Inde-pakistan : vers un apaisement mémoriel ?
Le 14 août 2017, le 70e anniversaire de la partition entre la République islamique du Pakistan et la République de l’Inde était célébré. Le sujet est sensible, car la mémoire de cette déchirure commence à peine à se libérer. Le 17 août 2017, le premier Musée de la partition ouvrait ses portes à Amritsar (Pendjab indien). Avec ses milliers de témoignages provenant de différentes communautés, cette institution se veut la première pierre d’une mémoire apaisée.
Si la partition reste encore le point névralgique de la rivalité et des conflits entre l’Inde et le Pakistan, c’est que son bilan fut lourd. Dans la nuit du 14 au 15 août 1947, le Parlement britannique votait l’Indian Independence Bill. Cette loi entérinait la partition de l’ancien territoire des Indes britanniques en deux États séparés. À la veille de cette dissolution, la colonie comptait 410 millions d’habitants, dont 281 millions d’hindous, 115 millions de musulmans, 7 millions de chrétiens et 6 millions de sikhs, répartis sur 4 millions de kilomètres carrés. Cinq semaines plus tard, 6 000 kilomètres de frontières furent tracés, divisant l’Union indienne de Jawaharlal Nehru (1889-1964), à majorité hindoue, et le Pakistan musulman de Muhammad Ali Jinnah (1876-1948). Dans les mois qui suivirent, des centaines de villages furent rasés, des dizaines de milliers de femmes violées, kidnappées. Le bilan humain des massacres communautaires est estimé entre 200 000 et 2 millions de morts, selon les sources. La partition fut à l’origine de l’une des plus importantes migrations de population de l’histoire, avec près de 15 millions de déplacés.
DES INITIATIVES NOMBREUSES
La mémoire de l’événement est devenue un enjeu politique majeur. Elle est le terreau des tensions actuelles entre les deux États et des revendications territoriales concernant le Cachemire notamment, province à majorité musulmane qui cristallise les antagonismes entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. Dans les manuels scolaires, les élèves indiens apprennent une tout autre histoire de la partition que les étudiants pakistanais. Face à cette vision antithétique et antagoniste des événements, des initiatives voient le jour pour mettre en avant une historiographie plus détachée des enjeux politiques actuels. Au Pakistan, l’association The History Project propose aux élèves de porter un regard critique en comparant les récits de la partition présentés dans les manuels indiens et pakistanais. En Inde, l’ouvrage The Other Side of Silence (2010), d’Urvashi Butalia, qui évoque les violences commises par des hindous, fait partie du programme d’histoire au lycée. C’est dans cette perspective que plusieurs initiatives, visant non seulement à archiver, mais aussi à transmettre l’héritage et les enseignements de la partition, voient le jour. Les associations The Citizens Archive of Pakistan (fondée en 2007) et The 1947 Partition Archive (2010) ont été pionnières dans cette volonté d’enregistrer, de numériser et de partager les différents récits du conflit, et de faire entendre des voix et des récits pluriels. L’ouverture, le 17 août 2017, du Musée de la partition à Amritsar est un pas de plus dans la mise en valeur de la mémoire du conflit indo-pakistanais. Plus de 5000 témoignages sur les violences commises en 1947 entre les communautés hindoue, sikh et musulmane constituent le fonds de cette institution. Côté pakistanais, The Citizens Archive of Pakistan, qui a déjà recueilli plus de 1 000 témoignages, prévoit également de les présenter dans le cadre d’une exposition au Musée national de Lahore. L’université américaine Stanford a mis en ligne 4 300 récits de survivants (1). Toutes ces initiatives ont un intérêt à la fois historique, mais également hautement politique. Les relations entre l’Inde et le Pakistan restent particulièrement conflictuelles. En juillet 2016, des heurts entre manifestants et forces de sécurité ont éclaté lorsqu’une figure du mouvement séparatiste cachemirien, Burhan Wani, a été tuée par les
forces indiennes. Les violences se sont ravivées en avril 2017 à l’occasion des élections partielles au Cachemire. Alors que les deux pays sont dotés de l’arme nucléaire et se sont affrontés au cours de trois guerres (octobre 1947décembre 1948, août-septembre 1965 et décembre 1971), que le Cachemire est l’une des régions les plus militarisées au monde et qu’elle demeure l’épicentre du conflit, les initiatives culturelles, artistiques ou symboliques pour mettre en avant l’existence d’un dialogue entre les deux frères ennemis sont importantes.
LE POIDS DES SYMBOLES FACE À LA CRISE
À l’occasion de l’anniversaire de la partition, les habitants d’Amritsar (Inde) et de Lahore (Pakistan) ont été témoins d’une cérémonie coorganisée par les autorités indiennes et pakistanaises. Le 14 août 2017, au coucher du soleil, plusieurs milliers de personnes ont convergé de part et d’autre du poste frontalier. Les haut-parleurs de chaque pays dirigés vers le territoire voisin, les soldats indiens et pakistanais se sont prêtés à la mise en scène d’un affrontement patriotique aboutissant au salut de son rival. En novembre 2014, un attentat-suicide à ce même poste faisait 57 morts et une centaine de blessés, lors de la cérémonie quotidienne du baisser de drapeau, à Wagah. Cette action conjointe, toute symbolique soit-elle, apparaît comme un signe d’apaisement notable, alors que le processus de paix engagé en 2004 entre New Delhi et Islamabad concernant leurs différends frontaliers n’est toujours pas achevé.
NOTE
(1) Le travail de l’université Stanford est consultable sur : https://sheg.stanford.edu/india-partition