La Libye post-Kadhafi : terre de tous les trafics
Divisée entre gouvernements rivaux et milices aux allégeances changeantes depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est le théâtre de multiples trafics, allant de la traite d’êtres humains jusqu’à la contrebande de pétrole. Si le chaos politiq
La diffusion par CNN le 17 novembre 2017 d’un reportage montrant la vente de migrants subsahariens sur un marché aux esclaves en Libye a focalisé l’attention des médias internationaux sur les trafics sévissant dans le pays. Cigarettes, médicaments, hydrocarbures, antiquités, armes…, la liste des produits qui transitent illégalement par la Libye est longue, profitant de la fragmentation politique qui y règne depuis la fin du régime de Mouammar Kadhafi (1969-2011). Le gouvernement d’union nationale (GNA), appuyé par l’ONU, et l’Armée nationale libyenne (ANL) se partagent le pays avec le soutien d’une partie d’environ 1 700 groupes armés.
LE RÈGNE DES MILICES
Sur le terrain, la maîtrise effective des villes et des routes commerciales est changeante. Si le pouvoir du GNA, basé à Tripoli, s’étend sur une grande partie ouest de la Libye et que l’ANL, implantée à Benghazi, revendique l’est, ce sont les milices qui contrôlent l’espace. Le sud reste dominé par des groupes touaregs et toubous ainsi que par des groupes ayant fait allégeance à l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech) ou à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les trafics, la protection armée des trafiquants ou le prélèvement de droits de passage constituent un moyen de subsistance central pour ces multiples acteurs. Le chaos politique, la proximité avec les côtes européennes et la porosité de près de 5 000 kilomètres de frontières tracées dans le désert ne sont pas les uniques moteurs de ces trafics. Les mouvements migratoires transsahariens sont profondément ancrés dans l’histoire libyenne. Afin d’assurer le développement de son industrie pétrolière, Mouammar Kadhafi avait encouragé les migrations de travailleurs d’Afrique de l’Ouest dans les années 1990, lui permettant également de créditer son image de leader panafricain. Avant le conflit, on dénombrait près de 2 millions de travailleurs étrangers en Libye, bien souvent dépourvus de visa, pour une population totale de 6,4 millions d’habitants. Constatant l’externalisation par l’Union européenne (UE) du contrôle de ses frontières, Mouammar Kadhafi s’est servi de ces populations précaires, enfermées dans des camps, pour se présenter comme l’unique acteur capable de réguler l’immigration et obtenir sa réhabilitation sur la scène internationale, moyennant finance. Depuis la chute du régime, nombre de ces travailleurs tentent de fuir la Libye pour rejoindre l’Europe.
DES ROUTES DE TRAFICS ANCIENNES
Les flux de contrebande qui traversent la Libye s’inscrivent, eux aussi, dans des temps longs. La nationalisation de l’économie libyenne à la fin des années 1970 a alimenté le commerce illicite de produits subventionnés, tels que l’huile, le riz, le concentré de tomates et le lait en poudre, revendus au Niger, au Tchad ainsi que dans le sud de la Tunisie. Ce commerce organisé par certaines tribus de la région du Fezzan dans le sud-ouest du pays était toléré par Mouammar Kadhafi afin de s’assurer leur allégeance. Parallèlement, les réseaux de contrebande de cigarettes développés à partir des années 1980 pour contourner l’interdiction d’importation ont posé les bases des actuels trafics de stupéfiants. La Libye sert de plaque tournante pour les cigarettes de contrebande importées principalement des zones franches des Émirats arabes unis et redistribuées vers le Maroc. Les données manquent pour évaluer le rôle de la route libyenne dans le trafic de drogue, alors que la consommation de stupéfiants a explosé dans le pays depuis 2011. Cette recrudescence dynamise la contrebande de médicaments vers la Libye, où ils sont consommés comme psychotropes. Les stocks d’armes accumulés par Mouammar Kadhafi ont alimenté le trafic international les deux premières années suivant sa chute, équipant les mouvements indépendantistes touaregs et les groupes djihadistes dans le nord du Mali. Cependant, l’envenimement de la
guerre civile a augmenté la demande interne, forçant les milices à importer des armes. En octobre 2016, la police italienne a stoppé un conteneur d’armes automatiques en provenance d’Europe de l’Est et à destination de la Libye, vendues par la mafia calabraise en échange d’antiquités acheminées depuis la ville de Syrte. La mafia italienne a également infiltré la contrebande de pétrole libyen (1). Près de la moitié de la production échapperait à la compagnie pétrolière nationale pour être vendue sur le marché noir par les milices contrôlant les raffineries et les ports. Le pétrole raffiné est transbordé en mer sur des tankers depuis de petits bateaux de pêche, avant d’être écoulé à Malte, en Grèce, en Italie et à Chypre. Toutefois, si ce trafic impressionne par la logistique mise en oeuvre, la majorité du carburant détourné est consommée en Libye par les groupes armés ou prend la direction de la Tunisie. L’action de l’UE pour résorber ces trafics semble dérisoire. Des tractations, longtemps restées secrètes, ont été menées avec des représentants de clans toubous, touaregs et arabes du sud du pays tandis que l’Italie signait en avril 2017 un accord avec le GNA afin de former et d’équiper une nouvelle garde frontalière.
NOTE
(1) Javier Martín, « Libye : la contrebande aux origines du chaos (1/2) », in Moyen-Orient no 38, avril-juin 2018, p. 70-75.