de chambre d’hôtes dont la thématique originale sera justement une approche du travail de tapissier. Le relooking est radical. Fini le vert bronze fané. Repeints de la tête aux pieds, recouverts de satin et parés de clous étincelants, les fauteuils affichent à la fin du stage des teintes lumineuses. Le moral des troupes est au beau fixe… Juste quelques courbatures, voire un ou deux pansements aux doigts. Mais l’étape finale galvanise. Voici venu (enfin !) le moment de la consécration : recouvrir son fauteuil du tissu choisi avec amour. C’est là que les styles se métamor- phosent pour rendre aux courbes Louis XVI tout leur charme et leur fraîcheur première. L’expérience est inoubliable. Jour après jour, cet apprentissage lent, patient, exigeant est un avant-goût du métier d’artisan. Au-delà d’une simple satisfaction, il offre de goûter au plaisir d’un travail bien fait et l’occasion de maîtriser un nouveau savoir-faire…