Allemagne : nouvelle donne politique en Bavière ?
Dans une Bavière prospère, les élections régionales du 14 octobre 2018 ont vu les scores cumulés des grands partis historiques fondre par rapport à 2013. Si les populistes de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) entrent pour la première fois au Parlement bavarois, les véritables gagnants sont les écologistes. Après une campagne centrée sur l’immigration, les résultats témoignent autant des errements stratégiques des autorités que des transformations socio-économiques du Land.
Avec 37,2 % des suffrages recueillis lors des élections régionales bavaroises du 14 octobre 2018, l’Union chrétiennesociale en Bavière (CSU) remporte sa plus petite victoire depuis 1954. En baisse de dix points par rapport à 2013, le parti frère de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), perd la majorité absolue au Parlement régional, mais continuera de gouverner en coalition avec les Électeurs libres (FW). Arrivés troisièmes avec 11,6 %, ces derniers défendent un programme proche de celui de la CSU, teinté d’un localisme plus prononcé, ne laissant ainsi pas présager d’inflexions politiques majeures à venir. La CSU pourra également s’appuyer sur le retour du Parti libéral-démocrate (FDP), dépassant de justesse la limite des 5% (5,1%) qui permet une représentation. Remportant 17,5 % des votes, en augmentation de neuf points par rapport à 2013, Les Verts sont les grands gagnants, profitant de l’amenuisement du Parti social-démocrate (SPD) dont le score (9,7 %) a fondu de moitié. Si elle fait son entrée au Parlement bavarois avec 10,2 %, l’extrême droite de l’AfD reste en dessous des pronostics.
PROSPÉRITÉ ÉCONOMIQUE
Difficile d’expliquer la chute de la CSU par des arguments économiques. Avec, en 2017, un PIB de 594 milliards d’euros et un PIB par habitant de 45 810 euros, la Bavière est l’un des plus riches Länder d’Allemagne. Son taux de chômage, de 2,6 % en 2018, est identique à son taux de croissance économique. La prospérité bavaroise s’appuie sur une industrie florissante, constituant encore un tiers de son PIB, portée par de grands groupes internationaux tels que BMW, Audi, Siemens et Adidas, ainsi que par un dense tissu de PME familiales, qui emploient près de la moitié de la population active du Land. Mais cette prospérité est inégalement répartie. Les régions frontalières avec la République tchèque subissent un taux de chômage supérieur à 4 % et le pouvoir d’achat y est en moyenne inférieur de 20% à celui de l’Allemagne et de près de 40 % à celui de l’agglomération munichoise. C’est ici que l’AfD remporte, avec 16 % des suffrages, ses meilleurs scores. La chute de la CSU est également bien localisée. Le parti limite ses pertes dans les circonscriptions de Haute et Moyenne-Franconie, dans le nord de la Bavière, mais subit ses plus gros revers dans les régions rurales autour de Munich, allant jusqu’à abandonner 20 points aux Électeurs libres dans l’arrondissement de Neuburg Schrobenhausen. Si Les Verts prospèrent dans le sud, c’est le vote des grandes villes – Wurtzbourg, Erlangen, Nuremberg, Regensburg et Munich où ils gagnent 30 % des suffrages – qui porte leur succès. Les écologistes y ont balayé le SPD qui n’a jamais été implanté en Bavière en dehors de ces agglomérations.
DÉBAT SUR L’IMMIGRATION ET MENACE DE L’EXTRÊME DROITE
Craignant de voir ses électeurs partir vers l’AfD, la CSU a adopté durant la campagne une ligne dure sur l’immigration ainsi que sur l’identité catholique de la région. Pendant que Markus Söder, ministre-président de Bavière depuis mars 2018, rendait obligatoire en avril 2018 la pose d’un crucifix dans l’entrée de tous les bâtiments publics du Land, Horst Seehofer, ministre allemand de l’Intérieur (depuis mars 2018) et président de la CSU jusqu’à sa démission en novembre 2018, affrontait la chancelière Angela Merkel (depuis 2005) pour limiter l’arrivée de migrants dans le pays, risquant de faire imploser la coalition au pouvoir. Au regard des transferts de votes depuis 2013, cette stratégie a échoué. Sur les 1,2 million de suffrages perdus par la CSU, 220000 se sont reportés sur les Électeurs libres et 190 000 sur Les Verts, quand l’AfD n’en captait que 160000. L’AfD a majoritairement séduit les anciens abstentionnistes, constituant 180000 de ses 680000 voix, ainsi que 190 000 électeurs venant de petits partis radicaux, comme les séparatistes du Bayernpartei et les nationalistes du Parti national-démocrate et des Républicains. Les résultats de la CSU témoignent des transformations socio-économiques de la Bavière. Si les conservateurs captent 55% des plus de soixante ans, ils peinent à séduire les moins de trente. Selon les estimations de l’hebdomadaire Die Zeit, tandis que 240 000 électeurs de la CSU sont décédés depuis les dernières élections, le parti n’est parvenu à attirer que 90000 des jeunes arrivés en âge de voter. Alors que la CSU a historiquement orienté ses campagnes autour de l’identité bavaroise mêlant tradition et développement high-tech, souvent résumé par la métaphore « Laptop und Lederhose » (l’ordinateur et la culotte de peau), le profil de la population (12,97 millions en 2017) du Land (70550 kilomètres carrés) a changé. Dans un contexte de dégradation de l’image de l’Église catholique, la pratique religieuse est en forte baisse. Près d’un quart des Bavarois sont nés à l’étranger ou en Allemagne d’un parent étranger, une proportion qui approche les 45 % à Munich. Qui plus est, la réussite économique du Land a polarisé vers la Bavière les migrations internes en Allemagne, limitant le poids du discours régionaliste. Enfin, les succès de l’industrie bavaroise dans les technologies vertes et la conversion des agriculteurs à la production d’énergie renouvelable ont orienté une partie de l’électorat traditionnel de la CSU vers les écologistes.