Campagne Decoration

TAPISSER DANS LES RÈGLES DE L’ART

- PAR ALICE FOURNIÉ / PHOTOS SÉBASTIEN SIRAUDEAU

Deshabillé­s puis guindés à l’ancienne, fauteuils et même tête de lit attendent la touche finale. L’éventail des tissus est infini, le choix est délicat. Pois, damas, papillons, tout est encore possible !

Les stages de tapisserie ont le vent en poupe. C’est la solution idéale pour rendre à son petit fauteuil l’éclat de sa jeunesse. Aux « Clous Dorés », Marion Lacaze forme les néophytes. Cinq jours de surprises, de rencontres pour un résultat bluffant.

Marion tourne la clef dans la serrure, repousse le lourd rideau de fer qui dévoile son atelier du quartier Montorguei­l, à Paris. Le rendezvous donné aux stagiaires est fixé à neuf heures. Dans les rangs, on sent l’excitation d’une rentrée des classes. Cinq novices souriants sont pressés d’en découdre avec bergère, fauteuils crapaud ou Voltaire, sortis tout droit du grenier. Ils imaginent encore que la chose sera aisée grâce aux talents de leur professeur diplômé de l’École Boulle… Les sièges défraîchis, posés les uns après les autres, attendent sagement adossés au mur avec, à leurs pieds, une boîte à outils pleine de marteaux, de cardans, promesse d’une nouvelle vie. La première étape, dégarnir le siège, est un long préalable qui a souvent pris des heures à la maison. Un maillet, des ciseaux à dégarnir, et un pied-de-biche sont nécessaire­s pour arracher les petits clous d’autrefois ou « les dizaines de semences », puisque c’est leur nom ! Lorsqu’il ne reste plus que le bois, vient l’étape cruciale du sanglage. Sur un fond rigide, en corde, viennent se fixer les ressorts pour le guindage. Et l’on comprend mieux le sens du mot « guindé ». Pas de place pour le moindre relâchemen­t ! Parmi les élèves, on trouve côte à côte, un cadre financier, une pharmacien­ne, une responsabl­e de ressources humaines, une jeune retraitée et

chineuse invétérée, tous courbés sur leur ouvrage. Aucun n’a vraiment d’activité manuelle hormis Bertrand, qui construit des maisons de poupées pour ses enfants, ou Céline qui aime bricoler. Chaque stagiaire est là pour écrire une nouvelle histoire. Madeleine, tout juste à la retraite, accomplit enfin son rêve de réparer ellemême les trésors achetés avec passion dans les ventes aux enchères de Chatou. Pour Céline, c’est le début d’une reconversi­on profession­nelle. Elle mitonne un projet de chambre d’hôtes dont la thématique originale sera justement une approche du travail de tapissier. Le relooking est radical. Fini le vert bronze fané. Repeints de la tête aux pieds, recouverts de satin et parés de clous étincelant­s, les fauteuils affichent à la fin du stage des teintes lumineuses. Le moral des troupes est au beau fixe… Juste quelques courbature­s, voire un ou deux pansements aux doigts. Mais l’étape finale galvanise. Voici venu (enfin !) le moment de la consécrati­on : recouvrir son fauteuil du tissu choisi avec amour. C’est là que les styles se métamor- phosent pour rendre aux courbes Louis XVI tout leur charme et leur fraîcheur première. L’expérience est inoubliabl­e. Jour après jour, cet apprentiss­age lent, patient, exigeant est un avant-goût du métier d’artisan. Au-delà d’une simple satisfacti­on, il offre de goûter au plaisir d’un travail bien fait et l’occasion de maîtriser un nouveau savoir-faire…

 ??  ?? LE CARDAGE, étape importante, consiste à façonner l’assise du fauteuil qui doit être ferme et confortabl­e. Pour ce faire, on utilise du crin de coco. Ici, on ébouriffe le crin pour retirer des petites écorces de noix qui raidissent le rembourrag­e. Cela...
LE CARDAGE, étape importante, consiste à façonner l’assise du fauteuil qui doit être ferme et confortabl­e. Pour ce faire, on utilise du crin de coco. Ici, on ébouriffe le crin pour retirer des petites écorces de noix qui raidissent le rembourrag­e. Cela...
 ??  ?? UN MARTEAU GARNISSEUR AIMANTÉ pour les semences, des ciseaux à dégarnir, un tire-crin, des carrelets courbes et un mètre ruban… une partie des outils nécessaire­s à la remise en beauté d’un fauteuil.
UN MARTEAU GARNISSEUR AIMANTÉ pour les semences, des ciseaux à dégarnir, un tire-crin, des carrelets courbes et un mètre ruban… une partie des outils nécessaire­s à la remise en beauté d’un fauteuil.
 ??  ?? ANCIENNE ÉTUDIANTE EN DROIT, MARION LACAZE a trouvé sa vocation en passant un CAP de tapissier-garnisseur à la fameuse École Boulle. Elle est aussi formateur agréé et... maman de trois jeunes enfants.
ANCIENNE ÉTUDIANTE EN DROIT, MARION LACAZE a trouvé sa vocation en passant un CAP de tapissier-garnisseur à la fameuse École Boulle. Elle est aussi formateur agréé et... maman de trois jeunes enfants.
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 ??  ?? MARION LACAZE MONTRE AVEC UNE PATIENCE RASSURANTE le trajet du carrelet, cette grande aiguille qui assure la solidité de l’ouvrage pour une centaine d’années. LE STYLE LOUIS XVI de ce fauteuil est sublimé par de superbes fleurs bleutées ponctuées de...
MARION LACAZE MONTRE AVEC UNE PATIENCE RASSURANTE le trajet du carrelet, cette grande aiguille qui assure la solidité de l’ouvrage pour une centaine d’années. LE STYLE LOUIS XVI de ce fauteuil est sublimé par de superbes fleurs bleutées ponctuées de...
 ??  ?? LE TAPISSIER utilise des matériaux nobles comme les sangles de corde. Les clous décoratifs se déclinent en plusieurs teintes. Et ces petits marteaux à tête étroite se nomment des ramponneau­x.
LE TAPISSIER utilise des matériaux nobles comme les sangles de corde. Les clous décoratifs se déclinent en plusieurs teintes. Et ces petits marteaux à tête étroite se nomment des ramponneau­x.
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