Cartes de l’heure d’été : quand le monde joue avec le temps
La France est passée à l’heure d’été dans la nuit du 24 au 25 mars 2018, comme tous les ans depuis 1976. Mais elle n’est pas la seule ! Dans le monde, en 2018, près de 75 États avancent et reculent leurs horloges deux fois par an. La géographie de cette pratique révèle d’importantes différences dans le rapport au temps et à l’énergie.
Ce sont nos voisins allemands qui, les premiers, ont mis en oeuvre le changement d’heure, il y a plus d’un siècle. Le 30 avril 1916, en plein conflit mondial, ils choisissent d’avancer leurs montres, simultanément avec leur allié autrichien, dans l’objectif de réduire leur consommation d’énergie et de faire ainsi participer la nation entière à l’effort de guerre. Ils sont suivis quelques semaines plus tard par les Britanniques (21 mai 1916), les Irlandais (4 juin), les Français (14 juin), tous repassant à l’heure d’hiver le 1er octobre. Les Russes les imitent en 1917 (avant d’y renoncer dans les années 1930) et les Américains à partir de mars 1918, à l’exception des États du Michigan, de l’Alaska et d’Hawaii. L’idée reviendrait d’ailleurs à Benjamin Franklin (1706-1790), père fondateur des États-Unis, qui aurait recommandé aux Parisiens, alors qu’il était ambassadeur en France (1778-1785), de se lever plus tôt pour économiser leurs chandelles.
UNE PRATIQUE ANCIENNE
Plus sérieusement, les premiers à avoir vraiment expérimenté le changement d’heure sont les habitants de Port Arthur (aujourd’hui Thunder Bay), au Canada, dans la province de l’Ontario dès 1908, suivis à partir de 1914 par d’autres Canadiens de Regina (Saskatchewan), de Winnipeg et de Brandon (Manitoba). Toutefois, ce système d’économie d’énergie est vite abandonné. En France, il déplaît aux campagnes, qui s’en débarrassent dès 1920, avant qu’un décret ne l’aménage officiellement en 1923. L’Hexagone, qui est comme l’Angleterre traversé par le méridien de Greenwich, adopte le Greenwich Mean Time (GMT) comme heure de référence et l’heure d’été entre fin mars et début octobre. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le changement d’heure est imposé par les Allemands pour des raisons économiques et surtout politiques aux pays qu’ils occupent : Pologne, Danemark, Pays-Bas, puis France. Toute l’Europe passe bientôt à l’heure allemande, été comme hiver ! Aussi, après la guerre, le principe d’une heure d’été est-il vite abandonné afin de se « libérer » des pratiques de l’ennemi nazi. Sauf que la France, qui était à l’heure d’été lors de l’invasion allemande en 1940, soit GMT+1, et avait donc adopté GMT+2 pendant l’Occupation, n’est jamais repassée à son heure d’avant-guerre (GMT). Seule une heure a été retranchée à la Libération en 1944. C’est le premier choc pétrolier de 1973 qui pousse de nouveau la France et de nombreux États européens à réintroduire l’heure d’été à partir de 1976. En 2018, ce sont 73 pays qui sont concernés par le
La carte étant une représentation de l’espace, elle peut par conséquent prendre des formes différentes selon l’origine, la culture du cartographe et le pays représenté. « Insolito » se penche sur ces travaux d’ailleurs, principalement trouvés sur Internet. Le changement d’heure invite à une réflexion sur le rapport au temps.
changement d’heure estival (cf. carte 1). Ils sont avant tout situés dans l’hémisphère nord (Europe, Amérique du Nord) ainsi qu’au Moyen-Orient (Israël, Jordanie, Liban, Syrie, Turquie et Iran). En Afrique, seuls la Namibie et le Maroc l’appliquent. Et dans le reste de l’hémisphère sud, on note le Chili, le Paraguay, l’Uruguay et la NouvelleZélande. Certains États ne l’adoptent pas à l’échelle nationale, tels le Mexique, le Brésil et l’Australie. Aux États-Unis et au Canada (cf. cartes 2), l’Arizona, Hawaii et la Saskatchewan sont également réfractaires au changement d’heure et font exception. L’Arizona fait d’ailleurs doublement exception, car si l’État reste toute l’année à la même heure, ce n’est pas le cas de son quart nord-est où vivent les Navajos qui, eux, changent d’heure l’été sur leur territoire, comme l’Utah et le Nouveau-Mexique voisins. Certains pays l’ont expérimenté pour une durée plus ou moins longue avant de l’abandonner, en raison de ses conséquences sur le rythme biologique et de son faible impact en matière d’économie d’énergie, l’allongement de la durée du jour contribuant dans les pays les plus chauds à un usage accru du climatiseur. On peut citer parmi les États qui ne l’appliquent plus : l’Inde, la Chine et la Russie. Après avoir eu ce système pendant plus de trois décennies (1981-2014), cette dernière est repassée en 2014 à l’heure d’hiver annuelle afin de réduire au maximum le décalage horaire avec l’Europe occidentale. De 2011 à 2014, elle avait testé l’heure d’été à l’année, qui s’était révélée inadaptée dans les régions les plus septentrionales, occasionnant du stress et de nombreux accidents routiers en raison de la longue obscurité matinale.
ET L’HEURE SOLAIRE DANS TOUT ÇA ?
La différence entre l’heure standard d’un État et celle du soleil montre que l’heure appliquée sur un territoire reste avant tout le fait d’un choix politique, celui de l’unité, afin de faciliter le quotidien des habitants, en particulier pour les transports ! Sur la carte 3, on constate toutefois que le décalage entre l’heure réelle (lumière du soleil) et l’heure légale est parfois de 2 heures en plus (bleu foncé) ou en moins (rouge foncé). Dans le cas de la Chine, elle montre que l’heure légale de tout le pays est celle de Pékin, en dépit de sa superficie et de trois fuseaux horaires, ce qui affecte les habitants de l’ouest (Xinjiang, Tibet) dans leur quotidien. Quant à l’Espagne, elle apparaît en décalage avec l’heure solaire : en cause, la décision de Francisco Franco (18921975) de passer à l’heure allemande en 1942, alors que le pays est situé sur le méridien de Greenwich. Un décalage qui nuirait selon certains politiques à l’économie nationale et à la santé d’Espagnols ne dormant pas assez. À quand le retour à l’heure anglaise à Madrid ? F.