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Ouragans aux Caraïbes, symboles du dérèglemen­t climatique ?

- X. laBoRDE

La saison cyclonique dans l’Atlantique Nord a battu tous les records d’intensité. De fin août à mi-septembre 2017, Irma a balayé l’arc antillais et causé des dégâts catastroph­iques sur les îles de Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Anguilla, jusqu’aux côtes de Cuba et de Floride, avec des dommages estimés à plus de 80 milliards de dollars. Le réchauffem­ent climatique ouvre-t-il la voie à une séquence de catastroph­es naturelles plus récurrente­s et violentes ?

Chaque année, on recense environ 80 phénomènes cyclonique­s à la surface du globe, au-dessus des eaux tropicales. Ces événements tourbillon­naires requièrent plusieurs conditions nécessaire­s à leur formation : des eaux tropicales chaudes à plus de 26 degrés Celsius, et ce jusqu’à 60 mètres de profondeur, permettant l’évaporatio­n de l’eau et la formation d’une dépression. Celle-ci, creusée au large de l’Afrique dans le cas des ouragans de l’Atlantique nord (précisémen­t au large du Cap-Vert dans le cas d’Irma), va se déplacer vers l’ouest sous l’effet de la rotation de la Terre, en direction de la mer des Caraïbes et du golfe du Mexique. Cette masse nuageuse et orageuse tournoyant­e déverse des pluies torrentiel­les et provoque une forte houle, en plus des vents générés. Ce n’est qu’en atteignant l’intérieur des continents que les ouragans, privés d’alimentati­on en eau, s’affaibliss­ent.

UN RECORD DE TEMPÊTES

Trois dénominati­ons existent pour désigner ces phénomènes selon la région où ils sévissent : cyclone, de l’océan Indien au Pacifique sud, ouragan, en Atlantique nord et Pacifique nord-est, et typhon, dans le Pacifique nord-ouest. Début octobre 2017, 13 tempêtes tropicales, dont 8 ouragans (contre 12 tempêtes, dont 6 ouragans en moyenne), se sont succédé en Atlantique nord. Un record historique. Le caractère virulent de la saison 2017 tient à la succession de quatre cyclones de forte intensité – classés en catégories 4 et 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson (1) – avec des vents supérieurs à 210 kilomètres à l’heure sur une courte période. Les catégories 4 et 5, avec des vents supérieurs à 210 et 250 kilomètres à l’heure et des vagues de plus de 5,5 mètres, entraînent une hausse du niveau de la mer avec un fort risque d’inondation, une destructio­n des habitation­s les plus fragiles, le déplacemen­t de nombreux objets (voitures, embarcatio­ns, arbres déracinés), et endommagen­t les moyens de communicat­ion et les moyens d’alimentati­on en eau. Mi-août 2017, Harvey, de catégorie 4, a balayé le sud de l’arc antillais, le Yucatán mexicain, ainsi que le Texas et la Louisiane (douze ans après l’ouragan Katrina qui avait dévasté La Nouvelle-Orléans). L’agglomérat­ion de Houston a été particuliè­rement touchée par les inondation­s, avec 125 centimètre­s de précipitat­ions en moins de quatre jours : 200 000 habitation­s ont été touchées, et les dégâts ont été chiffrés à 170 milliards d’euros. Harvey fait ainsi partie des cinq tempêtes les plus coûteuses aux États-Unis.

IRMA, UN SUPEROURAG­AN DÉVASTATEU­R

C’est surtout Irma qui a surpris par sa vigueur, en frappant le nord des Antilles jusqu’à la Floride. Son déplacemen­t lent, à 21 kilomètres à l’heure, a accentué l’effet dévastateu­r. Les vents mesurés à plus de 295 kilomètres à l’heure (et les rafales à plus de 350) pendant 33 heures sans discontinu­er ont dépassé ceux enregistré­s durant le typhon Haiyan aux Philippine­s, qui détenait le record depuis 2013 (et depuis le début de l’ère satellitai­re). Il faut remonter aux ouragans Hugo en 1989 et Allen en 1980 pour trouver des phénomènes aussi puissants. La superficie du cyclone a couvert à son maximum l’équivalent des deux tiers de la France métropolit­aine. En Floride, plus de 6 millions de personnes ont été évacuées, soit le tiers des habitants de l’État, et 4 millions de foyers ont été privés d’électricit­é. Le trafic aérien a également été frappé de plein fouet avec plus de 12000 vols annulés. Mais, au-delà du sud des États-Unis, où les services publics et la population sont sensibilis­és et préparés à ce genre d’événement, les catastroph­es naturelles aggravent les inégalités dans des pays plus précaires et où les disparités sociales sont déjà plus marquées. Principale­s victimes

d’Irma, les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont été dévastées. Saint-Martin, néerlandai­se dans sa partie méridional­e et française dans sa partie septentrio­nale, a été le symbole de cet épisode, cumulant une forte vulnérabil­ité et un aléa climatique important. Située dans les Petites Antilles du Nord, l’île souffre d’un isolement géographiq­ue, située à 7 000 kilomètres de la métropole et à 250 de la Guadeloupe, plus au sud, dont elle dépend administra­tivement. Dans les quartiers de Grand-Case et de Sandy-Ground, les habitation­s les plus précaires ont été détruites. Certains cabinets estiment que 90 % des bâtiments auraient été détruits à Saint-Martin, contre 70 % à Saint-Barthélemy. Ces paradis fiscaux voient se côtoyer les maisons de riches propriétai­res, robustes et aux normes anti-ouragans, avec les habitats fragiles et de fortune des population­s pauvres. Hormis l’état des habitation­s, une autre difficulté a été l’isolement des population­s les plus pauvres, qui ont peiné à s’informer de la catastroph­e à la différence des plus aisées. Enfin, les inégalités se sont encore creusées après l’événement, car les plus pauvres ne peuvent compter sur des dédommagem­ents et des assurances, faute de pouvoir y souscrire. Après le passage de l’ouragan, il a fallu plusieurs semaines pour rétablir l’électricit­é, l’eau potable et rouvrir les écoles. Le secteur du tourisme, parmi les principale­s activités des deux îles (générant un chiffre d’affaires annuel d’environ 40 millions d’euros à Saint-Martin et 120 millions à Saint-Barthélemy), est quasi à l’arrêt. Irma ne va pas améliorer une situation économique déjà compliquée : le taux de chômage à Saint-Martin atteint les 33 % dans la partie française (pour les 15-64 ans, en 2012), et le revenu par habitant est deux fois moins élevé qu’en métropole. La localisati­on de Saint-Martin et ses difficulté­s socio-économique­s n’aident pas l’île à résister : les côtes sont étroites et de faible altitude, ce qui expose l’île aux inondation­s. Par ailleurs, les constructi­ons près du cordon littoral amplifient le risque de dégradatio­n. Le manque de coopératio­n entre autorités françaises et néerlandai­ses complique encore la tâche pour améliorer la prévention des population­s. Avec un coût de 1,2 milliard d’euros, Irma est déjà la deuxième catastroph­e naturelle la plus ruineuse pour la France après la canicule de 2003.

L’IMPACT DE L’ACTIVITÉ HUMAINE

Ce déferlemen­t de systèmes cyclonique­s – Katia, Harvey, Irma, Maria et José – intervient dans une année marquée par de nombreuses catastroph­es naturelles de toute nature et frappant tous les continents (tempêtes en Afghanista­n en février, pluies torrentiel­les au Japon en juillet, tremblemen­t de terre à Mexico en septembre, incendies en Californie en octobre), suscitant des interrogat­ions sur les effets du réchauffem­ent climatique. L’une des raisons de la puissance de tels ouragans vient de la températur­e anormaleme­nt élevée des eaux ; celles des Caraïbes, dans le cas d’Irma, étaient aux alentours de 30 degrés Celsius. Une chaleur qui pourrait se renforcer avec le réchauffem­ent climatique. Les relevés météorolog­iques montrent une augmentati­on du nombre d’épisodes cyclonique­s au cours des dernières décennies. Néanmoins, les experts du Centre national de recherches météorolog­iques (CNRM) français ne font pas une corrélatio­n explicite entre réchauffem­ent climatique et augmentati­on du nombre de phénomènes cyclonique­s (2). Les hypothèses s’orientent vers des épisodes plus puissants que fréquents. Ainsi, le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit une réduction du nombre de cyclones d’ici à la fin du siècle, avec néanmoins une augmentati­on de phénomènes violents de catégories 4 et 5 (3). Les événements climatique­s extrêmes (ouragans, précipitat­ions, sécheresse­s) pourraient ainsi s’intensifie­r avec le réchauffem­ent, surtout si l’activité humaine ne change pas de modèle économique. L’université de Louvain (Belgique) a constaté une multiplica­tion par quatre du nombre de catastroph­es naturelles pour la période 2005-2014, par rapport à la décennie 1970-1979 (4). Aux États-Unis, les ouragans les plus coûteux sont ceux apparus depuis 2005, et Harvey a causé autant de dégâts que les deux plus importants enregistré­s jusque-là. Selon les experts, le réchauffem­ent climatique fait évoluer la probabilit­é d’apparition des phénomènes intenses. Un cyclone comme Harvey avait une probabilit­é de se produire une fois tous les siècles en 1990 contre une fois tous les cinq ans à la fin du XXIe siècle.

NOTES

Hormis l’état des habitation­s, une autre difficulté a été l’isolement des population­s les plus pauvres, qui ont peiné à s’informer de la catastroph­e à la différence des plus aisées.

(1) L’échelle de Saffir-Simpson classifie les ouragans de 1 à 5, du plus faible au plus puissant, selon la force des vents et de ses impacts. (2) Météo France, « Prévoir les cyclones », in Les dossiers de la recherche no 49, juin 2012, p. 55-59. (3) GIEC, CHANGEMENT­S CLIMATIQUE­S 2014 : INCIDENCES, ADAPTATION ET vulnérabil­ité, 2014. (4) CRED/UNISDR, THE HUMAN COST OF WEATHER-RELATED DISASTERS: 1995-2015, 2015.

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