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Les Papous n’habitent pas le Croissant fertile

Carte de 1884 montrant l’île de NouvelleGu­inée, alors qu’elle est occupée et exploitée par les Néerlandai­s à l’ouest, les Allemands au nord-est et les Britanniqu­es au sud-est.

- par Christian Grataloup

La canne à sel est une plante méconnue. Coïx gigantea n’a guère été utilisée que par les Papous des hautes terres de Nouvelle-Guinée, les Baruya en particulie­r, dans une région montagneus­e où l’accès au sel marin était impossible. La figure du tsaimayé, le fabricant de sel, a été magnifiée dans La production des Grands Hommes, de Maurice Godelier (Fayard, 1982). Fait encore moins connu, ces régions montagneus­es néo-guinéennes ont été l’un des plus anciens foyers autochtone­s du Néolithiqu­e (entre 9000 et 3000 avant Jésus-Christ). Contrairem­ent à ce qu’on a pu croire au XIXe siècle, le Croissant fertile n’a pas eu le monopole de la domesticat­ion des plantes et des animaux. Bien d’autres régions connurent également, peu de millénaire­s après la fin de la dernière glaciation (il y a quelque 10 000 ans), la sédentaris­ation de l’habitat et la transforma­tion d’espèces végétales et animales pour les rendre aptes à vivre avec des sociétés humaines et leur permettre de les nourrir. Ce fut le cas en Amérique puisque, à l’arrivée des conquistad­ors espagnols dès la fin du XVe siècle, de vastes empires ou des fédération­s de cités tiraient leur alimentati­on de plantes cultivées, maïs et pommes de terre en particulie­r, sans qu’aucune diffusion issue du Proche-Orient puisse l’expliquer. Depuis un siècle, la liste des foyers de néolithisa­tion n’a cessé de s’allonger : Chine du Huang ho, Amérique andine, Afrique occidental­e, mais aussi sans doute Amazonie, Chine méridional­e, Amérique des plaines du nord, peut-être Thaïlande… Chaque lieu a transformé des plantes et des animaux naturellem­ent locaux, mais les processus de diffusion ont vite étendu certaines cultures, comme le blé dans l’Ancien Monde, de la Méditerran­ée à la Chine, ou le maïs des Andes aux Grands Lacs. En revanche, le foyer néo-guinéen, pourtant presque aussi ancien que le Croissant fertile, n’a guère contribué à la mise en commun des plantes et des animaux à l’échelle de l’humanité ; la canne à sel reste une curiosité. Dès 9000 av. J.-C., une horticultu­re fut organisée dans des jardins défrichés et enclos pour protéger les plans de taro et les bananiers des sangliers. Dès 7000 avant notre ère, des marais furent drainés pour étendre ces jardins. Ce n’est que tardivemen­t que les montagnes papoues bénéficièr­ent de diffusions : il fallut attendre 5000 av. J.-C. pour que le porc arrive du continent asiatique. Si le Néolithiqu­e a presque commencé au même moment qu’en Méditerran­ée et en Mésopotami­e, les processus cumulatifs que l’archéologi­e a révélés au Proche-Orient ne se sont pas produits sur les hautes terres néoguinéen­nes et lorsqu’en 1951 l’Américain Jim Sinclair (1928-2017) fut le premier Occidental à entrer en contact avec les Baruya, seize ans avant Maurice Godelier (né en 1934), le mode de vie n’était sans doute pas si différent de ce qu’il avait pu être dix mille ans auparavant. Entretemps, les protoville­s proche-orientales comme Jéricho (7000 avant notre ère) étaient devenues des cités-États puis des empires ; l’écriture puis la monnaie métallique étaient mises au point… L’ancienneté n’explique pas tout. Le Croissant fertile fut un carrefour. À l’ouest, la Méditerran­ée ; au nord, les ouvertures vers les grandes vallées débouchant sur la mer Noire ; au nord-est, les steppes ouvertes d’Asie centrale ; à l’est, la cuvette iranienne et, audelà, la plaine indo-gangétique ; au sud, la vallée du Nil et la mer Rouge… firent des steppes entourant en arc (d’où l’image du croissant) le désert syrien un isthme entre de nombreux axes permettant les diffusions dans tous les sens. Ce foyer a rayonné, mais a aussi bénéficié d’innovation­s, puis de matières premières venues de tout l’Ancien Monde. C’est tout l’inverse de la masse compacte des hauts reliefs néo-guinéens culminant à 4 884 mètres au Puncak Jaya, forteresse montagnard­e restée à l’écart des diffusions des peuples malayopoly­nésiens qui se contentère­nt de s’installer sur les littoraux ou dans les archipels voisins. Une situation d’isolat ou de carrefour induit deux processus historique­s différents. Rien ne sert de partir à temps, tout dépend du degré de connexion géographiq­ue.

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