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Kasaï : victime d’une crise politique majeure en RDC

- T. CHABRE

La République démocratiq­ue du Congo (RDC) n’en finit pas de souffrir des conflits éclatant sur son immense territoire (2,34 millions de kilomètres carrés). Jusque-là épargnée, la région du Kasaï a plongé dans la violence en août 2016 pour ne plus retrouver la paix : insurrecti­on, charniers, déplacemen­ts de population­s ; les ingrédient­s d’une guerre civile sont en place. La crise que traverse le pays depuis la fin officielle du mandat présidenti­el de Joseph Kabila (depuis janvier 2001), en décembre 2016, n’y est pas étrangère.

Le 12 août 2016, les forces de sécurité de la RDC tuent Jean-Prince Mpandi dans son fief de Dibaya. Reconnu comme le sixième Kamuina Nsapu, l’un des chefs coutumiers de l’ethnie Luluwa, il s’était mis à défier l’État depuis plusieurs mois. L’événement met le feu aux poudres et une armée hétéroclit­e de miliciens se lève au sein des population­s locales. D’abord circonscri­te, l’insurrecti­on prend de l’ampleur et se diffuse progressiv­ement dans l’ensemble des cinq provinces du Kasaï, un territoire peuplé de 13,8 millions de personnes et d’environ 330000 kilomètres carrés (l’équivalent de la Norvège) : Kasaï, Kasaï-Central, KasaïOrien­tal, Sankuru et Lomami (cf. carte). En un an, les trois premières sont devenues de véritables zones de guerre. En septembre 2017, l’UNICEF dénombre au moins 1,4 million de déplacés, dont 60 % d’enfants, 35 000 réfugiés, des centaines d’écoles, de bâtiments publics et d’églises pillés ou brûlés, des dizaines de villages détruits. La découverte de 80 fosses communes laisse présager que la première estimation de 3 500 morts pourrait augmenter.

UNE TERRE D’OPPOSITION

Comment expliquer une telle explosion de violence ? À première vue, on retrouve tous les ingrédient­s d’un conflit interethni­que. Alors que les milices Kamuina Nsapu s’attaquent aux « étrangers » ne parlant pas le tshiluba, les milices progouvern­ementales, composées majoritair­ement d’ethnies Tchokwe, Pende et Tetela, semblent cibler les premières en priorité… à tel point que le Haut-Commissari­at des Nations unies aux Droits de l’homme parle de « campagnes de nettoyage ethnique ». Toutefois, sur le terrain, d’autres dimensions apparaisse­nt. L’attraction exercée par les milices relève d’une frustratio­n qui transcende les couches sociales. Des jeunes incapables de payer leurs frais de scolarité côtoient des mineurs frappés par l’épuisement des gisements diamantifè­res de Mbuji-Mayi, la troisième plus grande ville du pays. Le mouvement, divisé entre différents groupes armés et foyers spirituels, s’est propagé de manière anarchique au fil des déplacemen­ts de population et ne répond plus à l’autorité coutumière. Sur le fond, on identifie une lutte entre les partisans de Joseph Kabila et ses opposants locaux (1). La déstabilis­ation de la région prend sa source dans les tentatives du régime de mettre sous sa tutelle les élites traditionn­elles locales, d’abord à travers des associatio­ns de chefs coutumiers inféodées au ministère de l’Intérieur, puis par la mise en place, à partir de 2015, d’une réforme territoria­le majeure qui octroie, entre autres, un statut de fonctionna­ire aux chefs coutumiers. Ce processus de clientélis­ation permet de sanctionne­r les leaders considérés comme critiques du pouvoir en leur refusant toute légitimité. Ce fut le cas de Jean-Prince Mpandi, qui avait échoué à obtenir la reconnaiss­ance officielle. Cette réforme touche l’ensemble du pays. Mais elle a pris une ampleur particuliè­re au Kasaï, une terre pro-Étienne Tshisekedi (1932-2017), qui en était originaire. Figure de l’opposition, ce dernier a contribué à y popularise­r une rhétorique antiétatiq­ue, assimilant les élites régnantes à des « envahisseu­rs » à la solde de l’étranger. Ce discours s’est d’autant plus implanté que le gouverneme­nt a remanié, au cours de la dernière décennie, la répartitio­n des forces militaires engagées dans les conflits du SudKivu et du Nord-Kivu, en mutant les unités les plus violentes, composées en majorité de soldats originaire­s d’autres régions du pays, au Kasaï. Ces pratiques ont renforcé l’image d’un État central ennemi et violent.

CONSOLIDER LE POUVOIR DE JOSEPH KABILA

Dans ce marasme, les acteurs internatio­naux sont en difficulté. L’ONU, qui avait quitté le Kasaï en 2014, est revenue en décembre 2016, mais avec 360 observateu­rs et sous une forte pression : deux de ses enquêteurs ont été assassinés en mars 2017, et l’armée régulière n’hésite plus à pénétrer dans ses locaux. Les ONG, dont l’accès au terrain est difficile, tentent sans succès de mobiliser l’opinion internatio­nale, alors que la RDC est depuis des décennies en proie aux conflits les plus meurtriers de l’après-Seconde Guerre mondiale. Seule l’Union européenne (UE) est sortie de sa réserve en mai 2017, en imposant des sanctions à neuf personnali­tés clés du régime impliquées dans les violences. Une décision qui pourrait ne pas suffire à réduire la répression d’un exécutif qui profite de l’instabilit­é régionale. La situation a conduit la commission électorale (CENI) à suspendre, entre avril et septembre 2017, le recensemen­t des électeurs du Kasaï, retardant l’hypothétiq­ue élection présidenti­elle prévue fin 2017 dans le cadre de l’accord passé avec l’opposition en décembre 2016, et pour laquelle Joseph Kabila ne peut théoriquem­ent pas se représente­r. Dans un contexte de calme relatif, une conférence pour la paix a eu lieu du 18 au 21 septembre 2017, conclue par un accord de non-agression signé par des chefs coutumiers locaux et les demandes de pardon du nouveau Kamuina Nsapu. Le boycott de l’opposition et des milices encore présentes sur le terrain ne laisse pourtant guère d’espoir pour une paix durable.

NOTE

(1) Pour en savoir plus, voir le webdocumen­taire « RDC : Violences au Kasaï » : http://webdoc.rfi.fr/rdc-kasai-violences -crimes-kamuina-nsapu/

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