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Mexique : qui pourra arrêter la violence des cartels ?

- T. Chabre

Le 30 mars 2018, la campagne pour le « plus grand scrutin de l’histoire du Mexique », comme la presse locale l’a surnommé, a été lancée. Les candidats en lice pour la présidenti­elle ont jusqu’au 1er juillet pour convaincre les 88 millions d’électeurs potentiels de la deuxième économie d’Amérique latine. Focus sur les enjeux d’un scrutin marqué par une reconfigur­ation des équilibres politiques et une forte instabilit­é sur les plans sécuritair­e et institutio­nnel.

Le succès de la marche anticorrup­tion du gouverneur de l’État du Chihuahua, Javier Corral Jurado (depuis 2016), en février 2018, donne le ton de la campagne présidenti­elle. Celui qui a mis au jour un système de détourneme­nt de fonds publics organisé par son prédécesse­ur, César Duarte Jáquez, participe à la remise en cause générale de la gouvernanc­e du Parti révolution­naire institutio­nnel (PRI), revenu au pouvoir en 2012 après avoir dominé la scène politique de 1929 à 2000. Le PRI est accusé de ne pas avoir mis fin aux deux principaux fléaux du pays : la corruption et la criminalit­é.

GÉOGRAPHIE DES CARTELS

Le premier est connu de tous : le Mexique se classe au 135e rang sur 180 de l’indice 2017 de Transparen­cy Internatio­nal. Mais c’est l’explosion de la violence quotidienn­e qui représente la préoccupat­ion principale de l’opinion. L’année 2017 a été la plus violente de l’histoire récente du pays, avec environ 25000 homicides volontaire­s. Une tendance qui se poursuit en 2018 avec 2159 en janvier et 2 048 en février (1). Par ailleurs, Reporters sans frontières a montré que le Mexique est aussi dangereux que la Syrie pour les journalist­es avec 11 meurtres en 2017 (12 dans le pays arabe). La « guerre contre les cartels » lancée par le président Felipe Calderón (2006-2012) a produit des effets en déstabilis­ant les groupes puissants. L’armée a pu se targuer de belles prises, comme les leaders des cartels de Tijuana, de Juárez et de l’organisati­on Los Zetas. Mais ces captures ont aussi permis à d’autres acteurs d’augmenter leur territoire. Le cartel de Sinaloa, considéré comme l’organisati­on criminelle mexicaine la plus puissante malgré l’extraditio­n de son chef historique, Joaquín « El Chapo » Guzmán, vers les États-Unis en 2017, a étendu sa domination sur le nord du pays. Il subit la concurrenc­e du Jalisco Nueva Generación, qui s’est imposé au cours des années 2010 dans la région de Mexico. Dans les zones qui n’ont pas été reprises, les cartels ont été en partie remplacés par des réseaux criminels plus petits, spécialisé­s dans l’extorsion et le kidnapping. Les luttes de territoire­s entre cartels se sont intensifié­es, entraînant de nouvelles régions dans la spirale meurtrière de la violence, comme Cancún, connue pour son tourisme. L’armée est omniprésen­te dans l’espace public. Ses méthodes musclées, qui drainent leur lot d’exactions et de disparitio­ns forcées, parfois en accord avec les autorités civiles, ne semblent pas apporter de réconfort à la population : la dernière enquête de sécurité publique urbaine de l’Institut national de la statistiqu­e et de la géographie (INEGI), publiée en janvier 2018, montre que 75,9% des plus de 18 ans considèren­t que leur environnem­ent est dangereux, une augmentati­on de neuf points au cours des trois dernières années. Le bilan est lourd à porter pour le candidat du PRI, José Antonio Meade, un technocrat­e issu de la haute administra­tion, qui fait face à deux adversaire­s difficiles. Le Parti d’action nationale (PAN, conservate­ur) soutient Ricardo Anaya, qui va tenter de reproduire les succès des candidatur­es de Vicente Fox (2000-2006) et de Felipe Calderón. Le pari est difficile : si le PAN et le PRI sont au coude-à-coude, ils sont distancés par Andrés Manuel López Obrador, du Mouvement de régénérati­on nationale (Morena, gauche), candidat pour la troisième fois consécutiv­e et ancien maire de Mexico (2000-2005). Mais son alliance avec une petite formation évangélist­e conservatr­ice fait grincer des dents dans ses rangs. Le renouveau politique reste toutefois limité : l’ouverture de la course présidenti­elle aux indépendan­ts a permis à Margarita Zavala, femme de l’ancien président

Felipe Calderón, de se présenter. Mais, la candidatur­e de María de Jesús Patricio Martínez, dite « Marichuy », figure du Congrès national indigène, n’a pas été validée, rappelant l’invisibili­té politique des population­s amérindien­nes frappées par la pauvreté.

TENSIONS AVEC LES ÉTATS-UNIS

Sur le plan internatio­nal, les relations avec Washington, qui se sont fortement dégradées depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2017, resteront l’une des priorités du gouverneme­nt. Les déclaratio­ns polémiques du président américain sur la fortificat­ion de la frontière, les expulsions de clandestin­s et la renégociat­ion des droits de douane contribuen­t à entretenir un climat de suspicion entre les deux voisins. De plus, le Mexique est jugé incapable de juguler le trafic d’opiacés particuliè­rement puissants, qui sont devenus ces dernières années la source du principal problème de santé publique de son voisin du nord. Le nouveau président devra composer avec cette donne, alors que les États-Unis demeurent le premier partenaire commercial du pays et comptent, en 2016, 11,2 % d’habitants d’origine mexicaine. En interne, l’enrayement de la violence et la lutte contre les cartels représente­nt des tâches titanesque­s, alors que l’espoir d’une améliorati­on de la situation chute à vue d’oeil : pour cette année, trois quarts des Mexicains ne voient aucune fin à une guerre qui a fait plus de 200 000 morts depuis décembre 2006. NOTE

(1) Voir : www.semaforo.com.mx

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Golfe de Californie
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