Alerte planétaire sur le niveau des eaux océaniques
La hausse du niveau des océans s’accélère. Cette élévation pourrait atteindre plus de 60 centimètres d’ici à 2100 et jusqu’à 1,2 mètre en 2300, selon une étude parue en février 2018 (1). Le rythme de la hausse pourrait également tripler pour atteindre 10 millimètres supplémentaires chaque année avant la fin du siècle, selon des données satellites de la NASA.
C’est un fait confirmé par de nombreuses études scientifiques depuis plusieurs années. Le niveau des eaux océaniques augmente et la dynamique s’est particulièrement accrue au cours du siècle dernier (cf. cartes 3 et 4 p. 62). Ainsi, depuis le début du XXe siècle, le niveau moyen des mers et des océans de la planète s’est élevé d’environ 14 centimètres. Pis, des informations collectées par des satellites de la NASA au cours des vingt-cinq dernières années ont démontré que l’élévation moyenne du niveau des mers avait atteint plus de 7 centimètres lors de cette période d’étude, soit la moitié de l’augmentation constatée sur le siècle dernier. Ces données confirment ainsi ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU avait déjà annoncé en 2014, estimant alors que ce processus allait perdurer dans les prochaines décennies et sans doute s’aggraver. Car, si le rythme de la hausse annuelle du niveau des océans est d’environ 3 millimètres par an actuellement, il pourrait tripler pour atteindre 10 millimètres supplémentaires chaque année d’ici à 2100, c’est-à-dire que le niveau moyen global des océans devrait augmenter de 66 centimètres avant la fin du XXIe siècle. D’ici à 2300, les scientifiques estiment que ce niveau montera de 0,7 à 1,2 mètre, et ce, même si l’accord de Paris sur le climat conclu en 2015, qui prévoit la fin des combustibles fossiles au cours de la seconde moitié du XXIe siècle, est respecté.
DES CONSÉQUENCES DRAMATIQUES
La cause semble évidente. Si le processus s’intègre dans un rythme pluriséculaire d’évolution climatique ayant entraîné des variations du niveau des océans à la hausse ou à la baisse, appelées transgressions ou régressions marines, l’élévation actuelle est indexée sur le réchauffement climatique accéléré que la planète connaît depuis la fin du XXe siècle en raison de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’accélération du changement climatique global et, par conséquent, l’augmentation de la température de la terre ont deux conséquences majeures. La première, c’est la fonte des masses englacées continentales appelées inlandsis, particulièrement
celles du Groenland et de l’Antarctique, qui représentent 98,5 % des glaces continentales planétaires. Si toutes les glaces du Groenland venaient à fondre, le niveau des océans augmenterait en moyenne de 7,2 mètres. La seconde, c’est la dilatation des masses d’eau océanique en raison de l’augmentation de leur température moyenne. Car l’eau « chaude » est moins dense que l’eau « froide ». Cette tendance accroît de manière considérable le risque de submersion qui fragilise l’ensemble des espaces littoraux, et plus précisément les littoraux bas et sableux (littoraux d’accumulation), les atolls, les zones humides des estuaires, etc. Ce processus est dramatique pour les régions côtières densément peuplées (cf. carte 2). Les habitants des grandes mégapoles littorales, tant dans les pays développés (Los Angeles, New York, Tokyo, Londres) que dans les pays émergents ou en développement (Shanghai, Mumbai, Jakarta, Dacca, Lagos), sont en situation de grande vulnérabilité face à la montée inexorable des eaux. Il en va de même pour certaines villes moins peuplées, mais au patrimoine dense comme Venise. On peut également penser aux régions deltaïques et densément peuplées d’Asie. C’est le cas par exemple du Bangladesh, où 85% du territoire est situé à moins de 5 mètres d’altitude et pour lequel les experts estiment que 15 % de la superficie devraient disparaître dans les prochaines décennies. Dans le cas précis où les populations côtières vivent essentiellement de pêche et d’agriculture, la submersion progressive des oekoumènes devrait les contraindre à la migration. À l’échelle de la planète, les migrations climatiques pourraient représenter plusieurs dizaines de millions d’individus (on parle de 200 millions à 250 millions de migrants climatiques d’ici à la fin du siècle) et engendreraient des troubles de nature géopolitique à différentes échelles. Le coût économique à venir pour faire face à ce problème serait là aussi considérable : construction d’infrastructures de protection (digues, surélévation des bâtiments sur pilotis, etc.), déplacements des habitats. Les régions littorales sont bien en sursis.
DES ÎLES TRÈS EXPOSÉES
Mais ce sont les territoires insulaires qui constituent les territoires les plus vulnérables et certaines îles sont vouées à disparaître. Car celles qu’on appelle « îles sentinelles » sont particulièrement concernées en raison de leur faible altitude. Ce sont notamment des petites îles coralliennes et des atolls, comme les Kiribati, les Marshall, les Tuvalu ou les Maldives. Dans le cas des Seychelles (cf. carte 1), archipel d’une centaine d’îles (dont une trentaine sont habitée par 95000 habitants en 2017) qui couvrent un territoire océanique de près de 1,4 million de kilomètres carrés dans l’océan Indien, 80 % d’entre elles sont menacées par la montée des eaux, car elles sont situées à moins d’un mètre d’altitude. Déjà, depuis plusieurs années, les conséquences sont significatives : infertilité des sols en raison de leur salinité et de leur acidité, diminution des réserves d’eau douce, érosion des littoraux, altération de la biodiversité marine et terrestre, submersions fréquentes lors de phénomènes climatiques violents (cyclones)…
Tout cela contraint les populations à se déplacer et à perdre leurs activités. Or sur une île, il est difficile de fuir et de s’éloigner du danger, contrairement aux espaces continentaux. Engagées dans une course contre la montre, les autorités des Maldives ont élaboré le concept d’« économie bleue », qui a pour objectif de faire de l’océan non pas une contrainte ou une menace pour l’avenir de l’archipel et de ses populations, mais un capital durable à préserver. Avec l’aide financière d’institutions internationales (Banque mondiale) et d’organisations non gouvernementales (The Nature Conservancy), les Seychelles ont échangé une partie de leur dette contre la préservation de leur milieu archipélagique. Le pays a créé le 22 février 2018 une gigantesque zone de protection marine qui couvre environ 210 000 kilomètres carrés d’eaux océaniques, soit 15% de la zone économique exclusive (ZEE) seychelloise où la pêche sera interdite (notamment le thon), la qualité des eaux garantie et où les récifs coralliens seront préservés. À terme, ce sont environ 400000 kilomètres carrés d’eaux océaniques qui devraient être protégées. Ce changement de paradigme intéresse également d’autres États confrontés aux mêmes problèmes et menacés par le changement climatique ; les Maldives, la Grenade ou la Jamaïque. Les petites îles se sont internationalement regroupées pour faire pression sur les grandes puissances économiques à l’occasion notamment de conférences sur le climat afin que les programmes de protection de leurs milieux soient financièrement pris en charge par les pays développés et plus importants émetteurs de gaz à effet de serre. Il semble toutefois que ces solutions locales ne soient guère suffisantes pour empêcher le processus inexorable d’élévation du niveau des océans et, par conséquent, la disparition à court ou moyen terme de ces espaces vulnérables.
NOTE
(1) M. Mengel, A. Nauels, J. Rogelj et C.-F. Schleussner, « Committed sea-level rise under the Paris Agreement and the legacy of delayed mitigation action », in Nature Communications, février 2018.