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Les semences, un marché comme un autre ?

- M. Costil

Les semences représente­nt depuis un siècle un marché important, protégé par des brevets et certificat­s. Cependant, des agriculteu­rs cherchent à préserver des modes ancestraux de sélection et d’échange de graines, et donc les possibilit­és qu’offre la biodiversi­té de s’adapter aux différents territoire­s et au changement climatique.

La fusion annoncée par l’Union européenne (UE) en mars 2018 des deux géants de l’agro-industrie Monsanto et Bayer a fait grand bruit, faisant craindre une concentrat­ion toujours plus grande des industriel­s des semences et pesticides. L’enjeu est de taille puisque le marché mondial des semences, estimé à 58 milliards de dollars en 2016, a triplé depuis les années 2000, et qu’il est déjà pour moitié contrôlé par trois grandes compagnies (Monsanto, DowDuPont et Syngenta, cf. document 2). La commercial­isation à grande échelle des semences est récente. Jusqu’à la moitié du XXe siècle, les agriculteu­rs faisaient eux-mêmes un travail de sélection d’année en année pour conserver les meilleures graines et les ressemer. Puis, on a cherché à améliorer génétiquem­ent les semences et à protéger la propriété intellectu­elle des industriel­s à travers des brevets ou les certificat­s d’obtention végétale (COV). Ces derniers reconnaiss­ent l’entreprise comme détentrice exclusive des semences d’une qualité particuliè­re, ce qui implique que les agriculteu­rs rachètent les graines d’une année sur l’autre, notamment celles génétiquem­ent modifiées. Les grands semenciers sont présents sur le marché de l’agrochimie, ce qui leur permet de créer des forfaits semences, engrais et pesticides, d’autant plus que ces semences ont été sélectionn­ées pour leurs capacités à utiliser au mieux ces produits. Mais cette concentrat­ion du marché n’est pas sans conséquenc­e.

UNE SITUATION CONFLICTUE­LLE, UNE BIODIVERSI­TÉ MENACÉE

En France, alors que les surfaces augmentent, le monde agricole se tourne vers les semences certifiées. Le « triage à la ferme » des récoltes, qui permet de sélectionn­er les meilleures graines, est assimilé à de la contrefaço­n, entraînant des conflits. Par ailleurs, les variétés non inscrites au catalogue officiel (inscriptio­n qui a un coût) ne peuvent plus être vendues ou échangées en vue d’une exploitati­on commercial­e, ce qui restreint la biodiversi­té des céréales et légumes mis en vente. Le marché est en forte expansion, avec un taux de croissance annuel moyen de 7% depuis 2009, et une estimation de 6% pour les

cinq prochaines années. Il devrait peser 86 milliards de dollars en 2022. L’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine représente­nt des régions à conquérir pour l’agro-industrie puisqu’en 2015 entre 80 et 90% des semences étaient paysannes en Afrique et 70 à 80 % en Asie et Amérique latine. Les profession­nels du secteur s’appliquent à pénétrer ces marchés, dans le cadre du développem­ent des cultures à haut rendement, comme lors de la « révolution verte » en Inde dans les années 1960, puis avec les règles commercial­es d’échange. L’adhésion à l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) et la signature de traités de libre-échange avec les États-Unis ou l’UE sont assorties de l’obligation d’adopter un système de certificat­ion des semences et un régime de propriété intellectu­elle sur les plantes. Ces systèmes incitent les gouverneme­nts à criminalis­er la vente des semences paysannes non certifiées, ce qui participe à la diffusion des graines industriel­les. Or ces dernières, si elles sont parfois plus rentables associées aux engrais et pesticides, rendent les agriculteu­rs dépendants des grands groupes et vulnérable­s aux hausses de prix. Le développem­ent des semences agricoles pose paradoxale­ment un problème environnem­ental. En 2010, l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO) estimait à 75 % la perte de biodiversi­té cultivée entre 1900 et 2000. Mais le grand nombre de variétés représente une richesse importante et permet de préserver des capacités d’adaptation aux différents territoire­s et aux changement­s climatique­s en faisant appel à la diversité des semences (dont certaines sont porteuses de gènes de résistance à des maladies) sans forcément avoir recours à des intrants chimiques.

UNE SOCIÉTÉ CIVILE RÉSISTANTE

De nombreuses mobilisati­ons ont émergé pour lutter contre la privatisat­ion des semences et pour préserver cette biodiversi­té. La figure la plus emblématiq­ue est certaineme­nt la militante écologiste indienne Vandana Shiva, qui se bat pour la conservati­on de la biodiversi­té et la protection des droits des paysans face aux semenciers industriel­s. Elle a ainsi créé une ferme biologique qui collecte des semences, en assure la préservati­on et le renouvelle­ment, et a aidé à la création de centaines de banques de semences en Inde et dans le monde. En Colombie, les agriculteu­rs ont mené une grève générale en 2013 après s’être vu interdire de vendre des semences conservées à la ferme ou des semences indigènes non officielle­ment enregistré­es. En Zambie, début 2000, des organisati­ons locales ont convaincu le gouverneme­nt de prohiber l’entrée du maïs génétiquem­ent modifié, et le pays s’est tourné vers des cultures locales résistant mieux au stress hydrique, comme le manioc. En Allemagne, en avril 2016, une ONG a mis en circulatio­n des semences en open source. Ces projets cherchent à préserver la biodiversi­té et un « droit aux semences » pour les agriculteu­rs.

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