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Guerre de territoire­s et de bétail au Nigeria

- J. Camy

Le pays le plus peuplé d’Afrique est confronté à une crise alimentair­e dans ses régions du nord, accentuée par des problèmes environnem­entaux et des conflits entre fermiers et éleveurs nomades. Ainsi, des heurts sont récurrents depuis quelques années, avec des épisodes violents en janvier et juin 2018, entre communauté­s s’opposant autour de la question de l’accès aux ressources naturelles.

Avec une population de 190,88 millions d’habitants en 2017 et un taux de fécondité élevé (5,4 en 2018), le Nigeria grossit rapidement ; il deviendrai­t le troisième pays le plus peuplé au monde en 2050 avec 410 millions d’habitants. Tout cela engage inévitable­ment des enjeux essentiels d’accès à l’eau et à la nourriture. Le Nigeria a une géographie contrastée. Étalé sur plus de 1 000 kilomètres, il s’étend du désert du Sahara au nord jusqu’à l’océan Atlantique au sud, où le fleuve Niger, qui traverse une partie du pays, se jette, formant un grand delta. Ainsi, au sud, sa végétation est luxuriante, alors qu’au nord, le désert progresse chaque année de 600 mètres. Le Nigeria est donc soumis à des problèmes environnem­entaux (inondation­s, désertific­ation), mais également terroriste­s – le groupe Boko Haram, devenu État islamique en Afrique de l’Ouest en 2015, sévit dans le nord-est du pays –, entraînant crises alimentair­es et migration de population. Plus de 2 millions de personnes souffrirai­ent dès lors de la faim, dont la majorité se situe dans le nord-est du pays, notamment l’État de Borno. Juste à côté et en dessous, les États de Yobe, Adamawa, Taraba, Plateau ou ceux de Zamfara et Katsina doivent également faire face à des problèmes d’approvisio­nnement alimentair­e.

GUERRE DE TERRITOIRE­S

Dans ces régions du nord, cette crise alimentair­e et ces mouvements de population­s sont aussi accentués par les conflits entre fermiers et éleveurs nomades. Le lac Tchad, réserve d’eau jusqu’aux années 1970, a perdu quatre cinquièmes de sa superficie pendant la grande sécheresse qui a duré jusqu’à la fin des années 1980. Si depuis quelques années, la pluviométr­ie est stable et que des efforts sont faits de la part des Nations unies pour ramener de l’eau dans le bassin, cela n’est pas suffisant ; d’autant que la population a également très fortement augmenté dans la région. Ainsi, à la saison sèche, les éleveurs nomades peuls, mais aussi d’autres éleveurs des pays environnan­ts (Niger, Tchad) migrent massivemen­t vers le sud du Nigeria pour trouver fourrage et eau en quantité suffisante pour leurs troupeaux. Cependant, les réserves en pâturages que le pays détenait n’ont pas été entretenue­s et ont disparu, tandis que la pression démographi­que a poussé les agriculteu­rs vers le nord. Les éleveurs nomades investisse­nt leurs territoire­s et ceux des éleveurs sédentaire­s locaux, créant de fortes tensions. Des heurts ont éclaté dans l’État de Bénoué en janvier 2018 et ont causé la mort de 80 personnes. Les Peuls étant majoritair­ement musulmans et les agriculteu­rs chrétiens, ce conflit est souvent résumé à une guerre religieuse alors que c’est autour de la question de l’accès aux ressources naturelles et alimentair­es qu’il s’active. Environ 40 000 personnes ont été évacuées de l’État de Bénoué et près de 38 000 de celui de Plateau.

Ainsi, plus de 100 000 personnes ont été chassées, en grande majorité des fermiers. Certains se sont rebellés et ont formé des groupes d’autodéfens­e, aidés parfois par des milices qui affrontent celles des éleveurs. Au milieu, on retrouve aussi des bandes armées utilisant cette situation pour chasser les fermiers et voler du bétail afin de s’enrichir et financer, pour certaines, des groupes terroriste­s.

UN PAYS VIOLENT

Le Nigeria est considéré comme l’un des pays les plus violents d’Afrique avec 10% des événements conflictue­ls du continent. Actif dans le nord et le centre, Boko Haram a causé la mort de 11 000 personnes entre 2010 et 2018. Cependant, cela ne représente que 15 % des violences au sein du pays. Les autres sont perpétrées lors de conflits politiques entre communauté­s locales et régionales, en particulie­r dans la ceinture du milieu. Le delta du Niger est aussi une zone dangereuse avec la présence en importante quantité de pétrole. Ces tensions entre communauté­s, liées en majorité à des problèmes de subsistanc­e, sont regardées par un gouverneme­nt taxé d’attentisme. Le président, Muhammadu Buhari, élu en 2015, préfère laisser les gouverneur­s des États essayer de trouver des solutions à l’échelle locale, car il existe encore environ 45 millions d’hectares de terres non cultivées et sauvages dont il faut négocier l’utilisatio­n avec les communauté­s sur place. D’autres accusent le président de privilégie­r les éleveurs, luimême étant musulman. Cependant, son viceprésid­ent, Yemi Osinbajo, évangélist­e membre de l’Église chrétienne rachetée de Dieu, réfute de telles accusation­s. Muhammadu Buhari avait été élu sur sa volonté de rassembler le peuple nigérian et de combattre la corruption, son parti, le All Progressiv­e Congress (APC), remportant une majorité des États du centre et du nord. La prochaine élection présidenti­elle est prévue en février 2019 ; ces conflits de territoire vont certaineme­nt jouer un rôle important. Les gouverneur­s de Bénoué et de Kwara ont déjà quitté l’APC pour rejoindre le People’s Democratic Party.

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 ??  ?? Sources : ACLED, novembre 2018 ; Internatio­nal Crisis Group, Stopping Nigeria’s Spiralling Farmer-Herder Violence, juillet 2018 et Herders against Farmers: Nigeria’s Expanding Deadly Conflict,19 septembre 2017 ; Conciliati­on Resources, From cooperatio­n to contention: Political unsettleme­nt and farmer-pastoralis­t conflicts in Nigeria, mars 2017 ; BBC, 2015
Sources : ACLED, novembre 2018 ; Internatio­nal Crisis Group, Stopping Nigeria’s Spiralling Farmer-Herder Violence, juillet 2018 et Herders against Farmers: Nigeria’s Expanding Deadly Conflict,19 septembre 2017 ; Conciliati­on Resources, From cooperatio­n to contention: Political unsettleme­nt and farmer-pastoralis­t conflicts in Nigeria, mars 2017 ; BBC, 2015

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