Mémoire en Pologne : que reste-t-il du nazisme ?
Si ce titre en forme de question peut paraître incongru, il est important de rappeler que le nazisme a fortement marqué la Pologne, non pas comme idéologie, mais comme force occupante de son territoire. C’est là que les camps de concentration et d’extermi
Le 6 février 2018, le président de Pologne, Andrzej Duda (depuis 2015), a promulgué la loi votée deux semaines plus tôt par la Diète et validée par le Sénat interdisant d’attribuer à la nation ou à l’État polonais des crimes nazis commis durant la Seconde Guerre mondiale. Dans un élan de nationalisme guidé par l’alliance conservatrice au pouvoir – Droit et justice (PiS) et Pologne solidaire (SP) –, le gouvernement réfute toute responsabilité directe ou indirecte dans la concentration et l’extermination des juifs. En d’autres termes, il n’y eut que des héros polonais durant l’occupation du pays par le IIIe Reich (1939-1945).
UNE NATION OCCUPÉE
Parler de « camps de la mort polonais » est erroné. Les sites édifiés en Pologne (cf. carte 2) – dont les plus connus, comme Auschwitz (cf. carte 1), Treblinka ou Sobibor – ont été le fait des Allemands. Dès septembre 1939, lorsque les nazis arrivent, ils gèrent eux-mêmes les affaires intérieures du pays, à la différence de la France, par exemple, où ils déléguaient au régime de Vichy (1940-1944). Outre l’installation de colonies de populations allemandes, les nazis mettent en place une politique de persécution de tout ce qui était polonais, de la culture à la religion. Catholiques et juifs sont pourchassés. Le gouvernement polonais s’exile d’abord à Angers, puis à Londres en juin 1940, et Berlin envoie un gouverneur général dépendant directement d’Adolf Hitler (1889-1945), en la personne de Hans Frank (1900-1946). Il ordonne d’abord le placement des juifs dans des ghettos dès l’automne 1939, avant que l’élimination de tout juif ne soit lancée en 1942. Le personnel des infrastructures est en majorité envoyé d’Allemagne, tandis que la Pologne devient le réceptacle, le lieu du génocide. L’un des épicentres de cette destruction est Auschwitz, accueillant au fil de la guerre des convois de toute l’Europe. Créé en avril 1940, il occupe une superficie initiale de 40 kilomètres carrés, puis est agrandi. Les premiers assassinats par gaz commencent en février 1942 ; le camp principal, Auschwitz I, est transformé en crématoire puis en chambre à gaz. Pour les aider à la « tâche », les nazis recrutent des détenus juifs (Sonderkommando), chargés de s’occuper des cadavres. Il n’est donc pas étonnant que des groupes de résistance apparaissent, telles l’Armée de l’intérieur et la Commission d’aide aux juifs (Zegota). Au début de la guerre, ces derniers
représentaient environ 10% des 33 millions de Polonais ; à la fin, il en restait à peine 250000. L’immense majorité disparut donc dans les camps de la mort. Les réseaux d’entraide permirent d’en cacher ou d’en exfiltrer. Ainsi, Zegota en aurait sauvé environ 100 000. Sur les quelque 26 000 « Justes parmi les nations », titre décerné par le centre de mémoire de l’Holocauste Yad Vashem, en Israël, 6706 sont Polonais, soit la nationalité la plus représentée. Il ne faut pas oublier les résistances juives à proprement parler, comme la présence de partisans dans les forêts de Wisnicz, dans le sud, et de Parczew, dans l’est. Des révoltes armées ont eu lieu dans les camps, comme à Treblinka, le 2 août 1943.
UNE RÉVISION DE L’HISTOIRE
Varsovie entend magnifier cette mémoire. Mais, avec la nouvelle loi, l’exécutif absout toute responsabilité polonaise dans l’oeuvre de destruction des nazis. Par exemple, le gouvernement célèbre la Brigade de la province de Sainte-Croix, connue pour avoir collaboré avec les nazis dans la chasse aux juifs. Il nie tout massacre de populations juives par des Polonais, alors que cela est arrivé. En juillet 1941, des civils de la ville de Jedwabne, dans le nord-est du pays, participent aux massacres de 1600 juifs ; certains sont même jugés après la guerre. L’occupation a envenimé les relations entre communautés. Les historiens rappellent que la loi votée en 2018 est aussi le reflet d’un passé antisémite non avoué. En 1947, Auschwitz est un « mémorial dédié au martyre de la nation polonaise et des autres nations » ; le terme « juif » n’est pas mentionné. Cette pratique d’omission est suivie aussi bien par les communistes que par les milieux conservateurs catholiques. Par ailleurs, le gouvernement dirigé par le PiS remet en cause le processus de mémoire en cours depuis quelques années, illustré par l’ouverture, en 2013, du Musée de l’histoire des juifs polonais à Varsovie, salué en Israël. L’exécutif ne présente désormais la Pologne qu’en nation martyre et héroïque. Selon la nouvelle loi, toute personne disant ou laissant entendre que le pays a eu une part de responsabilité dans la Shoah risque trois ans de prison. Alors que Varsovie et Tel-Aviv sont proches, la situation a généré des tensions diplomatiques, et Israël dénonce un révisionnisme d’État ; pourtant, témoignages de rescapés ou de descendants de victimes mettent en exergue la responsabilité directe de Polonais dans des crimes pendant la guerre, mais aussi après, lors des retours de réfugiés. De son côté, le centre Yad Vashem dénonce un effacement des vérités historiques, appelant à continuer à faire des recherches pour comprendre les complexités de l’histoire.